Le don de sang : pas vraiment gay…
Le blog Dalloz - bley, 3/07/2012
À l’occasion de la neuvième journée mondiale des donneurs de sang, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a indiqué vouloir revoir la politique interdisant le don de sang des hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme (HSH). Selon la ministre, « la sécurité doit être évidemment assurée mais le critère ne peut pas être la nature des relations sexuelles […]. Le critère de l’orientation sexuelle n’est pas en soi un risque. En revanche la multiplicité des relations et des partenaires constitue un facteur de risque quels que soient l’orientation sexuelle et le genre de la personne ».
Un bref rappel de la législation s’impose. La directive 2004/33/CE de la Commission du 22 mars 2004 portant application de la directive 2002/98/CE du parlement européen et du Conseil concernant certaines exigences techniques relatives au sang et aux composants sanguins exclue de manière permanente des donneurs de sang les « sujets dont le comportement sexuel les expose au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang » et de manière temporaire les « individus dont le comportement sexuel ou l’activité professionnelle les expose au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang ».
Cette directive a été transposée plus strictement dans la législation française, conformément à l’article 4 de la directive 2002/98/CE précitée. En effet, l’annexe II de l’arrêté ministériel du 12 janvier 2009 fixant les critères de sélection des donneurs de sang prévoit une contre-indication permanente pour les « hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme ».
Cette interdiction a pour principal objectif de garantir la sécurité transfusionnelle. En effet, actuellement, il existe toujours un risque résiduel de transmission d’infections par transfusion, car les tests biologiques ne permettent pas de détecter une contamination récente. Entre le moment où la personne a été en contact avec un virus et le moment où le virus devient détectable dans le sang, il existe une période dite « silencieuse » d’une dizaine de jours, pendant laquelle le virus est bien présent dans le sang, mais les tests biologiques sont négatifs.
Or, selon l’Établissement français du sang (EFS), le risque de contamination par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est de 100 % si le virus est présent dans le sang transfusé. Par ailleurs, selon l’Institut national de veille sanitaire (InVS), le risque de transmission du VIH est deux cents fois plus élevé lors d’une relation sexuelle entre hommes que lors d’une relation hétérosexuelle ou d’une relation sexuelle entre femmes. Enfin, selon les sources du plan national de lutte contre le VIH/SIDA et les IST 2010/2014 (BEHWeb n° 2, 27 nov. 2009, « VIH/SIDA : les hommes homosexuels particulièrement touchés en France et en Europe »), la population des HSH correspond à une urgence en termes de santé publique car c’est la population la plus touchée par le VIH avec un taux d’incidence estimé à 1 006 contaminations par an pour 100 000 HSH (soit un taux d’incidence de 1 % par an).
Au niveau européen et au vu des débats grandissants concernant l’exclusion de donneurs de sang en raison de leur comportement sexuel, un groupe de travail ad hoc a été constitué en avril 2010 par le Comité directeur de la transfusion sanguine du Conseil de l’Europe. La tâche de ce groupe de travail est de parvenir à une interprétation commune des notions d’exclusion permanente et d’exclusion temporaire et d’évaluer, sur une base scientifique, la possibilité de différencier les comportements à risque élevé.
Dans sa note technique de synthèse de décembre 2011, le groupe de travail ad hoc a considéré que « d’après les études de modélisation que le risque de transmission du VIH pourrait augmenter si les HSH étaient autorisés à participer au don » et a conclu être favorable « à ne pas changer la pratique actuelle d’ajournement permanent des HSH, PCS [Personne se livrant au commerce du sexe, professionnel(le)s du sexe] et autres personnes présentant des conduites sexuelles à haut risque, en attendant que de nouvelles données soient disponibles ». Cette note servira de base au projet de résolution, reporté pour le moment.
En dépit de ces dernières données scientifiques, l’interdiction de don de sang aux HSH ne serait-elle pas discriminatoire ?
En 2002, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), puis en 2006, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) ont recommandé la modification des questionnaires remplis par les candidats au don du sang, afin de remplacer la question relative aux rapports sexuels entre hommes par celle relative aux pratiques sexuelles à risque, sans pour autant qu’il n’y ait « refus d’accès à un bien ou un service, même si la pratique actuelle est vécue comme discriminatoire par les candidats au don du sang », et donc discrimination. Plus récemment, le Défenseur des droits, qui a succédé à la HALDE, a recommandé la levée de l’interdiction au motif que « que, si le droit communautaire justifiait des exclusions du don de sang de la part de personnes présentant un risque élevé de contracter de graves maladies infectieuses, c’était en raison du comportement sexuel de celles-ci et non en fonction de leur orientation sexuelle », en se fondant sur l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
En réalité, les discriminations prohibées par la loi sont explicitement et limitativement définies, tant pour les critères que pour les domaines dans lesquels s’exercent les discriminations. Si le critère de l’orientation sexuelle est expressément prévu par la loi, le champ de l’interdiction de discrimination vise exclusivement les inégalités de traitement dans l’emploi, le logement, l’éducation et la formation, l’accès aux biens et services, publics et privés…
Or, en France, le don de sang repose sur la seule volonté du donneur, totalement bénévole (C. civ., art. 16-1 et CSP, D. 1221-1), contrairement à l’Allemagne, l’Autriche, Canada et les États-Unis. Dès lors, l’interdiction française imposée aux HSH ne saurait constituée un refus d’accès à un bien ou un service au sens de la loi ou d’un engagement international ratifié ou approuvé par la France.
En revanche, la directive 2004/33/CE précitée distingue clairement le comportement sexuel de l’orientation sexuelle. Dès lors, il serait logique que la réglementation française respecte cette distinction en appréciant les donneurs uniquement en fonction de leur comportement sexuel et non en fonction de leur orientation sexuelle. Même s’il reste évident que, dans les faits, l’exclusion persistera dès remplissage du questionnaire ou lors de l’entretien médical. Elle ne sera, néanmoins, plus permanente…
Enfin, si le Conseil de l’Europe suivait la note technique résumée dans le cadre de la rédaction de la résolution à venir, les exclusions temporaires du Royaume-Uni, de la Hongrie, de l’Espagne et de l’Italie à l’égard des HSH deviendraient illégales et l’exclusion permanente française deviendrait la norme, stigmatisant ainsi expressément la communauté homosexuelle.
Affaire à suivre…
Peggy Grivel
Juriste spécialisée en droit de la santé