Microsoft condamné à 860 millions d’euros pour abus de position dominante
Le blog Dalloz - bley, 9/07/2012
Le 27 juin 2012, le Tribunal de l’Union européenne ordonne une sanction exemplaire à l’encontre du géant américain Microsoft pour avoir restreint l’accès aux informations sur l’interopérabilité de ses logiciels à ses concurrents. Les faits sanctionnés par le Tribunal de l’Union européenne font référence à la période s’échelonnant entre 1998 et 2007. La multinationale informatique américaine fondée par Bill Gates développe et commercialise des systèmes d’exploitation, pour ordinateurs personnels clients ainsi que pour serveurs de groupe de travail.
Microsoft s’est imposé comme leader sur ce marché en rendant l’utilisation de ses produits indispensables pour les consommateurs. À titre d’exemple, le logiciel Internet Explorer développé par la firme est intégré par défaut dans tous les systèmes d’exploitation Windows, également créés par Microsoft, au détriment des navigateurs gratuits. En outre, Windows est systématiquement incorporé aux ordinateurs PC qui sont vendus par les constructeurs. Ainsi, environ 90 % des ordinateurs PC sont équipés du système Windows.
Afin de limiter le comportement monopolistique du géant américain, les instances antitrust américaines et européennes surveillent avec attention ses activités et prennent régulièrement des mesures à son encontre.
C’est le cas en 2004, lorsque la Commission européenne décide de sanctionner les actes d’abus de position dominante commis par Microsoft en raison de la conception et de la commercialisation de ses logiciels depuis 1998. Pour mémoire, l’abus de position dominante est sanctionné par l’article 102 Traité de l’Union européenne (anc. art. 82, Traité CE).
Selon une jurisprudence ancienne, l’abus se définit comme « les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure du marché, où, à la suite précisément de la position de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent la compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence » (C-85/76, 13 févr. 1979, Hoffmann-La Roche)
Par décision du 24 mars 2004, la Commission fait grief à Microsoft d’avoir refusé de fournir à ses concurrents les informations relatives à l’interopérabilité de ses logiciels et d’autoriser leur usage pour le développement et la distribution de produits concurrents sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail.
La Commission européenne précise, à cet égard, que ce refus ne porte pas sur les « code source » de Microsoft mais uniquement sur des spécifications des protocoles concernés, c’est-à-dire sur une description détaillée de ce qui est attendu du logiciel en cause.
En conséquence, la Commission ordonne à Microsoft la publication des spécifications techniques relatives à ses produits, la vente séparée de certaines de ses applications et exige qu’il s’assure l’interopérabilité de ses logiciels avec ceux de ses concurrents. À ce titre, Microsoft doit s’engager à vendre une version de Windows n’intégrant pas le lecteur de vidéos Windows Media.
Néanmoins, Microsoft refuse de se conformer à la décision de la Commission.
Il convient de noter que, d’une part, la firme ne divulgue que des informations qui ne sont « ni précises ni complètes » concernant l’interopérabilité de ses logiciels et, d’autre part, la version allégée de Windows que la société Microsoft a été contrainte de commercialiser est disponible au même prix que la version complète, ce qui ne présente pas d’intérêt pour les consommateurs et ne permet pas aux concurrents de s’insérer sur le marché.
Ainsi, la Commission rend une nouvelle décision, plus sévère, le 27 février 2008, et ordonne à Microsoft de se conformer à ses prescriptions, sous peine d’une astreinte de 899 millions d’euros.
Microsoft saisit alors le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de la décision de la Commission.
Il en résulte que, par décision du 27 juin 2012 (T-167/08) le Tribunal annule la décision C(2008) 764 final de la Commission du 27 février 2008 concernant le montant définitif de l’astreinte journalière infligée à Microsoft mais confirme la position adoptée par la Commission européenne sur l’abus de position dominante.
Afin de caractériser cet abus, le Tribunal s’est interrogé sur le montant des taux de rémunération exigé par Microsoft à l’encontre de ses concurrents en échange des informations sur l’interopérabilité de ses logiciels et il a posé le postulat que, dans l’hypothèse où les taux appliqués ont « un caractère raisonnable », l’abus ne sera pas constitué et, dans le cas contraire, il conviendra de considérer que le géant américain a adopté un comportement anticoncurrentiel.
À cet égard, le Tribunal de l’Union européenne indique que le montant des taux de rémunération doit être calculé sur la « valeur intrinsèque des informations en cause et non sur la valeur stratégique » qu’elles représentent pour Microsoft.
En l’occurrence, le Tribunal considère, à l’instar de la Commission, que les taux sollicités par Microsoft sont trop élevés.
La sanction pécuniaire imposée par le Tribunal à Microsoft pour avoir enfreint les règles du droit de la concurrence est exemplaire et s’élève à un montant de 860 millions d’euros. En d’autres termes, l’amende a été réduite de quelques millions d’euros au regard de ce qu’avait décidé la Commission.
Il sera intéressant d’observer la position de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’hypothèse où Microsoft déciderait de faire appel de la décision du Tribunal.
Antoine Cheron
Avocat au Barreau de Paris et de Bruxelles, ACBM avocats