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Responsabilité sociale et sociétés de gestion d’actifs : feu vert pour la finance ou finance mise au vert ?

Le blog Dalloz - bley, 6/03/2012

C’est le 31 janvier 2012 que le décret relatif à l’information par les sociétés de gestion de portefeuille des critères sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance pris en compte dans leur politique d’investissement a été publié au Journal officiel. Conséquemment, un nouvel article a été intégré au code monétaire et financier : l’article D. 533-16-1. Cette disposition vient enrichir le [...]

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C’est le 31 janvier 2012 que le décret relatif à l’information par les sociétés de gestion de portefeuille des critères sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance pris en compte dans leur politique d’investissement a été publié au Journal officiel. Conséquemment, un nouvel article a été intégré au code monétaire et financier : l’article D. 533-16-1.

Cette disposition vient enrichir le cadre réglementaire contraignant dont l’investissement socialement responsable (plus connu sous son sigle ISR) est l’objet en France. Parallèlement, elle fait suite à l’adoption de la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (V. not. G. J. Martin, Commentaires des articles 225, 226 et 227 de la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (dite Grenelle II), Rev. sociétés 2011. 75). Rappelons que l’article 224 de cette loi a entraîné une modification de l’article L. 224-12 du code monétaire et financier, renuméroté quelque temps plus tard – sous l’impulsion de l’ordonnance no 2011-915 du 1er août 2011 transposant la directive OPCVM (organismes de placement des valeurs mobilières) IV – en article L. 533-22-1 du même code… Tout cela à moins d’une année d’intervalle !

En vertu de l’article L. 533-22-1 du code monétaire et financier inséré dans les règles de bonne conduite, « les sociétés de gestion mettent à la disposition des souscripteurs de chacun des [OPCVM] qu’elles gèrent une information sur les modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance. Elles précisent la nature de ces critères et la façon dont elles les appliquent selon une présentation type fixée par décret. Elles indiquent comment elles exercent les droits de vote attachés aux instruments financiers résultant de ces choix. Le décret […] détermine en outre les supports sur lesquels cette information doit figurer et qui sont mentionnés dans le prospectus de l’[OPCVM] ». À la suite d’une consultation qui s’est terminée le 27 septembre 2011, le décret du 30 janvier 2012 apporte d’importantes précisions sur le contenu de l’information devant être divulguée et sur ses supports. Premièrement, toute société de gestion d’actifs doit présenter sa démarche générale en faveur du développement durable dans ses choix d’investissement, notamment en informant sur le contenu, la fréquence et les moyens utilisés (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, I, 1o). Par ailleurs, la liste des OPCVM gérés qui prennent simultanément en compte ces critères ainsi que leur quote-part par rapport à l’ensemble du portefeuille d’OPCVM de la société de gestion doivent être divulguées. Deuxièmement, l’article D. 533-16-1, I, 2o, relève le contenu de l’information propre aux OPCVM, notamment en imposant l’indication de leur adhésion à une charte, un code, ou leur obtention d’un label sur la prise en compte de critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance. D’une manière plus générale, doivent être fournies les données figurant dans le rapport annuel, utilisées habituellement pour l’analyse des émetteurs, avec une description de la méthodologie d’analyse appliquée. La manière dont les résultats de l’analyse sur des critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance sont intégrés dans le processus d’investissement et de désinvestissement est également décrite. Enfin, la société de gestion doit donner des informations sur les OPCVM compris dans son portefeuille qui ne prennent pas en compte l’ensemble de ces critères. Troisièmement, quant à la diffusion de l’information, celle-ci doit figurer non seulement sur le site internet de la société de gestion au plus tard le 1er juillet 2012, mais encore dans le rapport annuel des OPCVM établi au titre de l’exercice ouvert à compter du 1er janvier 2012 (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, II).

L’article D. 533-16-1 du code monétaire et financier montre une ouverture de la finance française à un mouvement de pensée replaçant l’homme et l’humanité au cœur des valeurs de notre société contemporaine – dont la loi du 12 juillet 2010 et le décret du 30 janvier 2012 ne sont que la face visible de l’iceberg (V. aussi Développement durable-RSE-ISR, leviers de création de valeur – Recommandations pour le B-20/G-20, Ateliers de travail et rencontres Paris EUROPLACE, sept. 2011 ; Investissement socialement responsable, Rapport de la Commission Paris EUROPLACE, mai 2008) – qui mérite d’autant plus d’être souligné qu’il est innovant et s’inscrit à l’opposé du silence européen observé jusqu’à présent (Commission européenne, Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014, 25 oct. 2011, COM(2011) 681 final). Néanmoins, nous sommes réservés sur les conséquences attachées à cette évolution du cadre normatif et ce, au-delà de l’adoption du décret du 30 janvier 2012 stricto sensu. Tout d’abord, l’évolution des textes témoigne d’une portée moins grande de la divulgation et d’une volonté politique qui s’est étiolée au fur et à mesure des discussions et des pressions. Force est de constater que le texte initial contenu dans la loi de juillet 2010 a été vite oublié. En effet, alors que l’article L. 224-12 visait indistinctement l’ensemble des structures sociétaires gérant des portefeuilles (sociétés d’investissement à capital variable [SICAV] et sociétés de gestion), l’article L. 533-22-1 est devenu silencieux sur les SICAV. Quid alors de celles qui ne délègueraient pas leur gestion ? Ceci pourrait ne pas soulever davantage de questions, sauf à ignorer que la délégation d’actifs n’est pas de facto favorable au raisonnement à long terme. Ensuite, malgré les critiques que nous avons émises sur ce terrain s’appuyant sur la construction législative elle-même (I. Tchotourian, L’ISR imposé aux gérants de portefeuilles : big-bang ou coup d’épée dans l’eau de la loi Grenelle II ?, RDBF mars-avr. 2011, no 2, Études 21, p. 15), un consensus semble se faire pour considérer que les dispositions législatives ne prescrivent qu’une obligation de divulgation et non de prise en compte des critères extra-financiers. En outre, s’il peut être présumé que la transparence dans les choix d’investissement permet une gestion des investisseurs favorable à la RSE, ce postulat est contestable comme le relève une étude de Novethic observant que l’apparition de réglementations en France et au Royaume-Uni favorisant l’intégration de critères environnementaux et sociaux n’a constitué qu’une modeste incitation pour les investisseurs institutionnels à adopter un comportement socialement responsable (Novethic, Les investisseurs institutionnels sont-ils des actionnaires sensibles aux enjeux ESG ?, déc. 2009). In fine, le décret de janvier 2012 ne saurait, à lui seul, mettre fin aux incompréhensions entre les entreprises, les investisseurs, les sociétés de gestion, et plus globalement, les agences de notations extra-financières (Paris EUROPLACE, Bilan exploratoire par Atelier : document de travail, 14 sept. 2011)… Seuls une profonde évolution des mentalités et le temps le pourront.

Ivan Tchotourian
Professeur invité à l’Université de Laval, Maître de conférences à l’université de Nantes, Chercheur à l’IRDP (EA 1166, Université de Nantes)


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