Nuit du 4 août
- Wikipedia, 4/01/2012
Caricature anonyme de 1789.
Un homme du tiers état : « Hé, prenez toujours, Mr le curé, tel refuse d'une main qui voudrait tenir de l'autre, mais c'est la dernière fois. »
La nuit du 4 août 1789 est un événement fondamental de la Révolution française, puisque, au cours de la séance qui se tenait alors, l'Assemblée constituante a mis fin au système féodal. C'est l'abolition des privilèges.
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Contexte
Depuis la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, s'est développée en France, notamment dans les campagnes, une vague de révoltes appelée la Grande Peur. Dans certaines régions, des paysans s'en prennent aux seigneurs, à leurs biens et à leurs archives, en particulier les terriers qui servent à établir les droits seigneuriaux.
La nuit du 4 août est une réponse à cette insurrection. L'Assemblée constituante est en train d'élaborer la future constitution ainsi que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen lorsqu'elle reçoit des récits inquiétants à propos de l'instabilité qui sévit en France. Face à cette crise, deux solutions sont alors envisagées. La première veut réaffirmer les valeurs de la propriété, et donc contrôler la révolte. Cette solution est vite rejetée, car elle n'aurait fait que renforcer l'opposition des paysans au système féodal. La seconde solution envisage d’instaurer un réseau de bureaux de secours, qui permettraient d'aider les plus pauvres. Mais cette solution ne répond pas à l’urgence de la situation.
C’est donc pour sortir de ce blocage que naît l’idée de l'abolition des droits seigneuriaux, laquelle a probablement été pensée lors d'une réunion du Club breton, petit groupe de députés qui avaient pris l'habitude de discuter entre eux.
L'effervescence des événements
Le 3 août 1789, le duc d'Aiguillon lance au Club breton l'idée d'une abolition des droits seigneuriaux.
Le lendemain, en fin de soirée, le vicomte de Noailles propose à l'Assemblée nationale de supprimer les privilèges pour ramener le calme dans les provinces.
Le Duc d'Aiguillon propose l'égalité de tous devant l'impôt et le rachat des droits féodaux.
Tour à tour, dans une ambiance indescriptible, Le Guen de Kérangal, le vicomte de Beauharnais, Lubersac, l'évêque de La Fare vont surenchérir en supprimant les banalités, les pensions sans titre, les juridictions seigneuriales, le droit de chasse, les privilèges ecclésiastiques.
Le marquis de Foucault fait une « motion vigoureuse contre l'abus des pensions militaires » et demande que « le premier des sacrifices soit celui que feront les grands, et cette portion de la noblesse, très opulente par elle-même, qui vit sous les yeux du prince, et sur laquelle il verse sans mesure et accumule des dons, des largesses, des traitements excessifs, fournis et pris sur la pure substance des campagnes ».
Le vicomte de Beauharnais propose « l'égalité des peines sur toutes les classes des citoyens, et leur admissibilité dans tous les emplois ecclésiastiques, civils et militaires ».
Cottin demande l'extinction des justices seigneuriales ainsi que celle de « tous les débris du régime féodal qui écrase l'agriculture ».
L'évêque de Nancy Anne Louis Henri de La Fare, s'emparant de la parole, après l'avoir disputée à l'un de ses confrères, demande, « au nom du clergé », que les fonds ecclésiastiques soient déclarés rachetables et « que (leur) rachat ne tourne pas au profit du seigneur ecclésiastique, mais qu'il en soit fait des placements utiles pour l'indigence ».
L’évêque de Chartres, présentant le droit exclusif de la chasse comme « un fléau pour les campagnes ruinées depuis plus d'un an par les éléments », en demande l'abolition, et en fait l'abandon pour lui, « heureux, dit-il, de pouvoir donner aux autres propriétaires du royaume cette leçon d'humanité et de justice ».
De Richer, revenant sur l'extinction des justices seigneuriales, demande la gratuité de la justice dans tout le royaume, « sauf les précautions tendant à étendre l'esprit de chicane et la longueur indéfinie des procès ».
Le duc du Châtelet propose alors qu'une taxe en argent soit substituée à la dîme, « sauf à en permettre le rachat, comme pour les droits seigneuriaux ».
