AN II : mieux répondre à la délinquance des plus jeunes (529)
Droits des enfants - jprosen, 8/05/2013
L'an II du quinquennat s'ouvre. L'an I aura été, nous dit-on, celui des reformes. Il serait plus exact de dire de certaines réformes! D'autres ont été esquissées, voire nettement repoussées. Il est grand temps, la rone électorale de 2014 approchant, de les aborder frontalement. Tout simplement certaines contraintes juridiques les imposent. En vrac et sans exhaustivité : une vraie politique familiale globale incluant une explicitation des responsabilités sur l'enfant, des réponses judiciaires à la délinquance juvénile adaptées et conformes à notre histoire et à l'ordre international, une meilleure mise en oeuvre de la protection de l'enfance une stratégie de l'accès au droit pour tous, notamment aux plus jeunes, une politique de prévention de la délinquance juvénile, etc. Dans cette perspective (optimiste), je restitue ces jours-ci quelques posts propositionnels qui n'ont pas pris une ride en un an.
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N’en déplaise à ceux qui l’ont régulièrement condamnée à mort, l’ordonnance sur l’enfance délinquante, signée le 2 février 1945 par le Général de Gaulle, demeure toujours le texte de base de notre droit pénal des mineurs. Chaque année elle sert de cadre juridique pour trouver la réponse adaptée aux quelques 210 000 personnes de moins de 18 ans – des enfants au sens de la loi internationale – en conflit avec la loi, pour reprendre l’expression anglo-saxonne.
Et elle fonctionne bien. M. Lecerf, rapporteur de la loi du 10 août 2011, à l’époque sénateur UMP, avançait que dans 85,6% des cas un jeune suivi par la justice comme délinquant le temps de sa minorité ne l’était plus une fois majeur.
On a souvent demandé sa suppression au seul prétexte qu’elle datait de 1945. Comme s’il fallait abroger le code civil en avançant qu’il a été promulgué en 1804 par Napoléon ! A l’instar du code civil l’ordonnance du 2 février 1945 a été régulièrement enrichie ou adaptée sans pour autant qu’aient été modifiés ses ressorts fondamentaux. Peu d’articles sont d’origine. On dénombre, au bas mot, 80 modifications, dont une douzaine de 2002 à 2012, avec parfois (2011) quatre réformes la même année, ce qui en dit long sur la rigueur législative de ceux qui ont fait la loi dans cette période, obligés de revoir leur copie pour rectifier leurs erreurs ou leurs oublis.
Pour justifier la mise au rencart de l’ordonnance, des politiciens ont pu lui faire des procès injustes à la hauteur de leur ignorance et surtout de leur mauvaise foi en négligeant les mutations intervenues dans la justice, spécialement depuis 1992, souvent sans qu’il y ait eu à modifier le texte. J’ai déjà eu l’occasion ici de démontrer dans le détail combien la plupart de ces critiques (non-réactivité aux faits commis par des enfants, laxisme, lenteur, échec, etc.) étaient aujourd'hui mal fondées. Je ne ferai donc pas de nouveau cette démonstration sachant qu’il n’y à pire sourds que ceux qui ne veulent pas entendre et sont mus par des a priori scientistes.
En cette date-anniversaire il me paraît aujourd’hui plus pertinent d’être positif et constructif dans le prolongement de mon dernier billet (« A quand un grand « Yes we can ? », post 512).
Il faut déjà relever, comme devait elle même l’avancer en 2008 la Commission présidée par le professeur Varinard installée par Rachida Dati pour « refonder le droit pénal des mineur », que les grands principes qui sous-tendent ce texte restent d’actualité. Et d‘abord la poutre maîtresse qui dit que la délinquance d’un enfant tient à une carence éducative. Il faut donc – dans l’esprit de 1945 – garantir le droit à l’éducation. Disons-le tout net : les parents peuvent avoir une part de responsabilité dans cette carence, comme ils ont une part dans la réussite de leur enfant. Pour autant, une part seulement : le jeune lui-même, son environnement social, l’ambiance générale, des défaillances institutionnelles beaucoup d’éléments contribuent à l’inscrire dans la délinquance. S’il est acquis que nombre d’entre nous ont pu commettre des actes de délinquance dans notre enfance nous n’étions pas inscrits dans la délinquance par-delà ces fautes ponctuelles vite jugulées (2). Pour ces enfants délinquants au sens social du terme, et pas seulement au regard du droit, il faudra du temps pour remonter la pente.
