Cour d'Appel de Rennes 21.09.2010
- wikisource:fr, 30/10/2010
Première Chambre A ARRÊT N° 313 R.G : 09/05043 M. Claude LE DUIGOU M. René LE DIGUERHER
C/
MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR Représentant L'ETAT FRANCAIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRET DU 21 SEPTEMBRE 2010
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Madame Anne TEZE, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Odile MALLET, Conseiller, Madame Élisabeth MAUSSION, Conseiller, entendue en son rapport,
GREFFIER
Madame Claudine PERRIER, lors des débats et lors du prononcé DÉBATS :
A l'audience publique du 15 Juin 2010
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par Madame Anne TEZE, ayant participé au délibéré, à l'audience publique du 21 Septembre 2010, date indiquée à l'issue des débats.
APPELANTS:
Monsieur Claude LE DUIGOU (...) 56100 LORIENT
représenté par la SCP D'ABOVILLE,DE MONCUIT SAINT-HILAIRE & LE CALLONNEC, avoués assisté de Me BOUESSEL DU BOURG, avocat
Monsieur René LE DIGUERHER (...) 56600 LANESTER
représenté par la SCP D'ABOVILLE,DE MONCUIT SAINT-HILAIRE & LE CALLONNEC, avoués assisté de Me BOUESSEL DU BOURG, avocat
INTIMÉ
MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR représentant l'ÉTAT FRANCAIS
Sous Direction du Droit privé - Direction des affaires juridiques 6 rue Louise Weiss - Bâtiment Condorcet TELEDOC 353 75703 PARIS CEDEX 13
représentée par la SCP JACQUELINE BREBION ET JEAN-DAVID CHAUDET, avoués assistée de Me BILLAUD, avocat.
Le 15 décembre 1999, Monsieur LE DIGUERHER était placé en garde à vue, de 6 heures à 18 heures 30, à l'hôtel de police de Lorient sur commission rogatoire délivrée par un juge d'instruction de la section antiterroriste du Tribunal de Grande Instance de Paris, dans le cadre des attentats imputés à « l'ARB ».
Le 03 mai 2000 à 12 heures 15, Monsieur Claude LE DUIGOU était, dans le cadre de la même enquête, placé en garde à vue à l'hôtel de police de Rennes. Il était remis en liberté le 06 mai à 20 heures.
Estimant avoir été placés abusivement en garde à vue, Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER ont, par acte du 10 mai 2001, fait assigner Monsieur l'agent judiciaire du trésor représentant l'Etat Français, aux fins d'indemnisation à raison d'un fonctionnement défectueux du service de la justice.
Par jugement du 23 septembre 2002, le Tribunal de Grande Instance a sursis à statuer sur les demandes concernant le placement en garde à vue et ce jusqu'à la clôture de l'instruction pénale en cours.
Par jugement en date du 17 janvier 2005, le Tribunal de Grande Instance de Rennes a débouté Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER de leurs demandes d'indemnisation.
Cette décision a été infirmée par la présente juridiction qui, par arrêt du 22 janvier 2008, a condamné l'Etat Français à payer, en réparation des dysfonctionnements du service public de la justice, les sommes de 3 000 euros à Monsieur LE DUIGOU et 1 500 et 2 200 euros à Monsieur LE DIGUERHER.
Exposant qu'il leur a fallu attendre sept ans et huit mois pour obtenir une décision de justice définitive, Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER ont, par exploit en date du 14 août 2008, fait assigner l'Agent Judiciaire du Trésor représentant l'Etat Français aux fins de le voir condamner à leur payer à chacun la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la CEDH qui dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable.
Par jugement en date du 15 juin 2009, le Tribunal de Grande Instance de Rennes les a déboutés de leur demande.
Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER ont interjeté appel de cette décision. POSITION DES PARTIES
Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER, dans le dernier état de leurs écritures en date du 07 septembre 2009, demandent à la Cour
- De condamner l'Etat Français à leur verser à chacun la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- De condamner l'Etat Français aux dépens lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, par conclusions en date du 23 décembre 2009, demande à la Cour
- De débouter Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER de l'ensemble de leurs demandes,
- De les condamner à verser 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- De les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile. SUR QUOI LA COUR
Aux termes des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a le droit de voir sa demande examinée par une juridiction dans un délai raisonnable. L'article L 141-1 du Code de l'Organisation Judiciaire qui se substitue à l'ancien article L 781-1 du même code dispose que « l'Etat est tenu de réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette reponsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice ».
En l'espèce, Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER ont saisi le Tribunal de Grande Instance de Rennes, le 10 mai 2001, d'une demande d'indemnisation au titre de leur placement abusif en garde à vue, instance qui n'a trouvé son aboutissement que par arrêt de la Cour en date du 22 janvier 2008, soit après six ans et huit mois de procédure et non sept ans et huit mois tel qu'invoqué par les demandeurs.
L'existence d'un déni de justice s'appréciant à la lumière des circonstances propres à chaque espèce, il y a lieu de prendre en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures mises en ouvre par les autorités compétentes, pour apprécier le dysfonctionnement de l'Etat.
Au cas d'espèce, l'Agent Judiciaire du Trésor soutient que le Tribunal de Grande Instance de Rennes ayant, par jugement du 23 septembre 2002, sursis à statuer sur les demandes de Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER jusqu'à clôture de l'instruction pénale, la période à prendre en compte pour apprécier le déni de justice débute le 23 juillet 2004, date à laquelle Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER ont fait signifier, après clôture de l'information pénale, des conclusions tendant à la reprise de l'instance. Il ajoute en outre que les voies de recours exercées par les appelants ont contribué à l'allongement du délai global de la procédure.
Toutefois, il ne saurait être reproché à Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER d'avoir exercé les voies de recours dont ils disposaient.
De plus, la durée de la procédure doit s'apprécier à la date d'introduction de la demande initiale pour l'évaluation du délai raisonnable, Un délai de six ans et huit mois et non pas de sept ans et huit mois, comme soutenu par les demandeurs, pour obtenir une décision définitive dans un litige dépourvu de complexité, traduit l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, alors même que les appelants justifient avoir, sans succès, fait toutes diligences pour accélérer la procédure, notamment en réclamant à plusieurs reprises auprès du parquet de Paris les éléments permettant de justifier les motifs des placements en garde à vue. Il convient en conséquence de faire droit à leur demande d'indemnisation et de condamner l'Etat français à leur payer à chacun la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts ; Il sera en outre fait droit à leur demande au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile à hauteur de 1 500 euros.
L'Etat Français qui succombe supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Messieurs LE DUIGOU et LE DIGUERHER de leurs demandes de dommages et intérêts et les a condamnés aux dépens,
Statuant à nouveau,
- Condamne l'Etat Français à payer 2 500 euros à Monsieur LE DUIGOU et 1 500 euros à Monsieur LE DIGUERHER à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 1 500 euros à chacun au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Condamne l'Etat Français aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Le Greffier Le Président