Enfants des rues : la honte en héritage ! (465)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 18/04/2012
15 associations (1) ont récemment saisi le Défenseur des Droits de la situation des jeunes étrangers isolés mal-traités par les pouvoirs publics français. Une démarche exceptionnelle qui mérite donc d’être relevée. Elles ont été reçues mardi 17 par le Défenseur dans la perspective d’un comité interministériel, provoqué en catastrophe, qui devait se tenir le 18 avril 2012.
Quels constats font ces associations ?
Trop de mineurs se retrouvent à la rue où ils survivent dans des conditions, c’est le moins que l’on puisse dire, précaires. Les conseils généraux se recroquevillent sur eux-mêmes et limitent les prises en charge de ces enfants pourtant tenus pour être en danger. L’Etat lui-même fait le service minimum, et là encore on est dans l’euphémisme. Tous les prétextes sont bons. Pour peu que le jeune ait passé une nuit à Paris, le département de la couronne à travers sa plate-forme d’évaluation soulève son incompétence ; Paris lui répond du tac au tac en contestant la minorité civile du jeune qui lui a été renvoyé! Fermé le ban. Pour d’autres que les médecins tiennent pour mineurs au vu des examens osseux, les parquets relèvent désormais tel point partiel de l’examen afin de retenir la majorité et refuser une intervention judiciaire.
Le problème n’est pas d’aujourd’hui.
Il perdure même à Paris et dans de nombreuses métropoles – et ne parlons pas du Pas de Calais face à la mythique Grande Bretagne- depuis les années 95. Les rapports officiels succèdent aux rapports. Et toujours pas une vraie réponse.
Il faut admettre – je l’ai souvent abordée ici – que la question est délicate.
D’abord, elle n’est pas franco-française, mais européenne. Et la France n’est pas le pays le plus impacté – je vise l’Espagne et l’Italie - par l’arrivée massive de personnes mineures ou prétendant l’être quittant leur pays pour fuir des persécutions liés aux conflits politiques ou communautaristes mais plus souvent pour y étudier et y gagner leur vie et celle de leurs proches. 5 à 6 000 jeunes arriveraient chaque année en France ; 100 000 au plan européen. L’Amérique du Nord et l’Australie connaissent la même problématique « Nord-Sud ».
Toutes ces personnes, on l’a dit, ne sont pas mineures comme elles le prétendent pour éviter d’être expulsées. On évalue à un tiers celles qui seraient majeures. Il n’est pas rare que ces jeunes n’aient pas de papiers établissant leur identité et fréquemment soient sans papiers avec photo, mais un simple acte d’état-civil voire une photocopie d’acte de naissance. S’appliquent-ils à la personne qui les produit ? Les examens osseux ne sont guère plus probants surtout pour des jeunes proches de la majorité compte tenu de la marge d’erreur de ces examens. Se fier aux apparences n’est pas plus probant : certaines ethnies africaines ont des adolescents de 14-15 ans mesurer 1m,85 ! A l’inverse, un jour j’ai cru utile de faire passer devant moi dans les meilleurs délais une personne que je tenais pour majeure : du fond de la salle ce monsieur m’a dit avoir 36 ans. Je lui ai suggéré de déposer un brevet pour sa lotion de jouvence !
Il faut donc tenir compte également de la maturité affichée, du comportement du jeune, de ses attitudes par-delà son apparence physique. Le code civil veut qu’avec des papiers du pays fassent foi, sauf à ce que l‘authenticité en soit contestée avec les investigations qui s’imposent. J’ai vu récemment un jeune muni de acte avec photo couleur, parmi cinq autres documents, lui donnant 15 ans et demi, être tenu pour majeur en quelques instants alors que les éducateurs et les enseignants qui le fréquentaient depuis 6 mois n’avaient pas fait ce constat. On foule du pied la jurisprudence qui veut qu’en cas de doute la présomption de minorité l’emporte. C’est le moins que l’on puisse faire dans un pays comme le nôtre !
