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Où en est le droit continental en Amérique du Sud ?

Le blog Dalloz - bley, 13/03/2012

À l’heure actuelle, le Brésil et l’Argentine offrent, grâce à une croissance économique soutenue, des opportunités d’investissement pratiquement sans égal dans d’autres pays du monde. Ce sont, par ailleurs, des marchés importants. Par la taille de son produit intérieur brut (PIB), le Brésil est devenu fin 2011 la sixième économie mondiale, devant la Grande-Bretagne. D’ici [...]

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À l’heure actuelle, le Brésil et l’Argentine offrent, grâce à une croissance économique soutenue, des opportunités d’investissement pratiquement sans égal dans d’autres pays du monde. Ce sont, par ailleurs, des marchés importants. Par la taille de son produit intérieur brut (PIB), le Brésil est devenu fin 2011 la sixième économie mondiale, devant la Grande-Bretagne. D’ici deux à trois ans, il devrait dépasser la France. Quant à l’Argentine, elle se situe désormais à la vingt-troisième place et pourrait bien entrer dans le « top 20 » dans quelques années. Ces deux pays ont, par ailleurs, formé en 1991, avec le Paraguay et l’Uruguay, le Mercosur (Marché commun du Sud). Ils sont les leaders de cette communauté économique qui exerce son influence sur l’ensemble de la région, comme en témoigne le fait que le Chili et la Bolivie y soient associés, que le Pérou et l’Équateur s’en rapprochent et que le Venezuela ait engagé une procédure d’adhésion.

Signalons aussi que le Brésil et l’Argentine, ainsi que l’ensemble des pays d’Amérique du Sud, se situent dans la tradition du droit civil ou droit continental (système qui concerne 24 % de la population mondiale contre, on le sait peu, seulement 6,5 % pour la Common Law d’origine anglo-saxonne). Cependant, ils n’échappent pas à la tendance mondiale qui voit la Common Law gagner des positions face à la tradition civiliste. On le voit avec le Doing Business, le classement du climat des affaires dans le monde publié chaque année par la Banque mondiale, fondé sur des critères issus du droit anglo-saxon : son emprise est considérable, alors même qu’il s’agit d’une approche discutable et en tout cas limitée. Sans doute rassure-t-il les utilisateurs par l’apparente simplicité des critères retenus. Il en est de même en matière de fusions-acquisitions ou en droit financier et, en général, dans les domaines de droit les plus en vue et les plus innovants, où la Common Law s’est largement imposée. Par ailleurs, les rédacteurs de nouvelles normes s’inspirent du droit anglo-saxon et de nombreuses grandes entreprises et banques, y inclus françaises, privilégient la Common Law.

Pour ce qui est de l’Argentine et du Brésil, la Common Law a commencé à s’imposer à la fin des années 1980, quand sont apparus, dans le secteur financier et dans celui des fusions-acquisitions notamment, des modèles élaborés par des cabinets américains et repris dans leur intégralité par certains cabinets locaux, tout comme en France, d’ailleurs, à la même époque. Cette pratique s’est ensuite répandue dans d’autres domaines. L’influence des cabinets anglo-saxons a fait que la méthodologie et un certain nombre de clauses contractuelles de Common Law sont devenus d’usage courant. Les hommes d’affaires eux-mêmes s’y sont habitués et attendent parfois, pour une acquisition ou une due diligence, qu’on leur fournisse des « kits » garantissant que l’opération juridique « normée » sera effectuée dans un temps donné.

Est-ce à dire que la bataille est perdue en Amérique du Sud pour les tenants du droit continental ? Certainement pas. Pour deux raisons essentielles :

1. d’abord, parce que le Brésil et l’Argentine restent de tradition civiliste. Comme dans bien d’autres pays dont le système juridique est fondé sur le droit civil, ce dernier y est prépondérant en droit des obligations, des contrats ou en droit du travail. Le conseil ne manquera pas de le rappeler en mettant en garde son client, par exemple, au sujet de certaines clauses contractuelles aujourd’hui habituelles, comme celle dite de  « Material Adverse Change » (MAC), qui figure dans nombre de contrats alors qu’elle présente un réel danger en cas de litige, le concept n’étant pas défini par le droit local. Ou encore en soulignant les risques de soumettre la cession d’actions d’une société argentine ou brésilienne entre un acheteur européen et un vendeur local au droit de l’État de New York et ;

2. ensuite, parce qu’on y constate aussi, dans certains domaines, une interaction bénéfique. À l’image de ce qui se passe en France en matière de procédures collectives, le droit des sociétés en Argentine et au Brésil, incontestablement civiliste, s’est enrichi des apports anglo-saxons pour savoir les dépasser et construire un système de droit doté de ses propres caractéristiques. Il en est ainsi pour le droit fiscal ou pour les règles de gouvernance au Brésil et dans une certaine mesure en Argentine. En l’occurrence, la tradition civiliste et celle de la Common Law ont permis à ces pays d’améliorer, en le rendant plus efficient, leur propre système juridique sans le dénaturer. Enfin, la prise de conscience des limites de la Common Law, qui se renforce sous l’effet de la crise, est peut-être plus avancée en Amérique du Sud qu’en Europe. Sans doute conforté par les crises des années 1990, l’attente d’un État régulateur, source de stabilité et de prévisibilité, s’y est fait sentir plus tôt. Par ailleurs, les juristes de ces pays sont bien conscients que l’avantage indiscutable du droit civil réside dans sa nature conceptuelle qui lui permet d’encadrer des situations en perpétuel mouvement.  Le contexte redevient donc favorable au droit continental dans la région. Non pour songer à y éradiquer le droit anglo-saxon mais, peut-être, pour que le droit civil reprenne la main dans l’interaction inévitable – et souvent fructueuse, on l’a dit – des deux traditions.

Patrick Patelin
Conseiller du commerce extérieur de la France, Avocat


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