Conseil d’État, 334465
- wikisource:fr, 7/04/2010
1er avril 2010
Visas
Vu le jugement du 26 novembre 2009, enregistré le 9 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, par lequel le tribunal administratif de Dijon, avant de statuer sur la demande de la SAS MARSADIS tendant, à titre principal, à ce que soit prononcée la restitution d’une somme de 21 303 euros, représentant le montant de la taxe sur les achats de viande qu’elle a acquittée au titre de la période du 1er janvier au 31 mars 2003, et, à titre subsidiaire, à ce que la Cour de justice des Communautés européennes soit saisie de questions afférentes au litige, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’État en soumettant à son examen les questions de savoir :
1°) si, dans le cadre d’une procédure contentieuse fiscale, un requérant peut utilement invoquer le principe de l’estoppel, principe selon lequel une partie ne saurait se prévaloir de prétentions contradictoires au détriment de ses adversaires ;
2°) si, dans l’hypothèse où le moyen serait opérant, un dégrèvement accordé puis retiré en cours d’instance devant le tribunal administratif et une déclaration du ministre devant l’Assemblée nationale, sans relation avec la procédure contentieuse, sont susceptibles de constituer des prétentions contradictoires au sens du principe de l’estoppel ;
3°) en cas de réponse positive aux deux premières questions, quelle est la portée du moyen tiré de la méconnaissance du principe de l’estoppel sur l’ensemble des prétentions de la société requérante, dans la mesure où seule la période antérieure au 31 décembre 2000 est concernée par le dégrèvement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Rend l’avis suivant :
La première question posée par le tribunal administratif est de savoir s’il existe, en contentieux fiscal, une règle générale de procédure en vertu de laquelle une partie ne pourrait, après avoir adopté une position claire ou un comportement non ambigu sur sa future conduite à l’égard de l’autre partie, modifier ultérieurement cette position ou ce comportement d’une façon qui affecte les rapports de droit entre les parties et conduise l’autre partie à modifier à son tour sa position ou son comportement, règle relevant dans certains systèmes juridiques du principe dit de l’estoppel, issu à l’origine du droit anglais.
I. Les litiges fiscaux ont pour objet de déterminer le montant de l’impôt légalement dû, de trancher des contestations sur les procédures suivies par l’administration pour en assurer le recouvrement ou de statuer sur le bien-fondé de l’application des sanctions fiscales prévues par les textes législatifs ou réglementaires.
Les obligations des contribuables résultent des textes législatifs et réglementaires, à l’application desquels l’administration ne peut renoncer. Sous réserve des garanties prévues pour le contribuable par les articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, rappelées au II ci-dessous, la position ou le comportement de l’administration avant la procédure contentieuse, lors de l’instruction de la réclamation ou en cours d’instance devant le juge de l’impôt, quelles que soient leurs évolutions ou contradictions éventuelles, ne peuvent faire obstacle à l’application par le juge de l’impôt de la loi fiscale, dans le cadre des moyens soulevés par chacune des parties et de ceux qu’il est tenu de relever d’office.
II. En outre, les comportements de l’administration qui pourraient être qualifiés de changement de position sont encadrés par des garanties au bénéfice du contribuable, dont le juge de l’impôt assure le respect :
- Les articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales permettent au contribuable, dans les conditions et limites qu’ils fixent, d’opposer à l’administration l’interprétation d’un texte fiscal qu’elle a formellement admise ou une prise de position formelle de sa part sur une situation de fait au regard du texte fiscal.
- Lorsque l’administration a prononcé le dégrèvement d’une imposition, elle ne peut établir, sur les mêmes bases, une nouvelle imposition sans avoir, préalablement, informé le contribuable de la persistance de son intention de l’imposer.
- Si l’administration peut, à tout moment de la procédure contentieuse, y compris pour la première fois en appel, invoquer tout nouveau fondement à une imposition contestée devant le juge de l’impôt, c’est à la condition qu’un débat contradictoire ait lieu sur ce point devant le juge et que le nouveau fondement invoqué ne prive pas le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi. Symétriquement, d’ailleurs, l’article L. 199 C du livre des procédures fiscales permet au contribuable de soulever tout moyen nouveau en cours de procédure, y compris pour la première fois en appel.
Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de répondre par la négative à la première question posée par le tribunal administratif. Les deuxième et troisième questions sont, par suite, sans objet.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Dijon, à la SAS MARSADIS et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.