Bien évidemment, en prenant en charge le jeune, il faut avoir le souci de remettre en selle les parents plus souvent démissionnés par les circonstances de la vie (maladie, vieillesse, chômage, incompréhension du système, etc. ) que démissionnaires. Jouer la carte de la culpabilisation comme cela a été tenté peut donner bonne conscience, mais ne change rien à l’affaire. Je ne reviendrai pas sur l’incongruité, pour pas dire l’énormité juridique, de l’idée avancée par Nicolas Sarkozy relayée par son affidé Eric Ciotti d’introduire la responsabilité pénale du fait d’autrui pour les parents dont les enfants continueraient dans la délinquance. Au contraire, il faut soutenir les parents dans l’exercice de leurs responsabilités, parfois les remettre en selle, en tenant compte de deux difficultés majeures modernes : d’abord l’identification des parents et là on retombe sur la question actuellement en débat au-delà du mariage homosexuel avec le souci de mettre en situation juridique les beaux-parents (3) ; ensuite le choc des cultures quand nombre de parents issus de l’immigration croient qu’il suffit d’amener leur enfant à l’école de la République française pour être garantis de leur avenir. Cerise sur le gâteau, ces enfants qui échappent à l’autorité parentale tombent facilement – business oblige – dans la culture de la rue où leurs pairs se substitueront à leur père défaillant.
La priorité éducative posée comme principe de base par l’article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 n’est pas exclusive de la contrainte. En France un mineur peut être condamné à une peine de prison et incarcéré y compris en détention provisoire à 13 ans . Chaque année 6 000 peines de prison ferme sont prononcées et 15 000 avec sursis qui souvent sont révoqués, soit 21 000 peines de prison sur 70 000 décisions : difficile de parler d’exception !
J’ajoute, au risque de choquer, mais foin d’angélisme, que la prison participe à la démarche éducative : elle n’est pas seulement, l’école du crime dénoncée par Alain Peyrefitte (4). Un juge qui a promis la prison à un jeune en cas de réitération doit tenir ses engagements, sinon il n’a plus aucun crédit. Tout simplement, j’affirme, au risque de surprendre ceux qui assimilent un militant des droits de l’enfant à un compassionnel laxiste, que la prison peut parfois protéger tel jeune contre une montée dans la délinquance. En tous cas l’incarcération n’est pas une fin en soi, mais le temps d’une prise en charge laborieuse, sinueuse, faite de rechutes, généralement couronnée de succès quoiqu’on en dise.
J’ajoute que toute démarche éducative entraîne nécessairement une contrainte. Une classe pour suivre attentivement un cours doit être disciplinée et respecter un certain silence ! Pour certains jeunes il a fallu réintroduire à partir de 1999 la contrainte éducative dans la prise en charge par la Protection judiciaire de la jeunesse et les services habilités. Pour autant, les centres éducatifs fermés ne peuvent pas l’être totalement. Sinon il s’agirait de prisons et on serait dans l’extrême confusion quand on la frise tous les jours. Un jeune confié à un CEF doit pouvoir en partir... au risque de voir son contrôle judiciaire révoqué et son incarcération prononcée. C’est l’essence même de la démarche éducative que d’être dans le risque avec la certitude alors que l’incarcération ne se discute pas : il s’agit d’un ordre. Un centre éducatif fermé est d'abord éducatif.
Reste à disposer des hommes et des femmes, en temps et lieux voulus, susceptibles d’accompagner ces jeunes, avant et après leur majorité. Il faut des professionnels, mais également s’appuyer sur la société civile. On reste loin du compte quand on relève les difficultés à trouver des lieux d’accueil éloignés des quartiers ou quand il faut tant de temps pour qu’une mesure éducative prise soit mise en oeuvre alors que la prison fonctionne 24 h sur 24 h. On ne peut pas se contenter d'avoir pour objectif ( loi de mars 2012 - que toute mesure éducative soit exercée dans les 5 jours de son attribution : c'est le jour même qu'elle doit l'être. Apprenons à la PJJ à gérer l'urgence comme l’hôpital le fait. Il y a là une révolution culturelle à entreprendre.