« Tout semblait fini. Une scène non moins grande commençait. Après les privilèges des classes, vinrent ceux des provinces. Celles qu’on appelait Pays d’État, qui avaient des privilèges à elles, des avantages divers pour les libertés, pour l’impôt, rougirent de leur égoïsme, elles voulurent être France, quoi qu’il pût en coûter à leur intérêt personnel, à leurs vieux et bons souvenirs. Le Dauphiné, dès 1788 (cf Vizille après la journée des Tuiles), l’avait offert magnanimement pour lui-même et conseillé aux autres provinces. Il renouvela cette offre. Les plus obstinés, les Bretons, quoique liés par leurs mandats, liés par les anciens traités de leur province avec la France, n’en manifestèrent pas moins le désir de se réunir. La Provence en dit autant, puis la Bourgogne et la Bresse, la Normandie, le Poitou, l’Auvergne, l’Artois. La Lorraine, en termes touchants, dit qu’elle ne regretterait pas la domination de ses souverains adorés qui furent pères du peuple, si elle avait le bonheur de se réunir à ses frères, d’entrer avec eux dans cette maison maternelle de la France, dans cette immense et glorieuse famille ! Puis ce fut le tour des villes. »
— Jules Michelet, Histoire de Révolution française, Flammarion, 1897-1898
Enfin, Lally-Tollendal termine la séance en apothéose en proclamant Louis XVI « restaurateur de la liberté française ». En une nuit, les fondements du système par ordres s'effondrèrent. Les jours suivants, le clergé tente de revenir sur la suppression de la dîme, mais le président de l'Assemblée, Isaac Le Chapelier, n'ayant accepté que des discussions sur la forme, les décrets du 4 août sont définitivement rédigés le 11.
Dès le lendemain, Louis XVI écrit à l’archevêque d’Arles :
« Je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse. Je ne donnerai pas ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient ; c’est alors que le peuple français pourrait m’accuser d’injustice et de faiblesse. Monsieur l’archevêque, vous vous soumettez aux décrets de la Providence ; je crois m’y soumettre en ne me livrant point à cet enthousiasme qui s’est emparé de tous les ordres, mais qui ne fait que glisser sur mon âme. Si la force m’obligeait à sanctionner, alors je céderais, mais alors il n’y aurait plus en France ni monarchie ni monarque. »
Louis XVI n'accorde sa sanction à ces décrets que contraint, le 5 octobre. Ainsi disparaissent les privilèges des ecclésiastiques, des nobles, des corporations, des villes et des provinces.
Toutefois, les droits féodaux sont déclarés rachetables, ce qui, en pratique, conduit à leur maintien jusqu'au 17 juillet 1793, quand la Convention vote leur abolition complète, sans indemnité, et le brûlement des titres féodaux[1].
Entrée en vigueur des décrets du 4 août 1789
L'abolition du régime féodal avait certainement été prononcée par les décrets que l'Assemblée nationale constituante avait pris les 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789, et dont l'article premier débutait par la disposition suivante : « L’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal ».
Mais ces décrets ne pouvaient pas « faire loi par eux-mêmes » : il fallait encore qu'ils fussent sanctionnés par le roi, et envoyés, de son ordre exprès, aux tribunaux et aux corps administratifs, pour être transcrits sur leurs registres.
C'est ce que l'Assemblée nationale constituante elle-même reconnut le 14 septembre 1789 ; et c'est pourquoi elle prit, le même jour, un décret portant « que M. le président se retirera par-devers le roi, pour présenter à S. M. les arrêtés des 4,6, 7, 8 et 11 août dernier (...), pour lesdits décrets être sanctionnés ».
En exécution de ce décret du 14 septembre, ceux des 4 août et jours suivants furent présentés, le lendemain même, 15 septembre, à la sanction du roi.
Le 18 septembre, une longue lettre du roi fut remise et lue à l'Assemblée nationale constituante.
Elle contenait des observations sur chacun des articles des décrets dont la sanction était réclamée.
Le résultat de ces observations était que le roi ne pouvait pas, quant à présent, sanctionner ces décrets, parce qu'ils ne formaient que le texte de lois qui étaient encore à faire ; et l'on y remarquait notamment une forte répugnance à sanctionner l'abolition pure et simple du régime féodal, même lorsqu'elle serait expliquée et développée par des lois de détail.
« J'invite, écrivait Louis XVI, l'Assemblée nationale à réfléchir si l'extinction du cens et des droits de lods et ventes convient véritablement au bien de l'État ; ces droits, les plus simples de tous, détournent les riches d'accroître leurs possessions de toutes les petites propriétés qui environnent leurs terres, parce qu'ils sont intéressés à conserver le revenu honorifique de leur seigneurie. Ils chercheront, en perdant ces avantages, à augmenter leur consistance extérieure par l'étendue de leurs possessions foncières ; et les petites propriétés diminueront chaque jour ; cependant il est généralement connu que leur destruction est un grand préjudice pour la culture ».
