Voici une petite anecdote qui date de quelques mois…
Journal des greffiers en colère - Eolas, 22/04/2014
Par Maurice, greffier, 21 ans d’ancienneté, affecté au parquet général d’une cour d’appel
Voici une petite anecdote qui date de quelques mois, relative à une procédure de mandat d’arrêt européen qui illustre, à mon sens, le quotidien des greffiers des juridictions françaises.
Une personne recherchée par une autorité étrangère (européenne) est arrêtée dans notre ressort dans le cadre d’une infraction connexe. Il est déféré devant la juridiction compétente.
J’avise le magistrat du parquet général qu’il y aura une possible présentation de la personne à la Cour, dans le prolongement de sa comparution immédiate devant le tribunal. Le magistrat me demande de recueillir le signalement Schengen, de préparer le dossier et tout, et tout…
Le lendemain, je m’inquiète de la décision prise par le tribunal dont je n’ai pas de nouvelle. Là, on m’avise que la personne n’a pas fait l’objet d’un placement en détention et qu’il est donc libre… Enfin… libre, pas vraiment… Il est dans l’attente de sa libération dans les geôles du tribunal. Sur ce, je tente d’aviser “mon” magistrat… que je ne trouve pas. Petite précision, on est vendredi après-midi… J’appelle sur son portable. Je relate la difficulté, il me répond que si la juridiction l’a libéré, c’est tant mieux pour l’intéressé, et qu’il ne le fera pas présenter devant lui. Je lui réponds que c’est délicat, dans la mesure où l’intéressé est toujours sous le coup de la demande d’arrestation de l’autorité étrangère. Et que si on le libère, cette même autorité demandera des comptes à la justice française sur la “disparition” de la personne arrêtée. Il me répond qu’il est déjà en week-end, qu’il est à l’aéroport et qu’il ne va pas revenir pour ça. Et il me laisse avec mon gars… et ma conscience professionnelle !
Sur ce, l’escorte au tribunal me rappelle pour me demander les instructions. Elle ne peut plus attendre, il faut prendre une décision. Le laisser libre ou le retenir ?!
N’ayant pas de magistrat immédiatement sous la main, je prends sur moi de faire retenir l’intéressé par les forces de l’ordre (alors qu’évidemment seul un magistrat a ce pouvoir) et le présenter au parquet général. Entre temps, j’ai trouvé un magistrat à qui j’ai expliqué la situation et qui lui notifiera, un peu plus tard, le mandat d’arrêt européen. Il décidera de l’incarcérer (c’était avant le changement de jurisprudence européenne), décision qui sera confirmée par la Chambre de l’instruction qui ordonnera également la remise de l’intéressé à l’autorité étrangère.
Le récit se termine ainsi un peu abruptement, je reprends la plume pour une brève conclusion. Ce récit, qui n’est pas à la gloire du magistrat intéressé montre le degré qu’atteinte la débrouille et l’improvisation. Ici, la ligne de la légalité est clairement franchie. On atteint le stade où le respect de la loi n’est plus compatible avec le mode normal de fonctionnement des juridictions. On commence à s’inquiéter ou on attend encore un peu ? — NdEolas