On voit bien que ce n’est pas tant la loi qui est en cause que les moyens en quantité et en compétence mis à son service. Il nous faut inventer ou réinventer de nouveaux modes de prise en charge pour des jeunes plus démunis, plus nihilistes, plus en souffrance que jamais en fustigeant leurs failles, mais aussi et surtout en valorisant leurs qualités : un bon vendeur de cannabis qui « travaille » de midi à 24 chaque jour a des compétences et de l’ardeur au travail. Plus sérieusement, ces jeunes constamment vilipendés ont du positif en eux. Mobilisons-le. Plus généralement il nous faut aussi donner de l’espoir et des perspectives positives à la jeunesse défavorisée. Certes toutes proportions comprises le gâteau collectif à se partager est plus petit que part le passé, certes les parts risquent d’être toujours inégales, mais il faut donner à chacun l’espoir de s’asseoir à la table et de pouvoir construire sa vie. Tout n’est pas pourri et noir dans ce bas monde. Mais où sont les utopies proposées à notre jeunesse ?
En d’autres termes, notre ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante vaut largement mieux que le code de la justice pénale des mineurs que l’on nous promettait : l’enfant y est au cœur. Dans son intérêt mais aussi dans le nôtre bien compris. Ce n’est pas la menace d’une sanction rapide et sévère – sévère parce que rapide – qui empêchera un jeune de basculer de l’autre côté de la loi, mais le projet de vie qu’on prépare avec lui.
Alors bon anniversaire et longue vie à l’ordonnance du 2 février 1945 ! Elle a quelques rides (ex. admonester n’évoque rien aux jeunes) ; un lifting peut lui être nécessaire, mais attention aux greffes : nombre ont échoué lamentablement comme le tribunal correctionnel pour mineurs qu’il faut supprimer au plus vite ou encore le retrait automatique du bénéfice de l’excuse atténuante de minorité.
Mais il ne faut pas attendre d’elle plus qu’elle sait faire : elle peut répondre aux enfants déjà délinquants; elle ne peut pas se substituer à une politique de prévention de la délinquance dont on attend toujours qu’elle soit développée dans ce pays, et pas seulement sous forme de vidéosurveillance. Il faut déjà aller vers les jeunes en difficulté pour éviter qu’ils basculent. Certains départements - je pense à l’Essonne qui hier avec son président de conseil général signait, avec 10 associations, des conventions d’objectifs en accroissant sensiblement les moyens dégagés pour renforcer notablement la prévention spécialisée – les éducateurs de rue et clubs de prévention. Une impulsion nationale s’impose. Comme il faut que l’Etat assume ses responsabilités sur le terrain de la condition parentale en faisant voter la loi sur les responsabilités des tiers.
Il est grand temps de passer à l’acte pour ne pas avoir à multiplier les CEF ou à recruter à tout-va sans engager une mobilisation nationale sereine.
(1) Voir la vidéo du colloque-procès « Faut-il voter la mort de l’ordonnance du 2 février 1945 » organisé par DEI-France et l’APCEJ et l‘Ordre des avocats de Bobigny le 26 septembre 2009 à l'Assemblée nationale. Spécialement les interventions de Robert Badinter et de Catherine Dolto. 6 heures de vidéo disponible à l’APCEJ, 41 rue de la République – 93200 Saint Denis
(2) Les enquêtes d’auto-confessions menées par le ministère de la justice montrent que 80% des personnes interrogées admettent avoir volé quand elles étaient mineures. Le ministre de la justice d’alors admettait lui-même en public quand je l’interrogeais sur ce point qu’il avait volé des … chocolats, mais qui vole un œuf vole un bœuf ! Il était formellement délinquant , mais pas inscrit dans la délinquance
(3) Voir mes blogs sur le statut des tiers
(4) Rapport sur la Violence, 1978