Commission nationale de réparation des détentions, décision n° 09 CRD 046 du 15 février 2010
- wikisource:fr, 29/03/2010
15 février 2010
Sommaire |
Visas
Demandeur : M. D… X…
Défendeur : Monsieur l’agent judiciaire du Trésor
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION,
Attendu que, par décision du 20 janvier 2009, le premier président de la cour d’appel de Bordeaux a alloué à D… X… la somme de 16 000 euros au titre du préjudice moral et rejeté la demande présentée au titre du préjudice matériel qu’il a estimé injustifié, à raison d’une détention provisoire effectuée pour des faits ayant donné lieu à un arrêt d’acquittement devenu définitif ;
Attendu que M. X… et l’agent judiciaire du Trésor ont formé des recours réguliers contre cette décision ; que M. X…, réitérant ses demandes initiales, sollicite le paiement des sommes de 28 150,36 euros et 100 000 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral ; que l’agent judiciaire du Trésor, dans le cadre de son recours limité au préjudice moral, sollicite la réduction à de plus justes proportions de l’indemnité allouée à ce titre ;
Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;
Sur la durée de la détention indemnisable :
Attendu que M. X… a été interpellé en Espagne le 12 juillet 2005, sur mandat d’arrêt européen, puis transféré en France le 9 janvier 2007, avant d’être placé en détention provisoire le 12 janvier 2007 ; qu’il a été remis en liberté le 24 novembre 2007 ;
Attendu que, pour fixer à dix mois et vingt trois jours la durée de la détention indemnisable, le premier président a relevé qu’un juge d’instruction espagnol ayant suspendu, le 20 juillet 2005, la décision d’extradition au motif que l’intéressé était impliqué dans une autre affaire pénale en cours en Espagne, la détention dans ce pays n’était qu’une conséquence indirecte et imputable au juge espagnol de la décision de placement en détention provisoire du juge français ;
Attendu que le demandeur fait valoir qu’ayant été détenu en Espagne en vertu du seul mandat européen, la durée de la détention dont il est bien fondé à demander réparation est de deux ans, quatre mois et douze jours ; qu’en effet, si son extradition a été suspendue en raison d’une affaire pendante en Espagne, à compter du 20 juillet 2005 et jusqu’au jugement rendu par le tribunal de Figueres le 20 décembre 2006 , aucune mesure de détention provisoire n’a été prise par les autorités judiciaires espagnoles ;
Attendu que, selon l’agent judiciaire du Trésor, la détention en Espagne a été exclusivement motivée par la procédure diligentée en Espagne et ne saurait donner lieu à réparation au titre de l’article 149 du code de procédure pénale, peu important l’absence de délivrance d’un titre de détention par le juge espagnol ;
Attendu que le procureur général conclut que, sauf à démontrer l’existence d’un titre de détention espagnol, la durée de détention indemnisable correspond à l’intégralité de la détention subie, tant en Espagne qu’en France ;
Attendu que la période de détention accomplie à l’étranger et liée à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen délivré dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, doit être prise en compte pour l’indemnisation du préjudice causé par la privation de liberté ;
Attendu qu’il résulte des documents soumis à l’examen de la commission que, par jugement du tribunal central d’instruction de Madrid en date du 20 juillet 2005, a été ordonnée la suspension de la mise à disposition de M. X… aux autorités françaises, afin que l’intéressé réponde de faits d’appropriation illégale dans une procédure suivie au tribunal d’instruction de Figueres ; que la détention provisoire du requérant, décidée le 15 juillet 2005 dans la procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen, a été maintenue par décisions de la cour centrale d’instruction des 19 octobre 2005 et 16 janvier 2006, puis, en appel, par décision de l’audience nationale du 27 février 2006 ; que le tribunal constitutionnel, par sentence en date du 7 mai 2007, a énoncé que les délais maxima d’exécution du mandat d’arrêt européen avaient été dépassés et que le demandeur était resté en détention provisoire, en vertu de l’ordre européen, de façon ininterrompue depuis le 15 juillet 2005, alors qu’aucun autre titre de détention n’avait été délivré par les juridictions espagnoles dans le cadre de la procédure pendante devant elles ; qu’ils ont en conséquence prononcé l’annulation des décisions précitées des 19 octobre 2005, 16 janvier 2006 et 27 février 2006 ;
Attendu qu’en cet état, en l’absence de délivrance d’un autre titre de détention par les autorités espagnoles, il convient de constater que la totalité de la détention subie en Espagne est liée à la procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen, ce dont il résulte que l’intégralité de la détention subie tant en Espagne qu’en France, du 12 juillet 2005 au 24 novembre 2007, soit huit cent soixante trois jours, est indemnisable sur le fondement de l’article 149 du code de procédure pénale ;
Sur la réparation du préjudice matériel :
Attendu que, si M. X… soutient qu’il était gérant de société à l’époque de son incarcération et que sa perte de revenus doit être calculée sur la base du SMIC, il ne produit aucun justificatif des revenus professionnels qu’il percevait ; que, dans ces conditions, la décision du premier président ne peut qu’être approuvée ;
Sur la réparation du préjudice moral :
Attendu que compte tenu de l’âge de l’intéressé au moment de son incarcération (45 ans), de l’absence de passé carcéral, du choc psychologique ressenti et de la rupture temporaire des liens familiaux, ainsi que de la durée de la détention indemnisable, telle qu’arrêtée ci-dessus, il convient de fixer à 50 000 euros l’indemnité réparatrice de l’intégralité du préjudice moral ;
PAR CES MOTIFS
ACCUEILLE partiellement le recours de M. D… X…, et statuant à nouveau ;
Lui ALLOUE la somme de 50 000 EUROS (CINQUANTE MILLE EUROS) en réparation du préjudice moral ;
REJETTE les recours pour le surplus ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Avocats : Me Blazy ; SCP Ancel et Couturier-Heller