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« Musées propres » : la gestion des œuvres d’art spoliées au passé flou

Le blog Dalloz - bley, 26/02/2013

Lors de sa séance du mercredi 16 janvier 2013, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a eu à connaître d’un sujet particulièrement sensible : la spoliation, systématique et d’une ampleur gigantesque, d’œuvres d’art par les nazis pendant l’occupation, notamment à travers la terrible action de l’ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg). [...]

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Ornate gold frame at the concrete wall with clipping path for thLors de sa séance du mercredi 16 janvier 2013, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a eu à connaître d’un sujet particulièrement sensible : la spoliation, systématique et d’une ampleur gigantesque, d’œuvres d’art par les nazis pendant l’occupation, notamment à travers la terrible action de l’ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg). La catastrophe aura durement touché des centaines de milliers de familles de confession juive et fait incontestablement partie des visées génocidaires du régime hitlérien, dans la mesure où elle participe pleinement de la négation de l’être en confisquant l’avoir.

Le sujet est, certes, aujourd’hui bien connu et fait l’objet de travaux de grande qualité et d’une médiatisation croissante. Sénatrice, madame Corinne Bouchoux s’est récemment saisie de la question, formulant, après une trentaine d’auditions, une série d’intéressantes propositions afin de tenter d’aller plus loin encore (V. le compte rendu sur le site du sénat). L’objectif est simple : il s’agit de militer en faveur de la mise en place de « musées propres », c’est-à-dire de musées, selon les termes de la sénatrice, « dans lesquels tous les biens, quel que soit leur statut – acquis par don, par legs, par achat –, sont irréprochables en terme de provenance ».

En effet, c’est aujourd’hui devenu une préoccupation légitime des organismes publics que de rechercher méticuleusement la provenance des œuvres d’art dont on sait qu’un doute subsiste sur leur passé. Ce souci est partagé au niveau européen et mondial. Le secteur privé n’est pas en reste sur ce point et les maisons d’enchères prennent également un soin tout particulier à s’assurer de l’origine des pièces qu’on leur confie. D’ailleurs, selon les conclusions de la sénatrice, un marché de la provenance des œuvres d’art aurait émergé, et près de 200 personnes en vivraient actuellement aux États-Unis. Aussi, les musées français ne doivent cesser de se confronter à ces éléments particuliers de leur collection.

C’est donc des fameux MNR (Musées nationaux récupération) dont il est question ici. Sont désignées sous ce sigle les nombreuses œuvres entrées en dépôt dans les collections françaises après la Libération, en attente de retrouver un jour leur propriétaire initial et dont la provenance est plus que douteuse. La qualification de MNR a été rendue possible par un décret du 30 septembre 1949. Une légère attention permet d’identifier ces trois lettres lourdes de sens sur certains cartels du Louvre, du musée d’Orsay mais, également, dans divers musées de province et parfois au sein d’administrations (V., sur ce point, H. Feliciano, Le Musée disparu, Gallimard, rééd. 2008, p. 331). Il faut dire qu’en 1945, l’afflux d’œuvres spoliées aura été impressionnant. Nombre d’entre elles ont été restituées : près de 46 000 en 1949. Cependant, selon les chiffres de madame Bouchoux, 15 792 sont demeurées entre les mains de l’État, faute de n’avoir pu retrouver leur propriétaire. Entre 75 et 80 % ont été vendues par le service des domaines à cette époque, et il resterait ainsi environ 2 000 œuvres estampillées MNR. De plus, selon deux experts ayant participé aux travaux de la commission Mattéoli, au 1er mars 2000, 163 objets avaient été spoliés, de façon certaine ou quasi certaine, dont certains d’entre eux avaient été retrouvés au château de Neuschwanstein, véritable capharnaüm où fut entreposé, pour partie, le résultat des rafles nazies (I. Le Masne de Chermont et D. Schulmann, Le pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées au musées nationaux, Doc. fr., 2000, p. 65).

Que faut-il faire de ces œuvres ? Ou, plutôt, que reste-t-il encore à faire avec ces œuvres ? En effet, les travaux de la commission, à l’initiative de Madame Bouchoux, démontrent que beaucoup a déjà été entrepris. Les initiatives sont provenues de l’État français, bien sûr, mais pas seulement. Les œuvres classées MNR sont précisément identifiées et doivent être accessibles au public. Les musées ne les détiennent qu’à titre précaire. La commission Mattéoli, mise en place en 1997, a fourni un impressionnant travail et le site Rose Valland recense l’ensemble des MNR ainsi que leur localisation. Treize restitutions auraient été opérées pour l’année 2012. Et, encore récemment, grâce au travail d’une historienne autrichienne, sept œuvres destinées au musée qu’Hitler voulait créer à Linz vont être restituées par la France (N. Herzberg, Ces sept tableaux spoliés que la France va rendre, Le Monde, 14 févr. 2013, p. 22). Il faut également citer les diverses expositions proposées ces temps derniers et, notamment, par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme en 2008 (« À qui appartenaient ces tableaux ? »), de même que l’extraordinaire action d’institutions et de fondations d’origine privée qui ont largement contribué à la fin heureuse de multiples dossiers de restitution.

Cependant, selon la sénatrice Bouchoux, il faut aller encore plus loin. Une impulsion nouvelle doit être donnée à la problématique des restitutions. Le respect des principes de la conférence de Washington, laquelle s’est tenue en 1998, doit conduire à emprunter cette voie. Ce qui semble possible et sans passer par l’adoption d’un texte à valeur législative. Neuf propositions ont été formulées. Ainsi, il est effectivement impératif de régler le sort des 163 œuvres (le nombre n’est certainement plus celui-là, notamment si l’on tient compte de la restitution précitée) dont la spoliation est certaine. De même, un sigle sur le cartel pourrait marquer que la provenance a été vérifiée. Le travail de recherche devrait être facilité (développement des travaux académiques en ce sens, meilleure accessibilité des recherches), et le statut des MNR rappelé.

Toutes ces propositions vont dans le bon sens. Peut-être ne pourra-t-on se passer d’un texte, notamment pour définir avec précision le statut de ces œuvres au passé flou. Quoi qu’il en soit, il convient de limiter, autant que faire se peut, en tenant compte de l’action irrémédiable du temps, la présence dans les collections françaises d’œuvres au passé trouble, nécessairement synonymes d’un drame humain. Corrélativement, cet objectif sert également celui d’une recherche constante et plus efficace de la restitution des œuvres aux héritiers de ces familles dépouillées, l’un des gages d’une meilleure réparation des atrocités commises.

Thibault de Ravel d’Esclapon
Chargé d’enseignement à l’Université de Strasbourg, Centre du droit de l’entreprise


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