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Référencement payant et utilisation d’une marque : la France s’aligne sur l’Europe

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Matthieu Bourgeois, 6/04/2012

Depuis la célèbre décision « Interflora » rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) fixant les principes à respecter pour utiliser une marque comme mot-clé dans le cadre d’un service de référencement payant (comme le service « AdWords » de Google), les praticiens attendaient avec impatience de voir la façon dont les juridictions françaises appliqueraient ces principes dictés par les magistrats européennes. Voilà qui est désormais chose faite avec le jugement « Google/Hifissimo » rendu par le Tribunal de grande instance de Paris, le 27 mars 2012. Cette décision est d’autant plus remarquable que les juges français se prononcent sur une très large palette de fondements juridiques, en ne se limitant pas au seul droit des marques, mais en examinant également, en détail, les arguments tirés de la concurrence déloyale ainsi que du droit de la consommation (publicité comparative et trompeuse), apportant ainsi de précieuses précisions aux praticiens et à l’ensemble des acteurs du e-commerce.
De quoi s'agissait-il ?
La société « Hifissimo », commercialisant des produits Hi-fi vidéo notamment en ligne (sur le site du même nom), était titulaire du droit exclusif d’utiliser la marque du même nom, qui avait été déposée en 1998.

Sans lui demander son accord, l’un de ses concurrents (la société « Home Ciné Solution ») avait ensuite réservé le terme « Hifissimo » à titre de mot-clé auprès de Google afin de générer un lien commercial, dont l’affichage, déclenché par la saisie de ce mot-clé dans le formulaire de requête Google, était accompagné du texte suivant (l’« annonce ») : - « Hi-fi et Home cinéma, pourquoi payer plus cher ? Choix, qualité et services depuis cinq ans, www.homecinesolutions.fr ».

Le titulaire des droits sur cette marque a alors saisi le Tribunal de grande instance de Paris en janvier 2008, en soutenant qu’un tel usage de sa marque constituait, non seulement un acte de contrefaçon (1), mais également un acte de concurrence déloyale (2), ainsi qu’un acte de publicité trompeuse et également de publicité comparative illicite (3).

A la suite d’une suspension de la procédure due à la question préjudicielle posée par la Cour de cassation le 20 mai 2008 à la CJUE, au sujet de l’interprétation de la directive 89/104 du 21 décembre 1988 au regard de l’utilisation de marques dans le cadre de services de référencement payant, cette affaire a ensuite été rétablie en novembre 2011, à la suite des
arrêts « Google » rendus par la CJUE le 23 mars 2010 et de ceux rendus par la Cour de cassation le 13 juillet 2010.

C’est donc en l’état des dernières précisions apportées par les Cours suprêmes européenne et française que le Tribunal de grande instance de Paris s’est prononcé dans cette affaire pour en appliquer les principes.

La mise hors de cause de Google France
A titre préliminaire, l’on relèvera avec intérêt que les juges ont, dans cette décision, prononcé la mise hors de cause de la société « Google France », au motif que cette société « n’a reçu aucun pouvoir quant à l’administration du système Adwords y compris sur le territoire français, ce système étant géré par l’Europe à travers la filiale irlandaise de la société Google Inc. ». Selon les juges, il résultait des pièces versées aux débats que la société Google France, qui « n’a aucun droit sur ce logiciel », ne saurait dès lors être mise en cause puisque « aucune des conditions de l’apparence ne sont réunies, (…) les informations disponibles quant à la société Google France étant suffisamment claires ».

La position du Tribunal est ici conforme à la plupart des décisions rendues par les juridictions françaises à l’encontre de Google, et dans lesquelles la société Google France a été, la plupart du temps, mise hors de cause.

Les apports de la décision, sur le fond
1.Le rejet de l’action en contrefaçon de marque, pour cause de déchéance

Sur ce point, on se rappellera la position très libérale adoptée par les juges communautaires dans les célèbres
arrêts « Google » du 23 mars 2010 et dans l’arrêt « Interflora » du 22 septembre 2011, qui avaient affirmé la liberté de réserver et d’utiliser comme mot-clé la marque d’un tiers sans son accord, dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à l’une de ses « fonctions essentielles » (au premier rang desquelles figurent celle de garantir « l’origine » du produit ou service). La juridiction suprême communautaire a ainsi précisé qu’il était possible pour le titulaire de s’opposer à un tel usage par un tiers non autorisé s’il est démontré que lien commercial suggère (explicitement ou implicitement) « l’existence d’un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque » (CJUE, arrêt
« Interflora »).

Dans la présente affaire, les juges n’ont pas eu besoin d’appliquer ces principes, en raison de l’absence « d’usage sérieux » constaté « pendant une période ininterrompue de cinq ans », ainsi que l’exige l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle sanctionnée par la déchéance de la marque considérée.

