Conseil d’État - 300396
- wikisource:fr, 20/11/2007
16 novembre 2007
Visas
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 janvier et 7 mars 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. José Antonio Zurutuza Sarasola, demeurant Maison d’arrêt 17, rue de Chevenay, BP 109, Gradignan cedex (33173) ; M. Zurutuza Sarasola demande au Conseil d’État :
- d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 9 novembre 2006 accordant son extradition aux autorités espagnoles ;
- de mettre à la charge de l’État la somme de 3 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ; la Constitution, notamment son Préambule ; la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ; la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985, signée le 19 juin 1990 ; la convention établie sur la base de l’article K3 du traité sur l’Union européenne, relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne, signée à Dublin le 27 septembre 1996 ; la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne, du 13 juin 2002, relative aux mandats d’arrêt européen et aux procédures de remise aux États membres ; le code pénal ; le code de justice administrative ;
Motifs
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des règles relatives à la procédure du mandat d’arrêt européen
Considérant que le décret attaqué accorde l’extradition de M. Zurutuza Sarasola, de nationalité française, aux autorités espagnoles, d’une part, pour l’exécution du mandat d’arrêt, délivré le 25 octobre 1982, par le juge du tribunal central d’instruction n° 1 de l’Audience nationale de Madrid, pour des « faits d’assassinat terroriste » commis le 14 avril 1981, d’autre part, pour l’exécution du mandat d’arrêt délivré le 22 décembre 1983 par le juge du tribunal central d’instruction n° 5 de l’Audience nationale de Madrid pour des « faits d’assassinat terroriste » commis le 26 mars 1982 ;
Considérant que la France a, dans le cadre de l’article 32 de la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne, du 13 juin 2002, déclaré qu’en tant qu’État d’exécution, elle continuerait à traiter selon le système en vigueur avant le 1er janvier 2004, les demandes relatives à des faits commis avant le 1er novembre 1993 ; que, par suite, eu égard à la date à laquelle les faits en cause ont été commis, le moyen tiré de ce que l’extradition aurait dû être accordée en application de la procédure du mandat d’arrêt européen et non, comme elle l’a été en l’espèce, sur le fondement de la convention européenne d’extradition, telle que modifiée et complétée par la convention relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne, signée à Dublin le 27 septembre 1996 et entrée en vigueur entre la France et l’Espagne le 1er juillet 2005, doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de l’insuffisante motivation du décret attaqué
Considérant que le décret attaqué vise les demandes du gouvernement espagnol tendant à obtenir l’extradition de M. Zurutuza Sarasola pour les faits mentionnés ci-dessus ; qu’il vise également les avis favorables de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau en date du 21 mars 2006 et du 6 juin 2006, les arrêts de la chambre criminelle de la cour de cassation en date du 21 juin 2006 et du 6 septembre 2006 rejetant les pourvois formés contre ces avis ainsi que les textes applicables ; qu’il mentionne que les faits sont punissables en droit français et ne sont pas prescrits en droit espagnol, qu’il n’ont pas un caractère politique et qu’il n’apparaît pas que les demandes d’extradition, motivées par des infractions de droit commun, aient été présentées aux fins de poursuivre ou de punir l’intéressé pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques, ou que sa situation risque d’être aggravée pour l’une de ces raisons ; que ce décret n’avait à préciser ni le montant des peines encourues par M. Zurutuza Sarasola en droit espagnol, ni les raisons pour lesquelles le gouvernement français ne faisait pas usage de la faculté qu’il avait, en vertu de l’article 8 de la convention de Dublin, du 27 septembre 1996, de ne pas extrader ses propres ressortissants lorsque la prescription de l’action ou de la peine est acquise en droit français ; qu’ainsi, le décret est suffisamment motivé au regard des prescriptions de l’article 3 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ;
Sur le moyen tiré de la violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale
Considérant que les conventions d’extradition sont des lois de procédure qui, sauf stipulation contraire, sont applicables immédiatement aux faits survenus avant leur entrée en vigueur, même si elles ont un effet défavorable sur les intérêts de l’individu réclamé ; que si M. Zurutuza Sarasola soutient que l’application à son cas de l’article 8 de la convention de Dublin a eu un tel effet, cette circonstance ne constitue pas, par elle-même, une méconnaissance du principe de non-rétroactivité de la loi pénale ; qu’ainsi, le moyen susanalysé doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de la violation de l’autorité absolue de la chose jugée
Considérant que, pour annuler, par sa décision du 27 juillet 2005, le décret du 19 août 2004 accordant aux autorités espagnoles l’extradition de M. Zurutuza Sarasola pour les faits commis le 26 mars 1982, le Conseil d’État, statuant au contentieux, s’est fondé sur ce que, en vertu des stipulations combinées de l’article 10 de la convention européenne d’extradition et de l’article 62 de la convention d’application de l’accord de Schengen, signée le 19 juin 1990, l’action publique concernant ces faits devait être regardée comme prescrite au regard du délai de prescription en droit français et des causes d’interruption de ce délai en droit espagnol ; que les stipulations du § 1 de l’article 8 de la convention de Dublin, aux termes desquelles : « L’extradition ne peut être refusée au motif qu’il y a prescription de l’action ou de la peine selon la législation de l’État membre requis », se sont substituées à compter du 1er juillet 2005, pour les mesures d’extradition entre la France et l’Espagne, à ces stipulations combinées ; qu’ainsi, après l’entrée en vigueur de cet article qui faisait obstacle à ce que les autorités françaises refusent d’accorder l’extradition au motif que la prescription était acquise en droit français, le gouvernement a pu, sans méconnaître l’autorité absolue de la chose jugée qui s’attache à la décision du 27 juillet 2005 du Conseil d’État, statuant au contentieux, accorder l’extradition de M. Zurutuza Sarasola pour les mêmes faits que ceux mentionnés dans cette décision ; que, par suite, ce moyen doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de la violation du principe « non bis in idem »