Si la preuve de la minorité est délicate avec en arrière fond le sentiment d’être manipulé, les questions politiques de fond sont encore plus délicate. Il faut pourtant les aborder le plus objectivement possible sans concession et sans démagogie avec le souci de se libérer des pressions dont nous sommes objets.
Premier constat : si l’on met à part les cas - un sur dix-, des enfants alléguant être victimes de persécutions politiques qu’on peut assez facilement corréler et qu’il n’est pas question un instant de rejeter, des familles étrangères avec l’aide de passeurs payés très cher, en cash ou à credit, violent les lois sur l’accès au territoire français et profitent du fait que les mineurs ne sont pas expulsables. Puis ayant précipité le jeune en France dans une situation de danger on essaie de faire jouer les lois sur la protection de l’enfance.
Depuis 15 ans des milliers de jeunes ont été pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance sur décision des juges des enfants. Ils ont été alphabétisés, scolarisés, formés. La tutelle leur a souvent été déléguée à leur demande. Après 18 ans le soutien administratif s’est poursuivi dans le cadre d’une prise en charge jeune majeur, la PJJ représentant de l’Etat s’étant retirée depuis quelques années. total, la France n’a pas a rougir de ce qu’elle a fait pour tous ces jeunes.
Tout baigne semble-t-il. A deux détails près.
Déjà on demande à la protection de l’enfance de se transformer en dispositif de coopération internationale. Les familles et les pays concernés font assumer la facture de cette formation de leurs enfants à la France, mais somme toute la France n’aura pas à s’en mordre les doigts : ces jeunes ont vocation à devenir de bons français.
Deuxième difficulté : les conseils généraux ont le sentiment d’être pris pour des vaches à lait par l’Etat qui leur tait assumer la charge financière de ces jeunes, sans même avoir de temps en temps un geste pour saluer cet effort. Pire les conseils généraux qui depuis des années demandent à être reconnus et relayés par l’Etat, même à titre symbolique, dans cet engagement se heurte à un mur. Charles Pasqua en 1995 alors ministre de l’intérieur répondait déjà au conseil général de la Seine Saint-Denis : « Vous touchez les royalties de Roissy ; assumez les coûts ! ». Fermez le ban là encore.
Les conseils généraux demandent aujourd’hui un relais financier à l’Etat au moins le temps où le jeune n’a pas de titre de séjour régulier. Ils suggèrent une péréquation entre départements, sur le plan financier et sur les lieux d’accueil. Ils souhaiteraient déjà que l’Etat assume ses responsabilités propres comme celle d’assurer ces jeunes d’une régularisation en France dès lors qu’ils ne troublent pas l’ordre public – ce qui est le cas à 99% - et qu’ils sont inscrits dans une formation sérieuse sur des secteurs en recherche de salariés l On en est loin. Malgré une circulaire Villepin de 2005. On l’a vu pour les étudiants étrangers appelés à partir chez eux avec Bac + 5 ; a fortiori on est loin du compte pour ces mineurs étrangers isolés sans bac.
Ajoutons que les services sociaux sont déroutés par le « travail « qu’on leur demande. Formés à intervenir sur la relation parents–enfants ils ont ici à faire avec des enfants par définition isolés ; ils doivent régler des problèmes de papiers sur lesquels ils ont guère prise et, qui plus est, ils ne parlent pas tamoul, soninké ou mandarin dans le texte. La communication est difficile. Ils ont bien pour nombre d’entre eux – pas pour tous - le sentiment d’être à contre emploi.
Tout cela est connu de longue date de ceux qui veulent bien, suivre ce sujet.
Elle résulte de la solution politique apportée en novembre dernier au bras de fer engagé par le Conseil général de la Seine Saint-Denis qui, fauter d’avoir reçu réponse à un n nième courrier adressé en juillet au ministre de la justice, décida de ne plus accueillir à partir du 1 er septembre les jeunes confiés par justice. La bataille fut alors sanglante … pour les jeunes pris par la patrouille du moment, mais plus grave encore un ressort a été cassé ; un dispositif performant démantelé. Qu’on en juge !