L'Assemblée nationale constituante ne prit pas le change sur le but secret de ces observations.
Les regardant comme des prétextes mis en avant pour ajourner indéfiniment la promulgation officielle de ses décrets et, par ce moyen, en neutraliser les dispositions principales, elle prit, le 19 septembre, un décret qui chargeait son président « de se retirer sur-le-champ par-devers le roi, pour le supplier d'ordonner incessamment la Promulgation des arrêtés des 4 août et jours suivants, assurant à S. M. que l'Assemblée nationale, lorsqu'elle s'occuperait des lois de détail, prendrait dans la plus grande et la plus respectueuse considération, les réflexions et observations que le roi a lien voulu lui communiquer ».
De la nouvelle démarche prescrite par ce décret, résultat une lettre du roi, du 20 septembre, à l'Assemblée nationale.
Voici comment elle était conçue : « Vous m'avez demandé, le 15 de ce mois, de revêtir de ma sanction vos arrêtés du 4 août et jours suivants ; je vous ai communiqué les observations dont ces arrêtés m'ont paru susceptibles : vous m'annoncez que vous les prendrez dans la plus grande considération, lorsque vous vous occuperez de la confection des lois de détail qui seront la suite de vos arrêtés. Vous me demandez en même temps de promulguer ces mêmes arrêtés : la promulgation appartient à des lois rédigées et revêtues de toutes les formes qui doivent en procurer immédiatement l'exécution ; mais comme je vous ai témoigné que j'approuvais l'esprit général de vos arrêtés, et le plus grand nombre des articles en leur entier ; comme je me plais également à rendre justice aux sentiments généreux et patriotiques qui les ont dictés, je vais en ordonner la publication dans tout mon royaume. La nation y verra, comme dans ma dernière lettre, l'intérêt dont nous sommes animés pour son bonheur et pour l'avantage de l’État ; et je ne doute point, d'après les dispositions que vous manifestez, que je ne puisse, avec une parfaite justice, revêtir de ma sanction toutes les lois que vous décréterez sur les divers objets contenus dans vos arrêtés ».
Cette lettre distinguait clairement deux choses qu'il était facile, pour l'Assemblée nationale constituante, de confondre à la première vue, mais que le conseil de Louis XVI, comme la suite l'a prouvé, avait discernées parfaitement : elle distinguait la promulgation de la publication.
L'Assemblée nationale avait demandé la promulgation des décrets du 4 août ; le roi répondait ou, du moins, il faisait entendre qu'il ne pouvait pas les promulguer, et il en donnait sur-le-champ la raison : c'est que la promulgation appartenait à des lois rédigées et revêtues des formes qui devaient en procurer immédiatement l'exécution ; mais il ajoutait qu'il allait en ordonner la publication dans tout son royaume, c'est-à-dire qu'il aller les faire connaître, mais sans employer aucune des formes requises pour les faire exécuter immédiatement.
L'Assemblée nationale constituante n'aperçut pas le piège qui lui était adroitement tendu par le ministère ; elle applaudit, dans sa séance du 21 septembre, à la nouvelle lettre du roi ; et le même jour, Louis XVI mit au bas de l'expédition des décrets du 4 août, un ordre ainsi conçu : « Le roi ordonne que les susdits arrêtés seront imprimés, pour la Publication en être faite dans toute l'étendue de son royaume ».
Un mois se passa avant que l'Assemblée nationale constituante fût informée que cette publication n'avait pas été faite dans le sens qu'elle y avait d'abord attaché ; qu'à la vérité, les décrets du 4 août avaient été imprimés à l'Imprimerie royale, mais qu'il n'en avait été adressé officiellement aucun exemplaire aux tribunaux ni même aux municipalités.
De là, le décret du 20 octobre 1789, portant que « les arrêtés des 4 août et jours suivants, dont le roi a ordonné la publication, seront envoyés aux tribunaux, municipalités et autres corps administratifs, pour y être transcrits sur leurs registres, sans modification ni délai, et être lus, publiés et affichés ».
Le même décret ordonna que le garde des Sceaux serait mandé « pour rendre compte des motifs du retard apporté à la publication et promulgation de ces décrets ».
Le garde des Sceaux satisfit, dès le lendemain, à la disposition de ce décret qui le concernait.
