Mediator : Le naufrage d’une procédure spectacle
Actualités du droit - Gilles Devers, 21/05/2012
Désolé pour les victimes du Mediator, mais la grosse manip’ de leurs avocats se retournent contre elles. En cause, la « citation directe », soit la capacité donnée à une personne de faire citer une autre directement devant le tribunal correctionnel. Vieux débat de la place de la victime dans le procès pénal... mais en réalité, tout est simple dès lors qu’on distingue cirque médiatique et procédure pénale.
Une très grosse affaire
Partons du plus simple et essayons de rester cartésiens. L’accusation est lourde : en cause la mort de 500 à 2000 patients, pour une commercialisation du Mediator entre 1976 à 2009.
Ca n’est pas passé inaperçu,... et bien entendu le Parquet a ouvert une enquête. Les faits étant complexes et graves, le procureur de la République de Paris a saisi deux juges d’instruction, et ces juges sont chargés d’enquêter sur les deux volets de l’affaire : financier et sanitaire. Ils vont chercher tout ce qui tourne autour de l’enrichissement illicite, et toutes les victimes peuvent se faire connaître, et se constituer partie civile.
L’affaire avance bien. Plusieurs mises en examen ont été prononcées dont celle de Jacques Servier, 90 ans, le fondateur du labo. Les juges disposent de beaucoup de moyens et on annonce une clôture de l’instruction pour 2013. Dans ce genre d’affaire, avec ces deux volets distincts – finance et santé – et autant de victimes, c’est un tour de force.
J’ajoute que l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux) a mis en place des équipes pour traiter les dossiers d’indemnisation des victimes qui veulent éviter le procès. Vous pouvez adresser votre dosser en téléchargeant l’imprimé sur le site. Rien de plus simple.
Vous êtes victimes ? Vous pouvez donc très facilement choisir : constitution de partie civile devant le juge d’instruction à Paris, ou saisine de l’ONIAM. Vous pouvez aussi jouer perso et demander la désignation d’un expert judiciaire devant le tribunal de votre ville.
Très bien.
Alors, question : qu’est-ce que cette procédure à Nanterre ?
Des avocats nerveux ont choisi de jouer les franc-tireurs, en cherchant à jouer aux plus malins. Ils ont utilisé la procédure dite de la citation directe qui permet à un particulier, qui s’estime victime d’une infraction, de faire citer directement devant le tribunal correctionnel celui qu’il estime le coupable. C’est, toute proportion gardée un peu « procureur privé ». On utilise cette procédure – exceptionnelle car l’accusation pénale est par principe l’affaire du procureur – dans des domaines spécifiques, notamment en matière de diffamation car la victime est la mieux placée pour savoir si son honneur a été atteint.
Le Code, toutefois, ne limite pas le domaine de la citation directe. C’est la sagesse des avocats qui fait le tri, car la citation directe a les inconvénients de ses avantages : la victime peut décider seule d’envoyer quelqu’un en correctionnelle,… mais elle supporte seule le poids de l’accusation et doit apporter la preuve par ses propres moyens. La victime a beaucoup moins de billes que si elle suit le circuit vertueux de l’instruction : le juge enquête, puis le procureur accuse, après avoir centralisé toutes les preuves, et la victime est en appui.
Dans l’affaire du Mediator, il y a deux aspects très préoccupants : les accusations d’escroquerie à la Sécurité Sociale et les atteintes à la vie (Décès ou lésions corporelles graves). Et puis il y a un aspect annexe, pour lequel les juges d’instruction sont également saisis. Important, mais annexe : la tromperie, à savoir vendre le Médiator, qui est un antidiabétique, comme coupe-faim. Un délit qui relève du droit de la consommation : d’ailleurs une association de consommateurs était partie civile.
Quel intérêt ? Les caméras…
Ne racontons pas d’histoire : c’est un truc d’avocat pour passer à la télé. L’instruction pénale, même quand elle va très vite, prend un temps minimum. Avec une citation directe, no problem… car il n’y a pas d’instruction ! Mais la citation directe n’est en rien adaptée à cette affaire. C’est d’un autre monde.
Madame Isabelle Prévost-Desprez qui préside la 15° chambre correctionnelle du TGI de Nanterre, en ordonnant le report de l’affaire, ne s’est pas privée de dire ce qu’elle en pensait. C’est cinglant : « Il n'appartient à aucune partie d'imposer son calendrier en bafouant la procédure pénale. Il ne saurait être imposé à aucun juge un dossier tronqué au motif que la justice doit passer vite. Il n'appartient pas aux parties de dicter leur décision aux juges en instrumentalisant l'opinion publique.»
En instrumentalisant l'opinion publique...
Le tribunal a ajouté que les droits et libertés de la défense pourraient être mis en cause puisque les prévenus cités par voie de citation directe et mis en examen pour les mêmes faits à Paris « ne pourraient par exemple produire des pièces couvertes par le secret de l'instruction ou placées sous scellés ». Dans ces conditions le tribunal de Nanterre « ne serait pas en mesure de juger dans le respect des droits des parties ni de garantir un procès équitable ».
Le tribunal avait plusieurs solutions pour échapper à ce traquenard judiciaire. Il a choisi de retenir une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la dualité de juridictions saisies, dès lors que les juges d’instruction du TGI de Paris des sont déclarés compétents par une ordonnance du 30 janvier 2012 non frappée d'appel. La question de la régularité légale de cette dualité de procédure a été transmise pour examen à la Cour de cassation, et le tribunal a renvoyé l’affaire a son audience du 14 décembre. On verra alors ce qu’il reste de cette malheureuse citation…
Le refus d’un procès tronqué
L’évidence, c’est le procès tronqué. On coupe artificiellement une part du dossier, avec quelques victimes consentantes, et ont fait un petit procès en espérant avoir une première condamnation avant les autres… C’est tout. Comme s’il était trop anonyme de se constituer partie civile chez les juges d’instruction et de prendre place dans le grand procès, conduit non par des victimes en ordre dispersé, mais par le procureur.
L’affaire du Mediator inclut certes une accusation de tromperie sur la qualité. Mais ce sont surtout les questions des profits faits au détriment de la Sécurité sociale et de la santé des victimes. Questions exclues de la citation directe… car trop compliquées à gérer…
Le procès est encore tronqué car on focalise sur Jacques Servier alors qu’il y a bien d’autres intervenants, et que se pose de plus en plus la question de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS).
Problème ensuite pour les droits de la défense. Je suis jugé à Nanterre sur la citation de quelques victimes alors que je suis mis en examen pour les mêmes faits à Paris…
Problème aussi (et redoutable)… pour les victimes, embarquées dans cette aventureuse affaire. Car si la citation directe est médiatiquement belle, elle est juridiquement fragile. Le procès est fait sur des bases plus faibles, qui ne bénéficient de tout ce que peut apporter une instruction. La preuve principale est un sévère rapport de l’IGAS. Certes, un bon document, mais qui est loin de remplacer un vrai travail d’enquête judiciaire, avec les moyens du Code de procédure pénale. Aussi, les victimes prennent un risque insensé en se privant du dossier d'instruction, et elles s'exposent à perdre le procès sans avoir fait valoir tous leurs arguements.
Les victimes qui maudissaient hier la 15° chambre du TGI de Nanterre devraient la remercier de leur avoir donné tort.