L’art de communiquer « sous contrainte judiciaire »
Le blog Dalloz - bley, 8/10/2012
La sortie de son livre n’est pas passée inaperçue au moment du procès en appel du trader le plus célèbre de France, Jérôme Kerviel, jugé pour avoir fait perdre à la Société générale quelques 4,82 milliards d’euros. Patricia Chapelotte, codirectrice de l’agence de communication Albera Conseil, à Paris, s’était justement fait connaître en devenant, dès l’été 2008, la communicante du « jeune homme sans histoires, originaire de Pont-l’Abbé » comme le décrivaient certains journaux, avant d’être congédiée par son équipe d’avocats en octobre 2010.
Intitulé De Kerviel à Clearstream, l’art de communiquer lors des grands procès, le livre de Patricia Chapelotte pose les bases d’une nouvelle spécialité dans les gestions de crise : « la communication sous contrainte judiciaire ». En somme, l’art de conseiller un justiciable en pleine tourmente médiatique, en lui soumettant une stratégie de communication. « Le communicant se présente ici, et se présente encore, pour endosser le rôle du défenseur dans le procès médiatique, presque aussi important que l’autre, permettant à l’avocat de jouer pleinement son rôle dans la procédure judiciaire », explique-t-elle dès les premières pages. C’est ce qu’elle s’est appliquée à faire dans les deux gros dossiers qui lui ont été soumis à l’initiative des protagonistes : Jérôme Kerviel d’abord, Jean-Louis Gergorin ensuite dans le cadre de l’affaire politico-financière Clearstream. « Tout s’est enchaîné très rapidement », reconnaît Patricia Chapelotte en introduction, comme pour justifier son implication spontanée dans ces dossiers très complexes, à titre gratuit pour le premier, avec les conséquences qu’on connaît aujourd’hui. Car, dans le premier cas, la stratégie du silence médiatique prônée par la communicante à l’égard de Jérôme Kerviel et de son équipe d’avocats n’a, semble-t-il, pas vraiment fonctionné. Tout d’abord parce qu’« il était, en tout logique, difficile de demander à des avocats, qui profitaient ainsi d’une campagne de promotion médiatique, d’appliquer la règle du silence », alors qu’eux non plus n’étaient pas payés ; ensuite, parce que l’intéressé lui-même a cédé à la tentation de faire publier son livre avant le premier procès, contre l’avis de sa communicante, acceptant par la même occasion toutes les sollicitations des médias pour en faire la promotion et expliquer ses agissements au sein de la Société générale. Une surmédiatisation qui lui sera fatale, d’autant que le trader se révèlera fermé face aux juges, ayant « tout donné pour la promotion du livre ».
Patricia Chapelotte explique, par ailleurs, la nécessaire rencontre en off avec les journalistes, pendant les périodes de silence recommandées, toujours dans l’optique de gagner le procès médiatique face à des mastodontes de la communication comme la Société générale ou encore, Dominique de Villepin, dans le procès Clearstream. Une manière de rééquilibrer les responsabilités aux yeux de l’opinion publique, et d’expliquer par le menu les éléments très complexes de ces deux dossiers (le fonctionnement d’une salle de marché pour l’un, de la chambre de compensation pour l’autre, etc.).
Enfin, le livre aborde diverses thématiques connexes, telle que la légitimité du secret de l’instruction, régulièrement violé par ses détenteurs. À cet égard, Patricia Chapelotte cite le procureur général Jean-Claude Marin, lequel se dit favorable à la mise en place d’« un droit de réponse plus généralisé et impératif des personnes mises en cause », contraignant de cette manière les journalistes « à être plus prudents » sur la violation de ce secret professionnel. Elle consacre également un chapitre particulièrement intéressant sur la communication menée par le ministère de la justice, notamment en période de crise, et le pragmatisme qui a caractérisé l’arrivée du poste très officiel de « porte-parole ». Autant d’éléments qui permettent d’aborder la justice sous un autre angle, et d’en tirer par là même quelques leçons élémentaires de communication « sous contrainte judiciaire ».
Anaïs Coignac
Journaliste