Je ne suis pas une potiche
Journal des greffiers en colère - Eolas, 26/04/2014
Par Famalice, greffière à l’application des peines.
Les greffiers, depuis un mois, dans les journaux et ici-même depuis une semaine ont tellement bien parlé de ce métier je ne voudrais pas répéter ce qui a déjà été dit. Je m’arrêterais donc sur des exemples de moments qui, en 20 ans de carrière, m’ont « chiffonnée »…
Arrivée au greffe de l’instruction à 8 heures pour pouvoir travailler tranquillement car, bien évidemment, le greffier d’instruction n’a pas que les interrogatoires et auditions, il y a tout ce qui va avant et après. Mais, le magistrat n’arrivant qu’à 11 heures, il a assez d’énergie pour terminer sa journée plus tard que moi. Ça m’énerve
Faire un transport de nuit, se coucher à 4 heures du matin, et être obligée d’ouvrir à la même heure le greffe le demain matin. ça m’énerve
Etre de grande semaine instruction c’est à dire de permanence donc travailler 2 semaines non stop y compris le week end, cela ne pose de problème à personne, ça m’énerve
Que votre magistrat ne prenne pas de congés et ne veuille aucun autre greffier que vous, qu’il paraisse normal à votre greffier en chef que vous fassiez de même, ça m’énerve
S’exploser le genou sur les marches du palais de Paris, être forcée de continuer à prendre les PV la jambe allongée sur une chaise et aller à l’Hôtel-Dieu tout seule, ça m’énerve
La formule « copie de l’entier dossier » quoi qu’il arrive alors que le dossier est consultable au greffe et que dans certaines procédures les ¾ du dossier n’ont aucun intérêt. Ça m’énerve
Je suis énervée également lorsqu’un avocat qui assistait déjà la personne en première instance n’a pas demandé de copie et le fait devant moi en appel sous prétexte que je ne râlerais pas (paraît que je suis gentille) et bien évidemment 4 jours avant l’audience alors qu’il est avisé de celle ci depuis 2 mois. Ça m’énerve
Pendant l’audience que le Président ne se rende pas compte qu’il y a trop de bruits et que je n’entends rien pour prendre ma note d’audience : ça m’énerve
Que les avocats viennent me poser des questions pendant que je prends mes notes. Ça m’énerve
Que l’audience continue lorsque j’ai besoin de m’absenter pour régler un problème. Ça m’énerve et j’acte dans mes notes.
Qu’on me demande de faire des zoom avec la télécommande de la visioconférence alors que je prends mes notes. Ça m’énerve. J’ai bien essayé d’avoir un œil sur mon stylo et l’autre sur l’écran mais sans succès.
Que la visioconférence ne fonctionne pas ou fonctionne mal et que toute la Cour se retourne vers moi comme si j’en étais responsable : ça m’énerve
Lorsqu’à la fin de l’audience, le président discute avec ses conseillers et le ministère public comme si je n’étais pas là : ça m’énerve.
Lorsque toujours devant moi il demande à ses conseillers et à l’avocat général s’ils veulent manger un petit bout quelques part et pas à moi : ça m’énerve
Entendre un magistrat délégué syndical me demander naïvement : je n’ai pas bien compris ça sert à quoi un greffier : ça m’énerve mais alors beaucoup beaucoup ( non je ne lui ai pas fait manger son code mais ce n’était pas loin)
et le gros gros truc qui m’énerve c’est lorsque des magistrats se demandent pourquoi on manifeste alors que :
Je suis le greffier de la chambre de l’application des peines. La chambre dont tout le monde se fiche. Elle ne concerne que des condamnés, pas de délais à respecter ou si peu donc si je devais me cantonner à mes tâches :
j’attends que les dossiers d’appel arrivent
j’attends que le président et l’avocat général viennent les voir pour me donner une date d’audience
je convoque
je vais à l’audience
je mets en forme les délibérés
je notifie les délibérés
je range le reliquat dans les cartons
La réalité : les décisions du juge de l’application des peines sont exécutoires par provision c’est à dire que les personnes libres et condamnés à de l’emprisonnement peuvent aller en détention même si elles ont fait appel. Il s’agit souvent de peines courtes, l’appel devient facilement sans objet. Alors oui ce sont des condamnés mais il y a des textes à respecter. Le législateur a estimé que ces personnes ont droit de faire appel et les textes doivent être respectés, c’est ça être garant de la procédure aussi. Ce que je fais en réalité :
dès réception de la déclaration d’appel je me jette sur le logiciel national pour voir la situation de l’intéressé pour savoir si je dois demander le dossier en urgence. Il m’est arrivé d’audiencer un dossier bien avant de recevoir le dossier à l’aide de 3 logiciels nationaux qui me permettent de récupérer pas mal d’informations et de plusieurs appels téléphoniques au greffier du JAP, au greffe des maisons d’arrêts et au conseillers d’insertion et de probation.
