Le jugement qui condamne Christine Angot pour atteinte à la vie privée
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 28/05/2013
La 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris, présidée par Marie Mongin, a condamné lundi 27 mai Christine Angot et son éditeur Flammarion à verser 40.000 euros de dommages et intérêts à Elise Bidoit, qui les poursuivait pour atteinte à l'intimité de sa vie privée dans le roman Les Petits.
Le jugement, remarquablement motivé, rappelle tout d'abord les deux principes fondamentaux qui doivent guider l'appréciation des tribunaux: celui du respect de la vie privée, consacré par l'article 9 du Code civil et celui de la liberté d'expression, qui est garantie par la Constitution et la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il souligne également qu'afin de limiter les entraves à la liberté de création en manifestant "une sensibilité exacerbée", celui ou celle qui se prévaut d'une atteinte à la vie privée doit établir que cette atteinte et le préjudice qui en découle, sont d'une "particulière gravité".
Après s'être attachés à rechercher, dans le roman Les Petits, tous les passages qui empruntent à la vie personnelle d'Elise Bidoit - ancienne compagne et mère des enfants de l'actuel concubin de Christine Angot - et qui sont susceptibles de la rendre identifiable, les juges considèrent que "les liens des personnages du livre avec la réalité de la vie d'Elise Bidoit sont particulièrement forts, étroits et insistants. Qu'à l'évidence, ces personnages, et notamment celui d'Hélène, sont loin d'être des ‘êtres de papier’ pour reprendre la formule de Paul Valéry; qu'en effet, dans ce livre, la réalité de la vie de la demanderesse est reproduite tant dans les détails banals que dans des aspects les plus intimes".
Les juges en concluent que, contrairement à ce que soutient l'auteur, la multitude de détails donnés dans le livre lève "dans l'esprit du lecteur tout doute sur l'enracinement dans la réalité du récit" et le font ainsi sortir de la définition du roman, comme étant "l'expression d'une vérité universelle touchant à la condition humaine".
"L'auteur, observe le jugement, ne peut utilement prétendre avoir transformé cette personne réelle en un personnage exprimant "une vérité" qui n'appartient qu'à lui comme étant le fruit de son "travail d'écriture", cette représentation, certes imaginaire, étant greffée sur les multiples éléments de la réalité de la vie privée d'Elise Bidoit qui sont livrés au public".
Au contraire, poursuit le texte, "les graves atteintes au respect dû à la vie privée d'Elise Bidoit, sauraient d'autant moins être justifiées, et sont particulièrement préjudiciables, dès lors qu'elles constituent le support de la peinture manichéenne faite d'un personnage manipulateur" et qu'une "telle peinture ne peut être détachée de l'intérêt personnel de Christine Angot, engagée dans une relation sentimentale avec l'ancien compagnon de la demanderesse".
Les juges retiennent comme une sorte de circonstance aggravante du préjudice subi par Elise Bidoit, le fait que celle-ci avait déjà manifesté, lors d'une procédure engagée contre un précédent livre de Christine Angot, "son opposition à toute utilisation, par cet auteur, d'éléments de sa vie privée". La répétition du procédé est donc susceptible de faire naître, chez Elise Bidoit, "un sentiment d'impuissance, voire de persécution", ajoutent-ils.
Ils balaient enfin sèchement l'un des arguments présentés par la défense de Christine Angot, selon lequel Elise Bidoit serait restée inconnue de tous si elle n'avait elle-même permis son identification en accordant un entretien à un hebdomadaire sur cette affaire(*). "Un tel raisonnement allant jusqu'à dénier à la plaignante une quelconque vie sociale, voire l'existence même d'un environnement humain, ne peut à l'évidence être suivi par le tribunal", notent les juges qui ajoutent que "le droit à la vie privée n'est pas réservé aux personnes qui jouissent d'une quelconque célébrité".
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