Un conseil général qui viole ostensiblement la loi en laissant des enfants à la rue ! L’Etat à travers le ministère de la justice et de la loi qui, après avoir sauvé les meubles, s’installe sur les mêmes positions en violant les décisions de ses juges.
En permanence, pendant 6 semaines, une vingtaine de jeunes étaient présents au Tribunal pour enfants de Bobigny pouvant laisser craindre une occupation. Plusieurs semaines durant, ces jeunes considérés comme en danger par le procureur de la République était remis à la porte du tribunal sur ordre du ministère avec pour tout viatique un ticket de restaurant et un ticket de métro pour se rendre place du colonel Fabien à Paris tenter der se faire mettre à l’abri par la maraude de FTD. Quelle protection assurée par la 5° puissance mondiale à des jeunes personnes tenues pour mineures. Chaque jour, aux forceps, des jeunes - 80 au total - furent orientés vers des structures hors l’ASE du 93 avec des relais militants.
Il fallait en terminer. D’autant plus que certaines images fortes commençaient à marquer les esprits – par exemple, des jeunes calfeutrés dans des couvertures de survie orange à l’entrée du tribunal – quand le ministre devant venir inaugurer l’accueil du tribunal !
Le pourrissement sur ordre de l’Elysée ayant échoué, on joua le démantèlement. L’ordre a été donné d’orienter sous 24 heures les jeunes encore présents dans des foyers censés etre disponibles et de se dessaisir sur les tribunaux concernés sommés de les accueillir.
Et pour soulager le Conseil général de la Seine Saint-Denis, sans concertation avec les autres départements, le ministère de la justice décida que désormais 9 mineurs sur 10 qui se présenteraient sur Bobigny seraient orientés par le parquet de Bobigny vers les 7 autres départements de la couronne parisienne, sauf Paris, et 21 départements périphériques. Un « taxi » conduirait le jeune au foyer et le parquet reviendrait son interlocuteur local : on contournerait la Seine Saint Denis et les juges! Comme les filières qui déposent des jeunes aux portes du palais de Bobigny, on déposerait des jeunes en province sur ordre du parquet selon un tour de bête. Si le foyer conteste cette saisine il saisira le parquet local, le taxI étant déjà reparti sur Bobigny. Reste que certains présidents de conseil général – au moins 5 explicitement - ont fait savoir qu’ils refuseraient d’assumer la facture de ces transferts forcés de jeunes.
Argument du ministère de la justice : la concertation n’aurait servi à rien ; il fallait imposer !
Précisons que 50 à 60 % des jeunes qui se présentent à Bobigny sont tenus pour majeurs, soit par la plate-forme de la Croix Rouge, soit par le parquet, sur des bases qui mériteraient d’être creusées et, en tous cas, sans débat contradictoire et sans recours ouvert aux intéressés auxquels on conteste leur minorité. Ce qui on l’admettra est contestable dans un Etat de droit.
Un travail interministériel était lancé en lien avec l’ADF qui devait aboutir en février. Vite on vit que des signaux étaient lancés pour ne pas se presser pour trouver une réponse, campagne électorale oblige. Il fallut que le Défenseur des droits dut envoyer une relance au premier ministre, sans plus de succès. Il a surtout fallu qu’apparaissent visiblement les premiers « retours sur investissement » du passage en force de novembre pour que ce travail reprenne. Au moment de renouveler les décisions des juges des départements d’accueil tiennent les jeunes pour majeurs ; les conseils généraux refusent de payer la facture, etc. Les mineurs une nouvelle fois font les frais de ce bras de fer entre adultes et institutions. Le coup de pied de l’âne.
