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Est-il homophobe de refuser l’adoption à un couple de femmes mères par PMA ? (563)

Planète Juridique - admin, 3/05/2014

Par un jugement rendu le 30 avril le tribunal de grande instance de Versailles a donc refusé l'adoption de l'enfant du conjoint au sein d'un couple homosexuel dans la mesure où l’enfant était né d’une PMA. Une première nous dit-on. … Continuer la lecture

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avocats006(1)Par un jugement rendu le 30 avril le tribunal de grande instance de Versailles a donc refusé l'adoption de l'enfant du conjoint au sein d'un couple homosexuel dans la mesure où l’enfant était né d’une PMA. Une première nous dit-on. Pas évident, mais peu importe. Un acte homophobe entend-t-on déjà affirmé car cette décision négligerait à la loi de mai 2013 qui a reconnu le mariage entre personnes du même sexe et leur a dès lors ouvert le droit à adopter.

La difficulté tient en l’espèce à ce que l'enfant, un petit garçon de 4 ans, a été conçu par procréation médicalement assistée avec donneur anonyme en Belgique par l’une des deux femmes unies depuis 2013 par le mariage, mais vivant ensemble depuis quinze ans.

Le couple envisage de faire appel, mais cette décision souffre-t-elle l’opprobre comme on voudrait le faire croire ? Peut-on la taxer d’être homophobe ?

Certes la loi de mai 2013 – et c’est la principale critique qui lui a été faite de touts les bords de l’échiquier - autorise l’adoption par un couple homosexuel dès lors qu’il est marié. Reste, et pour cause si on veut bien se souvenir des conditions de son enfantement, que ce texte qualifié d’une manière inappropriée de loi sur le mariage pour tous n’a pas traité des naissances par PMA comme beaucoup y appelaient : elle ne les a ni autorisées, ni interdites.

Pour  Gaëlle Dupont (Le Monde du 2 mai 2014) une place à l'interprétation existerait ainsi, car la loi sur le mariage homosexuel dans la mesure où justement elle passe sous silence le mode de conception de l'enfant. Certains tribunaux ont accordé les adoptions sans problème. A Marseille, Aix-en-Provence et Toulouse, le ministère public s'y est opposé mais l'adoption a malgré tout été prononcée. Le parquet a fait appel. La cour de cassation sera appelée à trancher ce flou.

On peut tout aussi bien affirmer que la loi est claire et nette : le gouvernement et parlement n’ont pas voulu généraliser le recours à la PMA qui, en l’état reste un traitement de la stérilité des couples hétérosexuels. Il n’est toujours pas un mode de procréation parmi d’autres. On peut en penser ce qu’on en veut, mais telle est la loi de la République. On ne peut pas un jour s’appuyer sur la loi quand elle vous convient et le lendemain violer cette même loi

Ce souci de forcer les termes de la loi formelle en s'efforçant d'obtenir des juges ce que les politiques ont refusé d’adopter n’est pas une première.

PetitjugeLa justice avait déjà refusé de céder au chantage ceux de nos compatriotes qui, ayant ostensiblement violé la loi française en se rendant à l‘étranger pour recourir à une GPA condamnée dans l’hexagone, entendaient exciper de leur nationalité pour obtenir que la filiation maternelle soit établie et la nationalité française accordée à l’enfant ainsi conçu sachant que pour ceux nés aux USA ils sont déjà américains.

On rappellera qu’en 2011 la Cour de cassation saisie de plusieurs procédures avait de nouveau admis la filiation de l'homme donneur du sperme nécessaire à la conception de l'enfant, mais en revanche elle était restée  inflexible sur la filiation maternelle estimant qu’en l’état du droit d’alors l'enfant ne pouvait pas en droit français avoir deux mères (Cass. civ. 1, 06/04/11. pourvoi 09-66486).

Concrètement la Cour de cassation s’agissant de la prise en compte par l'état-civil français de la filiation établie à l'étranger, en l'espèce aux USA, estima qu’ "est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-77 et 16-9 du code civil" ;qu’une telle annulation, qui ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec les époux X... en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant ; que le moyen n’est pas fondé"

Sous la pression des couples concernés, une circulaire Taubira du 25 janvier 2013, tout en refusant d’anticiper sur une loi sur la filiation non encore votée, avait trouvé un compromis légal dans l’intérêt de ces enfants nés à l’étranger d’un parent français en leur permettant d’obtenir la nationalité française.

Dans l’irrationnel qui domine ces questions, cette circulaire a été souvent très mal interprétée : mauvaise comme tout compromis, porte ouverte vers la reconnaissance de la GPA pour l’UMP, obscurantisme forcée pour les militants homosexuels, etc. que n’a-t-on pas dit sur ce positionnement. Personnellement, au regard de notre droit je l’avais approuvée l’a jugeant sévère mais juste (blog 513). Dans la mesure où les enfants avaient un parent français ils devaient être reconnus comme français ; de là, à admettre le lien de filiation crée illégalement il y avait une marge ! Cette circulaire faisait une bonne interprétation du droit, ni plus, ni moins.