à l’arrivée des dossiers, je mets de côté les appels irrecevables, sans objet, les désistements, je prépare les réquisitions et une fois celle ci signées l’ordonnance : ça permet de gagner du temps car„,tant que cela n’est pas fait même si ce sont des décisions qui ne paraissent pas importantes, tant que l’irrecevabilité ou le désistement n’est pas constaté, la situation de la personne ne sera pas définitive et il ne pourra bénéficier des réductions de peine, ne pourra pas faire réétudier sa situation avec son nouveau projet. J’ai connu un détenu qui est sorti en « sortie sèche » parce que l’appel ne m’était pas parvenu. Lorsque la détention m’a fait part du problème, avec les réductions de peines auxquelles il aurait eu droit il aurait pu sortir 1 mois plus tôt. Je n’ai pas demandé le dossier mais ai demandé au parquet général de signer un ordre de libération.
Je décide de l’urgence des dossiers et les audiences seules. Je ne vois aucun magistrat ni du parquet ni du siège qui vient consulter les nouveaux dossiers.
Je vais à l’audience bien évidemment
je ne mets pas en forme les décisions sinon je peux vous assurer que la plupart d’entre elles reviendraient pour difficulté d’exécution. Je rédige souvent le rappel des faits et le par ces motifs car sinon les arrêts se termineraient par : confirmation ou infirmation. C’est un peu léger pour faire exécuter un arrêt. Dès que j’ai connaissance de la décision je dois souvent regarder ce qu’il va advenir du condamné. Certains vont sortir rapidement en libération conditionnelle. Je contacte souvent le SPIP pour avertir afin que, sans dévoiler la décision avant la date, ils puissent organiser la sortie au cas où. Il y a aussi les placements sous surveillance électronique. Et non, mesdames et messieurs les magistrats, le bracelet ne pousse pas autour de la cheville dès la date prévue. Il faut contacter la personne chargée de la pose, voir une date de disponibilité car cette personne est souvent seule pour tout un département.
Et alors le pompon : une décision de semi-liberté probatoire à une libération conditionnelle sans durée de semi-liberté et date de fin de libération conditionnelle. Ben oui ça va pousser aussi tout seul sur mon traitement de texte puisque je ne mets qu’en forme les décisions. A la question posée au magistrat : combien de temps la semi-liberté, la réponse n’a été qu’un haussement d’épaule indiquant que ce n’était pas vraiment son problème. Nous avons tout décidé seules avec la conseillère d’insertion et de probation (CIP). Je suis souvent en rapport avec les CIP et heureusement. Si je n’arrive pas à travailler en équipe avec certains magistrats ce n’est pas le cas avec les SPIP (Service Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, là où travaillent les CIP) avec qui j’ai démêlé beaucoup de situations.
Bref non je ne suis pas une secrétaire, je suis obligée de prendre beaucoup d’initiatives et de responsabilités (ce que je vis également quand je fais des remplacements au service d’exécution des peines) et j’en suis fière. Mais s’il vous plaît ne demandez plus : à quoi ça sert un greffier parce que…CA M’ENERVE !!!!!