Affaire Dany Leprince : Rompre le silence !
Actualités du droit - Gilles Devers, 16/04/2012
Dany Leprince ? Vous connaissez l’affaire Dany Leprince, qui pose en majuscules la question de l’erreur judicaire ? Voici un texte d’Alexandra Staritzky, élève-avocate à l’EFB de Paris – l’Ecole de Formation professionnelle des Barreaux de la Cour d'Appel de Paris – qui a connait bien cette affaire, et dont le travail a été salué ce mois de janvier dernier, au concours de plaidoiries pour la défense des droits de l’homme du Mémorial de Caen.
Alexandra n’est ni un juge suprême, ni une cour de révision. Non, on ne se trompe pas de registre. Simplement elle nous dit, avec une belle force, que quand on aime la justice,… on combat l’injustice. C’est pour cela que l’affaire de Dany Leprince est l’affaire de tous.
Merci Alexandra.
Il y a un an, quasiment jour pour jour, un homme très certainement innocent, était ramené dans la cellule qui avait été la sienne pendant 16 années. Il venait pourtant d’être libéré, neuf mois auparavant, par une décision de la Commission des condamnations pénales de la Cour de Cassation en raison du sérieux doute qui pesait sur sa culpabilité.
Cet homme s’appelle Dany Leprince et son histoire nosu pose à tous la question de l’erreur judiciaire.
L’affaire
Dany Leprince, était agriculteur dans la Sarthe et il a été condamné pour le quadruple meurtre de son frère, de sa belle sœur et de ses deux petites nièces, tués à l’arme blanche le 4 septembre 1994.
Dany Leprince a été reconnu coupable en 1997 par la Cour d’Assises de la Sarthe de ces meurtres sur la seule base d’aveux partiels - faits au cours d’une garde à vue épuisante et sans avocat - qui seront très rapidement et définitivement rétractés, ainsi que sur les accusations - contradictoires et changeantes - de sa femme et de sa fille.
Pour le reste, il n’existe aucun mobile, aucune preuve matérielle ou scientifique de sa présence sur les lieux du crime. Et pourtant, au vu du massacre, il est impossible de croire que l’auteur du crime n’y ait pas laissé ne serait-ce qu’un cheveu !
C’est dans ces circonstances que Dany Leprince est jugé et est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans.
A cette époque, c’est un autre droit qui s’appliquait : garde-à-vue sans avocat, arrêts de Cour d’assises non motivés et pas d’appel possible en matière criminelle. Dany Leprince est donc condamné dans des conditions qui sont aujourd’hui unanimement jugées comme étant inéquitables et non garantes des libertés.
A la quasi-absence d’éléments à charge lors de la condamnation de Dany Leprince, va venir s’ajouter une série d’éléments troublants, qui achèveront de conforter, sinon la certitude de son innocence, du moins le doute sur sa culpabilité.
Parmi ces éléments troublants, on peut retenir, le film regardé par Dany Leprince le soir du quadruple meurtre, qui démontre qu’il ne pouvait pas être sur les lieux du crime, à l’heure où sa femme et sa fille certifient l’y avoir vu, la découverte d’un couteau comportant les traces de deux ADN compatibles avec celui d’une des victimes et celui de la principale accusatrice, et enfin celle d’un couteau marqué Leprince qui avait été enterré dans une carrière.
La procédure de révision
Au vu de ces éléments, une requête en révision a été déposée en 2005 par Dany Leprince sur le fondement de l’article 622 du Code de procédure pénale, qui permet de demander la révision d’une condamnation dès lors qu’un fait nouveau ou inconnu de la juridiction au jour du procès fait naître un doute sur la culpabilité du condamné.
La Commission de révision, filtre obligatoire avant la saisine de la Cour de révision, va mener un minutieux complément d’enquête pendant près de cinq ans, dont les conclusions la conduiront à transmettre le dossier à la Cour de révision.
Mais la Commission de révision va surtout décider de libérer immédiatement Dany Leprince. C’est la première fois que la Commission, saisie d’une requête en révision, libère « provisoirement » un condamné dans l’attente de la décision finale de la Cour de révision.
