Fonctionnaires des greffes, parlons-en
Journal des greffiers en colère - Eolas, 23/04/2014
Par Cyberkek, greffier correctionnel
Bien, on nous propose une réforme “ambitieuse” pour la justice du XXIème siècle… Et si déjà, au moins, il était possible de travailler au XXème?
Parce que nous sommes aujourd’hui considérés plus comme des serfs dociles que des techniciens du droit, not’bon maître. D’aucuns murmurent que l’on aurait vu nos représentants nationaux nous flatter l’encolure il y a peu, ça soulage un peu les escarres du joug…
Parce qu’il y a pénurie de plumes d’oie et de lampes à pétroles et que nous devons partir au petit matin, après une audience tardive la veille, afin d’éviter que nos enfants ne nous voient voler leurs feuilles de dessins où il reste un verso utilisable…
Parce que nous travaillons gratuitement à permettre aux magistrats de rendre justice au nom du peuple français et que même cette gratuité, nous dit-on, est déjà trop chère payée…
Parce que nous n’avons plus le temps d’audiencer, de mettre en forme, d’exécuter les décisions alors qu’il nous reste les vitres à faire, les seaux à vider après la pluie, les murs de cartons d’archives à maçonner et panser les plaies des collègues qui ont eu le malheur de rencontrer un justiciable exaspéré par notre lenteur…
Parce que, même si nos compétences procédurales importent peu, nous serons tenus pour responsables des erreurs qui viendraient à se produire car, n’oublions pas, nous sommes de dangereux laxistes qui faisons rien qu’à saborder le travail des services de police pour relâcher dans la nature de dangereux multirécidivistes…
Parce qu’enfin, nous sommes si omniprésents à tous les stades de la procédures que l’on ne nous voient même plus.
Allez, je caricature, c’est souvent le cas quand le ridicule de cette situation vous prend à la gorge.
Mais quand même, ne pas considérer le greffier comme un collaborateur compétent du juge, c’est avant tout entériner la désuétude de notre système judiciaire et les conséquences pour les citoyens qui attendent une réponse des tribunaux à leurs déboires. Ce qui est mauvais pour la démocratie.
Mais quand même, ne pas reconnaître que les décisions prises en assemblée générale des fonctionnaires sont conditionnées au bon vouloir des magistrats chefs de juridiction et non à l’aval de notre hiérarchie, c’est aussi mauvais pour la démocratie. Il suffit de voir comment s’atteint péniblement le quorum des dites assemblées, parfois en allant rameuter quelques bonnes volontés dans les bureaux, sur les directives des chefs de cour.
Mais quand même, ne pas comprendre que notre statut de fonctionnaire collaborateur des magistrats garantit aussi l’indépendance de ces derniers, c’est encore mauvais pour la démocratie.
Mais quand même :
Vous connaissez de nombreux emplois où, au sortir de votre formation, une fois votre affectation connue, les saisies immobilières dans mon cas, vous n’avez pas droit à une formation complémentaire sur vos attributions parce que « la procédure des saisies, c’est trop complexe » ?
Vous connaissez de nombreux emplois où vous attendez plusieurs semaines après votre prise de fonction pour obtenir les moyens techniques et informatiques de faire ce pour quoi vous êtes plus ou moins bien formés ?
Vous connaissez de nombreux emplois où vous commandez les tampons nécessaires à vos fonctions (« Marianne », « extrait des minutes », formule exécutoire, etc.) et obtenez votre mutation deux ans plus tard sans en avoir vu un seul ?
Vous connaissez de nombreux emplois où vos commandes de papeterie sont, par principe, divisées par deux, au mieux, des fois que vous souhaitiez les utiliser pour rendre à vos enfants les feuilles volées plus haut ?
Vous connaissez beaucoup d’emplois où vous vous retrouvez à faire tout, et parfois n’importe quoi, sauf ce qui est votre métier, et où l’on ne vous reconnaît même pas cette polyvalence ?
Vous connaissez beaucoup de secteurs d’activité où votre réputation de mauvais payeur va bientôt vous interdire d’avoir recours à la poste, aux médecins ou aux interprètes ?
Vous connaissez des secteurs d’activités qui servent autant d’argument électoraliste et populiste au point de fragiliser l’ensemble d’un système patiemment élaboré ?
Le résultat de tout ça, c’est le rang enviable du « pays des droits de l’Homme » à la CEDH.
Le résultat, c’est le citoyen qui en paie le prix.
Le résultat, c’est notre exaspération aujourd’hui.