Annulation d’une rupture négociée, pour cause de harcèlement
Actualités du droit - Gilles Devers, 8/03/2013
La rupture négociée, c’est la vie belle du droit du travail démantelé par Sarko (Le retour du vautour ?). On cause, on s’embrasse et on se fait licencier contre quatre sous dans la bonne humeur… Heureusement, la chambre supersociale de la Cour de cassation veille, et elle vient de ratatiner une rupture négociée dans le contexte d’un harcèlement moral (30 janvier 2013, n° 11-22332, Publié au bulletin). La Cour s’appuie sur l’appréciation souveraine des juges du fond s’agissant des faits, mais elle motive dans des termes lapidaires qui ressemblent beaucoup à un principe.
Une salariée a été engagée le 1er octobre 2003 en qualité de secrétaire comptable. Elle a reçu le 16 mai 2008 un avertissement. Après avoir été en arrêt de travail pour maladie du 21 mai 2008 au 4 juin 2008, puis du 21 juin 2008 au 15 septembre 2008, le médecin du travail l'a déclarée apte à la reprise de son poste de travail le 16 septembre 2008. Le même jour, les parties ont signé une rupture conventionnelle du contrat de travail, qui a été homologuée par le directeur départemental du travail et de l'emploi le 6 octobre suivant.
Tout est clean ? Non ! Estimant avoir été victime de harcèlement moral et contestant la rupture, la salariée a engagé le contentieux.
I – La cour d’appel de Toulouse, le 3 juin 2011
La cour d’appel a d’abord estimé que l’avertissement du 16 mai 2008 était non justifié, l’insubordination alléguée n’étant pas établie. Puis elle s’est intéressée au harcèlement moral.
1/ Le harcèlement moral
Sur le plan factuel
La preuve n’était pas évidente, car les faits se passent dans une entreprise comptant cinq salarié, et pas facile d’obtenir des attestions. Mais dans l’une d’elles, un collègue expliquait que l’employeur avait multiplié à l'encontre de la salariée les attitudes blessantes et déstabilisantes : « j'atteste avoir entendu M. Z... hurler auprès de Melle X... à plusieurs et plus particulièrement entre mai et juin 2008 … J'ai également constaté que Melle X... n'était plus conviée aux apéritifs imprévus durant cette période. Je me suis vu attribuer des maquettes qui en temps normal étaient confiées à Mlle X.... M. Z... a pris un stagiaire pendant 15 jours à qui il confiait également la plupart des maquettes. D'autre part, courant mai, j'ai entendu M. Z... ordonner à Melle X... de travailler désormais à son bureau le matin et tous les après-midi à l'atelier reprographie »
Pour la cour d’appel, ce comportement qui n'était justifié par aucun élément objectif et qui s'est ainsi manifesté de manière répétée au sein d'une petite entreprise de 5 salariés a indéniablement eu pour effet non seulement de dégrader les conditions de travail de la salariée, mais aussi d'altérer sa santé physique ou mentale.
Sur le plan médical
Le médecin traitant de la salariée a délivré un certificat le 8 décembre 2008 : « Mme X... est venue me consulter à partir du mois de mai 2008 pour des conflits avec son employeur. Régulièrement elle me montrait des courriers adressés par son employeur et me racontait le comportement d'harcèlement moral qu'il pratiquait. J'ai été obligé de la mettre en arrêt de travail pour arrêt dépressif avec perte d'appétit, amaigrissement, angoisses, dévalorisation de soi, 15 jours en mai et à partir du 21 juin jusqu'au 15 septembre date à laquelle a été décidée la rupture du contrat. Je l'ai mis sous anxiolytique à partir de mai 2008 et sous antidépresseur depuis juillet 2008 »
Une psychologue au service des maladies professionnelles et environnementales de l'hôpital Purpan a confirmé le 29 août 2008 « au niveau clinique, la symptomatologie est en faveur d'un syndrôme anxio-dépressif réactionnel au vécu professionnel »
Pour la cour d’appel, de tels éléments sont de nature à caractériser le harcèlement moral.