C’est dire la conviction que cette Commission devait avoir quant au fait que la machine de la réhabilitation était définitivement en marche!
Pourtant, neuf mois plus tard, le 6 avril 2011, la Cour de révision rend un verdict implacable et en totale contradiction avec l’analyse de la Commission. La requête de Dany Leprince est rejetée et l’homme est immédiatement renvoyé en prison.
Aujourd’hui, la justice française n’a plus l’opportunité de reconnaître l’innocence de Dany Leprince.
Trop de questions non examinées
Depuis le départ, le fonctionnement du système judiciaire dans cette affaire aura été scandaleusement déroutant.
On peine à comprendre pourquoi les magistrats de la Cour de révision ont refusé à Dany Leprince le droit d’avoir un nouveau procès et fait obstacle à sa probable réhabilitation, alors que les éléments soulevés lors de la requête en révision étaient inévitablement perçus comme les prémices d’une innocence en passe d’être reconnue.
Cette décision est à l’image d’une justice aveugle et obstinée, telle que décrite et crainte par bon nombre de justiciables.
Martine Anzani, présidente de la Commission de révision en charge du dossier, sortant de la réserve habituelle propre aux magistrats, a déclaré : « Dany Leprince a certes échappé à la guillotine mais pas au couperet d’une justice qui a refusé de se remettre en cause».
La justice est humaine, elle se trompe. Parfois lamentablement et souvent au prix de vies gâchées. Mais face à l’inéluctabilité de l’erreur judiciaire, on voudrait, à tout le moins, voir la présomption d’innocence respectée et savoir que la justice est capable de reconnaitre ses erreurs, que le système judiciaire lui donne les moyens de se remettre en cause.
Or, dans cette affaire, refuser de reconnaître l’existence d’un doute sur la culpabilité de Dany Leprince pour rejeter au loin l’ombre de l’erreur judiciaire est absurde et insupportable.
Il n’y a que certains juges pour croire que notre système judiciaire est infaillible. Par beaucoup, il est perçu comme implacable et injuste. Enfin, d’autres – et j’en fais partie – veulent croire que la justice des hommes est avant tout perfectible et que dans ce dessein il faut s’employer à dénoncer ses erreurs.
Un silence assourdissant
Dany Leprince crie son innocence depuis prés de 18 ans mais, seul et du fond d’une prison, il est impossible d’être entendu.
Le silence qui a entouré cette affaire est tel que la plupart des gens ne la connaissent pas. Il y a bien eu et il existe toujours, des comités de soutien et des journalistes qui ont fait un formidable travail d’investigation, mais jamais d’importants mouvements d’opinion en faveur de Dany Leprince, jamais de soutiens d’intellectuels ou de personnalités médiatiques.
Cette indifférence est d’autant plus difficile à admettre quand on constate que les affaires judiciaires sont souvent au cœur de l’actualité.
Au cours des seuls derniers mois, l’affaire Cassez aura été largement évoquée, et même commentée en temps réel. Les affaires DSK et Polanski auront fait couler beaucoup d’encre. On s’est ému de telle ou telle image, de tel ou tel système judiciaire, on a brandi le droit à la présomption d’innocence. Mais dans le même temps, pas une ligne sur l’affaire Dany Leprince. Qui décide alors de ceux que l’on doit oublier ?
La mobilisation citoyenne n’est jamais vaine. Bien au contraire : « quand les supérieurs font une injustice évidente et atroce, il faut que cent milles voix leur disent qu’ils sont injustes. Cet arrêt, prononcé par la nation, est leur seul châtiment ; c’est un tocsin général qui éveille la justice endormie, qui l’avertit d’être sur ses gardes, qui peut sauver la vie à des multitudes d’innocents ». (Voltaire, La Méprise d’Arras, 1771).
Pour briser le silence, une pétition, mise en place à l’initiative des élèves-avocats de France, peut être signée par tous :
http://leprince-rompre-silence.fr/