Dès lors on est surpris aujourd’hui que les deux épouses des Yvelines se disent surprises par la décision du TGI de Versailles.

Cette procédure leur apparaissait comme une formalité au regard de la loi d’avril 2013 : «La loi a été faite pour sécuriser les enfants ! », aurait avancé l’une d’elles.

Tel était sans doute le discours tenu par les ministres et les parlementaires au moment des débats au Parlement. Il était en effet admis que la loi allait surtout servir à régulariser la situation d'enfants nés par PMA à l'étranger – Belgique, Danemark, Espagne. Mais c’était prendre certains désirs pour des réalités au mépris de l’évidence politique et finalement juridique : la loi n'est pas aussi claire et pour cause puisque la question n‘a volontairement pas été tranchée.

avocat_jeuneIl était évident qu’on allait vers des difficultés quand le désir l’enfant poussait à violer la loi. Le TGI de Versailles aujourd’hui, comme hier la Cour de cassation, est donc contraint de remettre les pendules à l’heure. Les étudiants de première année de droit y retrouveront l’une des sujets les plus ardus du droit des obligations qu’ils aient à intégrer : la théorie de la cause. Est nul le contrat fondé sur une cause illicite.

Le tribunal de Versailles a ainsi estimé que « le procédé qui consiste à bénéficier d'une assistance médicale à la procréation interdite en France, puis à demander l'adoption de l'enfant, conçu conformément à la loi étrangère mais en violation de la loi française, constitue une fraude (…) et interdit donc l'adoption de l'enfant illégalement conçu ». Il se réfère à la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 (saisi par les parlementaires de l'opposition) qui rappelle que la PMA n'est pas ouverte aux couples de femmes en France. Les juges sont tenus de vérifier « que la situation juridique qui leur est soumise ne consacre pas une fraude à la loi ».

Il fallait bien rappeler ce principe de base d’une démocratie avancée.

Le législateur savait ce qu’il faisait en en restant là où il est demeuré en 2013. On n’a pas à lui forcer la main. On sait que le débat sur le recours généralisé aux techniques de fécondation assistées pose de sérieux problèmes. Après de houleux débats, l'ouverture de la PMA en France aux couples de femmes n'a pas été intégrée dans le texte. Il serait fallacieux d’interpréter le silence de la loi et d’affirmer que si la PMA est légalement réservée aux couples hétérosexuels infertiles, aucune loi n'interdit explicitement aux lesbiennes d'y avoir recours. Et le gouvernement lucide sur le fait que le débat sur la filiation ‘a pas été mené comme il le fallait dans notre pays ; vient de réaffirmer que le sujet ne serait pas rouvert d'ici à 2017.

C’est tellement vrai que si la PMA reçoit un accueil positif relativement large, nombreux même parmi ses partisans tiquent sur la GPA qui emporte une représentation régressive de la femme que nous combattons tous. Or on ne pourra pas refuser aux uns ce qu’on accepterait pour les autres ! Les juges affirment aussi qu'autoriser les adoptions au sein des couples de femmes reviendrait à « établir une distinction avec les couples homosexuels hommes, pour lesquels le recours à la gestation pour autrui est pénalement répréhensible », ce qui porterait atteinte au principe d'égalité devant la loi.

Ceux qui prônent la PMA et la GPA d’appeler aujourd’hui le gouvernement à travers une circulaire Justice de leur donner raison négligent qu’une circulaire n’est pas là pour reconnaitre de nouveaux droits et se substituer pas à la loi, mais pour interpréter la loi (con. supra la circulaire Taubira de janvier 2013). Or la loi n’autorise pas le recours à la PMA entre personnes de même sexe. Tout logiquement, pressé de réagir au jugement de Versailles, le ministère de la justice affirme aujourd’hui qu’il « ne prend pas position sur les dossiers individuels. Il faut attendre que la justice avance. » Prudence donc, mais comment faire autrement ?

balance.jpgEn tous cas, le jugement de Versailles ne peut pas être taxé d’homophobie. Il se contente de rappeler un grand principe : on ne peut pas fonder un droit sur une violation de la loi. Or la PMA entre personnes homosexuelles n’est pas (aujourd’hui) légale en France.

Je tirerai personnellement deux morales civiques de cette histoire :

1)        Que ceux quoi violent ostensiblement la loi pour satisfaire leur désir d’enfant - au demeurant compréhensible et légitime - soient aussi souples dans l’interprétation de la loi quand d’autres ne la respectent pas pour satisfaire d’autres désirs tous aussi essentiels pour eux! Derrière le mauvais humour : prenons garde à ne pas vouloir, chacun pour soi, faire loi !

2)         On peut légitimement être choqué de personnes se revendiquant comme françaises qui vont violer la loi de leur pays à l’étranger pour ensuite vouloir forcer les termes de la législation française en se retranchant derrière l’enfant conçu illégalement. On condamne cette pratique en matière fiscale ; on se doit de la condamner ici.


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