2/ La rupture conventionnelle du 16 septembre 2008
Le droit
Le contrat de travail… est un contrat, soumis au régime de base du Code civil. Le consentement du salarié doit être libre, éclairé et exempt de tout vice du consentement. Retour à la Portalis Team…
Article 1109
« Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ».
Article 1111
« La violence exercée contre celui qui a contracté l'obligation est une cause de nullité, encore qu'elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite ».
Article 1112
« Il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent.
« On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes ».
Les faits
La salariée se trouvait en arrêt de travail, pour une pathologie directement liée à ses conditions de travail et au harcèlement moral dont elle avait été victime, du 21 mai 2008 au 4 juin 2008, puis du 21 juin 2008 au 15 septembre 2008/
Le 9 septembre 2008, l’employeur a rappelé que les parties avaient envisagé de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail et qu’elle avait été informée sur ses droits le 5 septembre, par la communication des articles pertinents du Code du travail (Art. L. 1237-11 à L. 1237-11).
Le 16 septembre, le médecin du travail l'a déclarée apte à la reprise de son poste de travail.
Le même jour, s’est tenu l'entretien en vue de cette rupture, et a été signée la convention de rupture, la fin du délai de rétractation étant fixée au 1er octobre 2008.
La convention a été homologuée par le directeur départemental du travail et de l'emploi le 6 octobre suivant.
L’analyse
Dans un certificat du 29 août 2008, soit dans les jours ayant précédé la mise en œuvre de la rupture conventionnelle, la psychologue du service des maladies professionnelles et environnementales de l'hôpital Purpan avait noté chez la patiente une blessure narcissique bien réelle, une estime en soi paraissant fortement atteinte et des sentiments de doutes, d'humiliation et d'angoisses encore très présents. Elle ajoutait : « De mon point de vue, la rupture du contrat semble s'imposer comme la seule issue possible. Elle semble nécessaire pour le travail de reconstruction identitaire et pour permettre à cette dame de se libérer de l'entreprise de son employeur et conséquemment pour l'aider à se projeter dans un nouvel avenir professionnel ».
Rappelant également les données médicales, la cour en a conclu que les faits de harcèlement moral dont la salariée a été victime et dont il est résulté des troubles psychologiques caractérisent une situation de violence au sens de l'article 1112 du code civil justifiant l'annulation de l'acte de rupture conventionnelle.
II – Cour de cassation, 30 janvier 2013
1/ Que disait l’employeur ?
Seule la menace de l'emploi d'une voie de droit abusive constitue une violence. En se fondant sur la circonstance que l'employeur, par lettre du 9 septembre 2008, faisait état de ce que les parties avaient envisagé de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail, la remise le 5 septembre 2008 à la salariée des articles L. 1237-11 à L. 1237-16 du code du travail portant sur la rupture conventionnelle, qui mettaient en évidence une simple proposition de rupture conventionnelle du contrat de travail avec communication des textes la régissant, insusceptibles de caractériser une violence, la cour d'appel a privé sa décision de base légal au regard de l'article 1112 du code civil.
La validité du consentement doit être appréciée au moment même de la formation du contrat. En appréciant la validité du consentement de la salariée pour signer une rupture conventionnelle le 16 septembre 2008, au regard d'un certificat établi le 29 août 2008 par la psychologue sans tenir compte du fait que même de la signature de la convention litigieuse, le médecin du travail, loin de décider que la salariée était inapte à reprendre son poste avec un danger immédiat, l'avait déclaré apte sans réserve à le reprendre, la cour d'appel a violé l'article 1112 du code civill.
2/ Réponse de la Cour de cassation
La cour d'appel a souverainement estimé que la salariée était au moment de la signature de l'acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral dont elle a constaté l'existence et des troubles psychologiques qui en sont résulté, et l’arrêt est confirmé.
L’arrêt est donc lié aux circonstances de faits, telles qu’appréciées par la cour d’appel, mais la conclusion est nette et il sera bien difficile de maintenir une rupture négociée en cas de harcèlement moral.