Dans la mesure où la société « Hifissimo » ne vendait aucun produit sous sa propre marque et revendait au contraire des produits Hi-fi, vendus sous les marques de leurs fabricants, les juges en ont déduit qu’elle n’utilisait « pas ses marques pour identifier les produits qu’elle vend », mais simplement comme « enseigne ou simple dénomination sociale » insusceptible de caractériser un usage sérieux, au sens de l’article L.714-5 précité et aboutissant donc à la déchéance des droits du demandeur sur sa marque.

Cette sanction, particulièrement lourde de conséquences, rappellera à tous qu’il est indispensable de définir une politique marketing qui soit conforme aux exigences légales posées par le droit des marques, et dont ce jugement est une (sévère) illustration.

2. Le rejet de l’action en concurrence déloyale : l’application des principes dégagés par CJUE

Sur ce fondement, la société « Hifissimo » reprochait à la défenderesse d’avoir utilisé sa dénomination et son nom commercial comme mot-clé, dans le cadre du service « AdWords » en soutenant qu’un tel usage constituait un acte de concurrence déloyale.

C’est ici que l’application des principes tirés de l’arrêt « Interflora » est la plus nette. En effet, les juges rappellent que
« l’utilisation (…) de la dénomination sociale (…) comme mot-clé, ne peut constituer un acte de concurrence déloyale que dans la mesure où le contenu de l’annonce induirait dans l’esprit du consommateur, une confusion et l’amènerait à croire qu’il s’adresse au même distributeur », dès lors que « la présentation des liens commerciaux (…), sous la bannière « liens commerciaux » permet aux internautes moyennement attentifs et normalement avertis de distinguer les annonces publicitaires des résultats naturels » et que « les utilisateurs du moteur de recherche « Google » connaissent parfaitement bien ce schéma et savent que les annonces publicitaires apparaissent concomitamment aux résultats naturels » .

Les juges confirment ici pleinement la position de la CJUE et relayée par la Cour de cassation, selon laquelle la réservation de marques comme mots-clés dans le cadre du service « AdWords » n’est pas illicite en soi ; un tel usage ne peut devenir illicite que si, au vu des circonstances de l’espèce (et en particulier au vu de la façon dont est rédigée l’annonce s’affichant à côté du lien commercial), il est suscité une confusion dans l’esprit du consommateur ou une manœuvre déloyale visant à le détourner de l’objet de sa recherche.

Ces principes étant rappelés, les juges se sont ensuite livrés à un examen du texte de l’annonce s’affichant à côté du lien commercial litigieux, en considérant que :
- « les termes Hi-fi et Home cinéma sont génériques » et que la société défenderesse ne peut pas, en conséquence, « prétendre avoir un droit de propriété exclusif » sur ceux-ci ;
- « la locution “Pourquoi payer plus cher ? ” est un slogan publicitaire utilisé de façon assez banale » ;
- la formule « “Choix, Qualité et Service depuis cinq ans” énonce que le distributeur (…) propose depuis cinq ans des produits de qualité qui sont des marques des fabricants et qu’il dispose d’un certain choix » et que, dès lors, de tels termes sont « neutres et ne peuvent constituer un acte de concurrence déloyale » ;
- « aucune confusion avec la société Hifissimo n’est suggérée par le libellé de l’annonce », et ce point est d’ailleurs renforcé par la circonstance que « le texte de l’annonce est suivi immédiatement de l’adresse du site Internet de la société Solutions S.A.R.L. ».


Les juges confirment donc ici la position libérale retenue par la CJUE tendant à considérer que l’usage des mots sur Internet doit être ouvert à tous les acteurs économiques, dans la mesure où il s’agit du principal critère de navigation et de recherche et, par voie de conséquence, d’un élément déterminant pour assurer la libre concurrence entre les différents acteurs du e-commerce.

3. Rejet de la demande sur le fondement de la publicité comparative et trompeuse

Les juges ont également rejeté les deux arguments de la demanderesse en estimant que :

- le slogan « Pourquoi payer plus cher ? » se contente d’affirmer que l’on « peut trouver ce prix bas sur le site de la défenderesse » ce qui « ne peut s’assimiler à une publicité comparative car il n’est pas dit qu’on ne peut trouver ces prix bas nulle part ailleurs » ;

- que la façon dont est rédigée et présentée l’annonce n’est susceptible d’entraîner aucune confusion, ni tromperie dans l’esprit du consommateur, au sens de l’article L.121-1 du Code de la consommation, pour les raisons déjà évoquées plus haut.

Cette décision confirme également qu’il est nécessaire de se livrer à un examen concret des circonstances dans lesquelles une marque est utilisée à des fins de référencement payant et, en particulier, de se livrer à un examen détaillé de la façon dont est rédigée l’annonce affichant avec le lien commercial concerné, annonce qui peut être attaquée – on le voit bien avec cette décision – sur une multitude de fondements juridiques (contrefaçon de marques, publicités comparatives, concurrence déloyale, pratiques commerciales trompeuses…) mais dont les juges font ici une application stricte dans le souci manifeste d’assurer une libre concurrence entre les acteurs de l’Internet pour lesquels l’usage libre des mots est une ressource essentielle, afin de capter une clientèle en ligne.


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