Enfants des rues : la honte en héritage
Pire les chiens sont maintenant lâchés. Les départements n’hésitent pas à dire qu’ils refusent toute nouvelle prise en charge. En tous cas, comme le dénoncent les 15 associations, des mineurs sont certes hébergés pour pouvoir afficher qu’ils ne sont pas à la rue, mais ils ne sont pas suivis par les services sociaux; leur situation administrative n’est donc pas traitée, ils sont prêts à être expulsés le jour de leur majorité. Après tout il faut tenir le quota de 28 000 fixés par l’Etat et les conseils généraux y contribueront de facto. Bien évidemment, pas question de prise en charge jeune majeur pour parachever le travail d’intégration puisque rien n’a été initié. La double peine !
Le tissu minimal de la solidarité est déchiré.
Indéniablement, je peux l’attester pour suivre ce dossier de près depuis 15 ans, la faute en revient à l’Etat qui par-delà ses différentes couleurs politiques à joué l’autruche pour ne pas affirmait-il régulièrement « faire appel d’air ».
La faute aussi aux conseils généraux qui n’ont pas réussi, même quand ils ont la même couleur politique, à s’accorder sur une solidarité minimale. Aujourd’hui ils violent la loi en refusant les mesures qui leur sont confiées ou en ne voulant pas régler les factures des établissements. Des recours administratifs sont en cours qui les sanctionneront prochainement. Pire, l’accord politique Chancellerie-Conseil général de la Seine Saint-Denis vide la loi de son contenu sur le 93 : un jeune doit pouvoir saisir un juge s’il s’estime mineur.
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Pourtant des pistes existent pour s’en sortir dès lors qu’on admet que la responsabilité est conjointe sur ce sujet.
A l’Etat la responsabilité de surveiller les frontières et de délivrer des titres de séjour, à lui de veiller aux personnes sans domicile fixe et sur le dispositif public de protection de l’enfance à travers la police et la justice, à lui encore de rendre’ des comptes à la communauté internationale ; aux conseils généraux le dispositif de protection de l’enfance.
Si chacun tient son rôle le sujet est circonscrit et d’un coût somme toute relatif a u regard des 6 milliards 200 millions que pèse le dispositif Aide sociale à l’enfance. Il peut être géré rapidement : une cellule politique de pilotage animée par l’Etat et l’Association des départements de France, une cellule technique au ministère de la justice pour veiller à l’orientation des jeunes sur l’ensemble du territoire français une fois l’évaluation faite ; quelques pôles d’évaluation comme ceux qui existent à Paris et à Bobigny avec des personnels spécialisés et des interprètes, les jeunes tenus pour majeurs devant se voir notifiées les décisions de refus en bonne et due forme, être informés des recours existants et orientés vers les avocats compétents en cette matière.
Quel que soit le futur gouvernement il n’échappera à ce dossier délicat. Veut-il rendre les enfants étrangers expulsables? Veut-il en arriver à ce que Paris ressemble aux capitales des pays en voie de développement avec ses enfants des rues qui mendient. Faut-il créer une aide sociale à l’enfance spécialisée pour les enfants étrangers. ? Non aucune révolution de ne s’impose, restons lucides.
Il faut simplement rétablir la confiance. A l’Etat de commencer en affirmant qu’il est prêt à assumer les siennes – et il fait déjà plus qu’on le pense voire, même plus qu’il ne le croit, il doit abonder un peu le dispositif national et ensuite veiller à instituer une coopération entre conseils généraux. Il est inaudible d’entendre et honteux d’affirmer, comme cela a été le cas aujourd’hui au comité interministériel, que les caisses sont vides pour les enfants étrangers isolés !
Là aussi se joue notamment l’image de la France, patrie autoproclamée des droits de l’homme et référence internationale, et aussi une bonne ambiance dans le champ social entre Etat et collectivités locales ce qui dans les temps à venir n’a pas de prix.
(1) Syndicat de la magistrature, GISTI, DEI-France etc.