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Quelques remarques à propos du contrôle de la régularité des procès criminels

Paroles de juge - , 10/06/2012

Par Michel Huyette


  Les "droits de l'homme" sont aujourd'hui plus que jamais au coeur des procédures judiciaires. Nos codes ont peu à peu ouvert leurs pages à l'énoncé des principes les plus fondamentaux, tel l'article préliminaire du code de procédure pénale (texte ici), et l'activité judiciaire est encadrée tant pas les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (son site) que par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel saisi de plus en plus souvent par le biais des QPC (cf. la rubrique dédiée et ici). 

  Si personne ne peut trouver d'argument convaincant pour s'opposer à cette inexorable et bienvenue évolution vers une meilleure prise en compte des droits et libertés fondamentaux, il n'en reste pas moins qu'il reste à définir la façon de vérifier si des droits fondamentaux sont effectivement bafoués afin, et c'est cela qui nous intéresse aujourd'hui, d'éviter tout dérapage. En effet, une prétendue violation d'un droit essentiel ne doit pas suffire à remettre en cause une procédure qui, de fait, est irréprochable. 

  C'est bien pour cela que la CEDH prend toujours soin d'examiner quelle a été la situation concrète du requérant pour vérifier si, en réalité et non pas seulement en théorie, l'un de ses droits a été bafoué.

  En droit interne, c'est la cour de cassation qui, en dernier ressort, a pour mission de vérifier si les procédures judiciaires ont été conduites dans le respect du droit des justiciables. Mais, même si cela peut surprendre, il peut arriver que la cour de cassation sanctionne une procédure quand bien même il n'est pas certain que la procédure suivie ait été réellement irrégulière.

  Prenons trois exemples pour illustrer cette problématique, à partir du contrôle de la régularité des décisions des cours d'assises.


   Au terme de la partie pénale du procès, de même que pendant la phase civile (l'indemnisation des victimes) en cas déclaration de culpabilité de l'accusé, la parole est donnée à toutes les parties au procès : partie civile, minisère public, défense. Il s'agit là de démarches essentielles et qui de ce fait ne sont jamais oubliées. Au demeurant, si l'une des parties au procès ne se voyait pas donner la parole par le président, elle lui ferait aussitôt remarquer. Mais de toutes façons ce mécanisme est tellement ancré dans les habitudes puisqu'il est le même devant toutes les juridictions pénales que, de fait et sans doute à chaque fois, chacun peut s'exprimer quand son tour est venu.

  Dans une affaire un homme a été condamné à sept années de prison pour viols, puis la cour (les trois magistrats sans la présence des jurés) a condamné l'accusé à verser des dommages-intérêts à la victime.

  Comme il s'agissait d'une cour d'assises d'appel, l'accusé a formé un pourvoi en cassation contre la décision. Son pourvoi contre la décision pénale a été rejeteé.

  Contre la décision civile il a fait valoir qu'il "ne résulte d'aucune disposition de l'arrêt civil qu'après audition de la partie civile et de son avocat, le ministère public, l'accusé et son conseil aient eu la parole".

  La cour de cassation dans un arrêt du 23 mai 2012 (décision ici) a statué en ces termes :


  "Vu l'article 371 du code de procédure pénale ;
  Attendu que, selon ce texte, après que la cour d'assises s'est prononcée sur l'action publique, la cour, sans l'assistance du jury, statue sur les demandes en dommages-intérêts formées par la partie civile contre l'accusé, après que les parties et le ministère public ont été entendus ;
  Attendu qu'il ne résulte d'aucune mention de l'arrêt civil que l'accusé ou son avocat, ainsi que le ministère public, aient été entendus en leurs observations, conclusions ou moyens de défense ;
  Qu'il s'ensuit que le principe ci-dessus rappelé a été méconnu et que la violation de cette formalité substantielle, qui porte atteinte aux droits de la défense, entraîne la nullité de l'arrêt civil ;
  Que dès lors, la cassation est encourue de ce chef."

  Une troisième juridiction (une chambre correctionnelle et non une cour d'assises parce que seul l'arrêt civil est annulé) va donc devoir statuer de nouveau sur l'indemnisation de la victime.