Il se présenta à la séance de l’Assemblée nationale nationale ; et après lui avoir fait observer qu’elle n'avait réglé que par un décret du 5 octobre, la forme de la promulgation et de l’envoi des décrets sanctionnés ou approuvés par le roi, il ajouta : « C'est par cette raison que vos célèbres arrêtés du 4 août et jours suivants ont été imprimés à l'Imprimerie royale, avec l'ordre signé du roi, qui en ordonne l'impression et la publication (...) ; il ne m'est pas connu que vous ayez jamais demandé au roi d'adresser vos arrêtés, soit aux tribunaux, soit aux municipalités. Cependant je crois être sûr que MM. les secrétaires d'État en ont envoyé dans toutes les provinces avec profusion ».
S'expliquer ainsi, c'était bien avouer que les décrets du 4 août n'avaient pas encore reçu le sceau d'une promulgation légale ; et c'est ce que le ministre reconnut expressément dans la suite de son discours, en disant : « Dans les formes anciennes, les lois ne s'adressent qu'aux seuls tribunaux ; et la publicité qui est la suite de leur enregistrement, suffit pour astreindre légalement tous les corps et tous les particuliers à l'observation des lois ».
Ces explications étaient, pour l'Assemblée nationale constituante, de nouveaux motifs de persister dans le décret qu'elle avait rendu la veille, pour faire ordonner l'envoi des décrets du 4 août aux tribunaux, ainsi qu'aux municipalités ; et cet envoi fut enfin ordonné par des lettres-patentes du 3 novembre 1789.
Que résulte-t-il de tous ces détails ? Une chose fort simple : c'est que les décrets du 4 août 1789 ne sont devenus lois que par la promulgation qui en a été faite en exécution des lettres-patentes du 3 novembre suivant ; et c'est ce que l'Assemblée nationale constituante elle-même a déclaré par l'article 33 du titre 2 de son décret du 15 mars 1790, explicatif de l'abolition du régime féodal prononcée par les décrets du 4 août : « Toutes les dispositions ci-dessus, y est-il écrit, auront leur effet, à compter du jour de la publication des lettres-patentes du 3 novembre 1789 ».
Décrets d'application des décrets du 4 août 1789
La mise en œuvre des décrets des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789 requérait des décrets d'application.
Décret du 15 mars 1790, relatif aux droits féodaux
Le 15 mars 1790, l'Assemblée nationale prit un décret général relatif aux droits féodaux.
Il était « formé de la réunion de plusieurs décrets partiels » — nous dirions, aujourd'hui, de leur codification : les décrets respectivement du 24, 25, 26 et 27 février, 1er, 3, 4, 6, 8, 10, 11 et 15 mars 1790.
Sanctionné par lettre-patente, le 28 mars 1790, le décret du 15 mars 1790 devint la loi des 15 = 28 mars 1790, relative aux droits féodaux.
Son préambule résumait ainsi les décrets des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789 : « aux termes de l'article 1er (des) décrets des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789, le régime féodal est entièrement détruit ; (...) à l'égard des droits et devoirs féodaux ou censuels, ceux qui dépendaient ou étaient représentatifs, soit de la main-morte personnelle ou réelle, soit de la servitude personnelle, sont abolis sans indemnité ; (...) en même temps, tous les autres droits sont maintenus jusqu'au rachat par lequel il a été permis aux personnes qui en sont grevées de s'en affranchir, et qu'il a été réservé de développer par une loi particulière les effets de la destruction du régime féodal, ainsi que la distinction des droits abolis d'avec les droits rachetables ».
Son titre Ier précisait les « effets généraux de la destruction du régime féodal » ; son titre II énumérait les « droits seigneuriaux qui sont supprimés sans indemnité » ; et son titre III, les « droits seigneuriaux rachetables ».
Décret du 3 juillet 1790, relatif au rachat de divers droits féodaux sur lesquels il avait été réservé de statuer
Notes et références
Annexes
Bibliographie
- François Furet, « Nuit du 4-Août », dans François Furet et Mona Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988
- Jean-Pierre Hirsch, La Nuit du 4 août, Paris, Gallimard-Julliard, coll. « Archives », 1978
- Guy-Robert Ikni et Albert Soboul (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989, « Nuit du 4 août »
- Patrick Kessel, La Nuit du 4 août 1789, Paris, Arthaud, 1969
- Fabio Freddi, « La presse parisienne et la nuit du 4 août », in Annales historiques de la Révolution française, n° 259, 1985, p. 46-59.
Lien externe
- Décret relatif à l'abolition des privilèges sur Wikisource