Considérant que M. Zurutuza Sarasola ne saurait utilement invoquer la méconnaissance de ce principe, dès lors que l’intéressé n’a fait l’objet d’aucune condamnation pénale pour les faits qui lui sont reprochés ; qu’ainsi, ce moyen doit être écarté ;
Sur le moyen relatif à la qualité de ressortissant français de M. Zurutuza Sarasola
Considérant qu’aux termes des déclarations françaises relatives à l’article 7 de la convention de Dublin : « La France déclare qu’elle n’extradera pas ses nationaux en vue d’exécuter une peine prononcée par une juridiction de l’État requérant. Elle autorisera l’extradition de ses ressortissants aux fins de poursuites pénales dans ledit État sous réserve de réciprocité et à la condition, en cas de condamnation de la personne réclamée à une peine privative de liberté, que l’intéressé soit, à moins qu’il ne s’y oppose, transféré sur le territoire de la République française, pour y exécuter sa peine » ; que, toutefois, il résulte de la déclaration faite par la France au sujet de l’article 6 de la convention européenne d’extradition que la qualité de français s’apprécie « au moment des faits » ; que, par suite, M. Zurutuza Sarasola, qui n’avait pas acquis la nationalité française à la date des faits qui lui sont imputés, ne peut pas utilement se prévaloir des déclarations françaises relatives à l’article 7 de la convention de Dublin à l’encontre du décret attaqué ;
Sur les moyens relatifs aux faits interruptifs de prescription
Considérant, d’une part, que la demande d’extradition concernant les faits commis le 14 avril 1981 fait état d’une ordonnance du 21 mars 1995 déclarant la conclusion de l’instruction concernant un des coauteurs des faits pour lesquels l’extradition est demandée et sa remise à la section première de la chambre pénale ; que, si M. Zurutuza Sarasola soutient que cet acte n’a pu interrompre la prescription à son encontre dans la mesure où celle-ci ne l’est, en droit espagnol, que si la procédure au cours de laquelle les actes ont été accomplis est dirigé contre le coupable lui-même, il ressort des pièces du dossier que ces actes sont relatifs à la procédure pour lesquels a été décerné contre lui l’arrêt de mise en accusation et d’emprisonnement du 25 octobre 1982 et qui a justifié la demande de son extradition ; qu’ainsi, cette ordonnance a régulièrement interrompu la prescription de l’action à l’encontre de ce dernier en vertu des règles de droit espagnol, telles qu’elles résultent notamment des décisions de la deuxième chambre de la Haute cour du tribunal suprême du Royaume d’Espagne ; que, dès lors, l’action publique concernant les faits commis le 14 avril 1981 n’était pas prescrite en droit espagnol à la date de la demande d’extradition concernant ces faits, soit le 12 juillet 2005 ;
Considérant, d’autre part, que la demande d’extradition concernant les faits du 26 mars 1982 fait état d’une demande d’acte du 5 octobre 2000 par laquelle le procureur près le tribunal central d’instruction n° 5 a requis la réouverture de la procédure à l’encontre de M. Zurutuza Sarasola ; qu’ainsi, cet acte a régulièrement interrompu la prescription de l’action en vertu des règles du droit espagnol ; qu’au surplus, le caractère interruptif de l’arrêt de mise en accusation et d’emprisonnement décerné à l’encontre du requérant, le 22 décembre 1983, n’était pas contesté ; que, dès lors, l’action publique concernant les faits commis le 26 mars 1982 n’était pas prescrite en droit espagnol à la date de la demande d’extradition concernant ces faits, soit le 14 septembre 2005 ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention de Dublin doit, en conséquence, être écarté ;
Sur le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
Considérant que, si le décret attaqué est susceptible de porter atteinte, au sens de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d’extradition qui est de permettre, dans l’intérêt de l’ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes résidant en France qui sont poursuivies à l’étranger pour des crimes et des délits commis hors de France que l’exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l’étranger pour de tels crimes ou délits ;
Sur le moyen tiré de la violation de l’article 1er des réserves de la France à la convention européenne d’extradition
Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article 1er des réserves émises par la France lors de la ratification de la convention européenne d’extradition : « L’extradition pourra être refusée si la remise est susceptible d’avoir des conséquences d’une gravité exceptionnelle pour la personne réclamée, notamment en raison de son âge ou de son état de santé » ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en estimant que la remise de M. Zurutuza Sarasola aux autorités espagnoles ne risquait pas d’entraîner des conséquences d’une gravité exceptionnelle pour l’intéressé, les auteurs du décret attaqué aient commis une erreur manifeste d’appréciation ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. Zurutuza Sarasola n’est pas fondé à demander l’annulation du décret attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’État, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. Zurutuza Sarasola demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens… (Rejet de la requête)