  Ce qui est très particulier dans le raisonnement de la cour de cassation c'est la chose suivante : ce qui est sanctionné ce n'est pas l'absence de prise de parole de l'accusé et du ministère public une fois présentée la demande indemnitaire de la partie civile. C'est uniquement le fait que sur le procès verbal qui contient le compte rendu des débats, il n'est pas écrit qu'ils ont eu la parole.

  Or ce n'est certainement pas parce qu'il n'est pas écrit dans ce PV que deux parties ne se sont pas exprimées que réellement elles n'ont pas eu la parole. Il peut tout simplement y avoir une erreur de retranscription du contenu des débats, ou u manquement lors de la mise en forme du PV.

  D'ailleurs, l'accusé et son avocat ont écrit dans leur pourvoi non pas qu'ils n'ont pas eu la parole mais que "les mentions de l'arrêt attaqué statuant sur les intérêts civils ne font pas état de ce que le ministère public, l'accusé ou son conseil auraient été entendus". Et cela n'est pas la même chose.

  Cela signifie quoi ? Que si une erreur de retranscription a été commise dans le procès verbal, parce que l'accusé et le ministère public ont bien eu la possibilité de s'exprimer, l'accusé qui à l'audience a bien vu que les règles ont été respectées, qui avec ses propres oreilles a entendu son avocat ainsi que le représentant du Parquet s'exprimer sur la demande de la partie civile, a soutenu devant la cour de cassation que ces derniers n'avaient pas eu la parole 
en sachant que cela était matériellement inexact. Et que la cour de cassation a cassé l'arrêt civil sans savoir si, en vrai, les règles de procédures ont été ou non bafouées. 


  Prenons un autre exemple.

  Un accusé condamné pour meurtre à 20 ans de réclusion par une cour d'assises d'appel a fait valoir dans son pourvoi, entre autres arguments, qu'il n'était pas certain à la lecture du procès verbal que l'un des experts cités devant la cour avait été entendu.  Il a écrit dans son pourvoi : "
qu'il ne ressort pas du procès-verbal des débats que le docteur Y..., expert cité et signifié, ait été entendu lors des débats."

  La cour de cassation a traité la problématique en ces termes (décision ici) :

  "
Vu l'article 378 du code de procédure pénale, ensemble les articles 11688, 347 et 593 du code de procédure pénale ;
  Attendu que le procès-verbal des débats que dresse le greffier en exécution de l'article 378 du code de procédure pénale ne constate valablement l'accomplissement des formalités prescrites qu'à la condition d'être exempt de contradictions ;
  Attendu qu'en l'espèce le procès-verbal mentionne que "n'ayant plus ni témoin ni expert à entendre, la présidente a déclaré l'instruction close", sans constater que le docteur Y..., expert acquis aux débats, ait été entendu ; 
  Mais attendu qu'il résulte de cette contradiction une incertitude sur le point de savoir si l'expert précité a ou non été entendu ;
  D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue."

  Là encore ce qui est assez extraordinaire c'est que la cour de cassation retient dans sa décision qu'il existe une "incertitude" quant à l'audition de cet expert, alors que l'accusé et son avocat, auteurs du pourvoi, savent très exactement si cette personne a été entendue puisqu'ils étaient, eux, dans la salle d'audience ! Et, si tel est le cas, que le PV contient une erreur non conforme à la réalité. Ce qui signifie que l'accusé et son avocat ont obtenu une cassation en faisant valoir qu'une personne n'a peut-être pas été entendue tout en sachant parfaitement qu'elle l'a été.


  Prenons un dernier exemple.

  Le code de procédure pénale permet au président de la cour d'assises de faire mentionner dans le procès verbal certains des propos de l'accusé.  Cela peut être opportun quand un accusé fait des déclarations qui sont très nouvelles par rapport à ses propos antérieurs. C'est le président qui seul peut décider si tel propos sera mentionné dans le PV et qui dans l'affirmative transmet la consigne au greffier.

  Dans cette affaire, un homme condamné pour assassinat à 20 années de prison a fait valoir que "
le procès-verbal reproduit le contenu des déclarations de l'un des accusés,  Y..., en relation avec la culpabilité de X..., son co-accusé, sans mentionner que l'ordre en ait été donné par le président".

  Dans sa décision (arrêt ici), la cour de cassation a annulé l'arrêt de la cour d'assises au motif que "le procès-verbal des débats reproduit, sans mentionner que l'ordre en ait été donné par le président, les déclarations d'un des accusés".

  Pourtant tous les praticiens de la cour d'assises savent bien que quand les propos d'un accusé sont mentionnés dans le procès verbal, ce n'est certainement pas à la demande de l'huissier, du policier de service, ou même d'un avocat, mais, toujours, à la demande du président. Aucun greffier n'accepterait de recevoir des consignes en ce sens de toute autre personne que le président. 

  Quoi qu'il en soit le constat est le même que dans les deux premiers exemples : l'accusé et son avocat qui ont fait valoir non pas que ce n'est pas le président qui a donné la consigne mais que cette démarche n'est pas expressément mentionnée dans le PV ont eux-même, si tel est bien le cas ce qui est plus que probable, entendu le président donner la consigne au greffier. L'erreur est dans le procès verbal, alors que toutes les règles de procédure ont été scrupuleusement respectées. Il est donc présenté devant la cour de cassation un argument alors que l'auteur du pourvoi sait que, à l'audience, le code de procédure pénale a été respecté à la virgule près, ce qu'il se garde bien d'indiquer à la juridiction suprême.


  Résumons la problématique : Faute de savoir exactement ce qui s'est passé à l'audience puisque le procès verbal est le seul document de référence à sa disposition, la cour de cassation annule des décisions de cours d'assises au vu des mentions d'un procès verbal même quand les acteurs du procès concernés savent que contrairement à ce qui est mentionné dans ce PV, qui est erroné, toutes les règles ont été respectées et qu'il n'y a eu aucune violation d'un quelconque droit.

  Et ces demandes de cassation sont parfois présentées par des accusés et des avocats qui, présents à l'audience, savent que le contenu du procès verbal n'est pas conforme à ce qui s'y est réellement passé. Ils soutiennent donc qu'il y a eu un dysfonctionnement, une violation d'un texte, tout en sachant que tel n'a pas été concrètement le cas.

  Cela est quand même un peu troublant. Surtout quand on réalise quelles sont les conséquences de l'organisation d'un troisième procès pour toutes les personnes impliquées au premier rang desquelles les parties civiles quand elles ont bien été victimes des faits reprochés à l'accusé.


  Comme cela a déjà été indiqué ici, l'une des solutions envisageables est l'enregistrement audio-visuel de tous les procès. Le visionnage du film permettrait de vérifier tout ce qui s'est dit et fait. Le DVD serait à la disposition de la cour de cassation qui, en fonction de la nature des pourvois, le regarderait si nécessaire pour vérifier ce qu'a véritablement été la réalité

  En attendant, savoir que des procédures sont annulées alors qu'elles se sont parfaitement déroulées peut laisser perplexe et inciter à rechercher sans trop tarder d'autres mécanismes du contrôle de la régularité des procédures criminelles.


  Une dernière remarque s'impose.

  Souvent, des accusés et leurs avocats, mécontents d'une décision d'une cour d'assises, déclarent qu'ils vont se pourvoir en cassation.

  Mais quand la cour de cassation annule la décision pénale d'une cour d'assises d'appel, la troisième cour d'assises qui rejuge l'affaire dispose d'une entière liberté pour statuer tant sur la culpabilité que sur la sanction.

  Dans la troisième situation mentionnée plus haut, l'accusé pousuivi pour assassinat et auteur du pourvoi avait été condamné à 20 ans de prison par la deuxième cour d'assises d'appel. Après avoir obtenu avec son avocat l'annulation de cette décision, il a été condamné à trente ans de prison par la troisième cour d'assises.

  Son second pourvoi a été rejeté et cette décision de condamnation est dorénavant définitive.

  



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