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Juristes d’antan, grandes affaires : Anne Robert et l’indemnisation de l’accusé à tort

Le blog Dalloz - anthony astaix, 22/01/2013

Le lundi 17 janvier 1600, entre huit et neuf heures du matin, le roi Henri IV, accompagné par le duc de Savoie, se rend par bateau du Louvre jusqu’au Palais de la Cité, siège du parlement de Paris. Son premier président, Christophe de Harlay, ayant été averti de l’honneur que le monarque entendait faire à [...]

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rack instrument of tortureLe lundi 17 janvier 1600, entre huit et neuf heures du matin, le roi Henri IV, accompagné par le duc de Savoie, se rend par bateau du Louvre jusqu’au Palais de la Cité, siège du parlement de Paris. Son premier président, Christophe de Harlay, ayant été averti de l’honneur que le monarque entendait faire à la cour, décide de faire appeler à l’audience une fameuse affaire d’alors, celle de l’assassinat de Jean Prost.

Un soir du mois de février 1599, ce dernier s’était présenté chez Henry Bellenger et Catherine Cordier, hôteliers, leur demandant l’hospitalité. Après quelques jours, le jeune homme disparaît. Il ne sera retrouvé que bien plus tard, assassiné. S’ouvre ainsi une enquête dont les rebondissements n’ont sans doute rien à envier aux meilleurs romans policiers : après avoir découvert que les époux Bellenger avaient profité de l’absence de leur hôte pour s’emparer de ses vêtements et argent laissés dans la chambre, la mère de la victime, Sébastienne Domenchin, entendit les convaincre du meurtre de son fils. La justice suivit par conséquent son cours habituel et déchaîna contre les accusés tous les raffinements de sa barbarie. Bien que continuant de clamer leur innocence, la condamnation semblait inévitable. « Qui vole un œuf, vole un bœuf », affirme la sagesse populaire ; qui détrousse un mort est bien capable de l’assassiner, conclurent les observateurs de l’époque !

Et voilà pourtant que surgit la vérité, aussi inespérée qu’inattendue : deux malfaiteurs venaient d’être arrêtés pour d’autres méfaits et condamnés à la pendaison. Juste avant que ne soit exécutée la sentence, l’un d’entre eux, Jean Bazana, confessa par testament être l’auteur du meurtre de Prost, précisant que toutes les preuves nécessaires se trouvaient à son domicile. L’accusation à l’encontre des hôteliers tombant d’elle-même, ceux-ci se retournèrent néanmoins contre leur accusatrice, exigeant réparation.

Dans sa plaidoirie, Anne Robert évoque de la sorte la calomnie dont furent victime ses clients et demande compensation. Nonobstant que les historiens ne nous transmirent aucun document propre à établir sa biographie, l’avocat a assurément marqué les esprits par la pertinence et la précision de ses arguments (V. P.-A. Berryer, Leçons et modèles d’éloquence judiciaire, J. L’Henry & cie, 1858, p. 52). Il considère que deux sentiments peuvent animer le délateur et le pousser à accuser autrui : soit la méchanceté, soit simplement l’imprudence, dénuée de toute malice.

Dans la première hypothèse, le droit pénal devra s’appliquer dans toute sa rigueur, l’avocat se référant au droit romain où le calomniateur, même s’agissant de crimes non capitaux, était flétri avec un fer chaud afin que toujours son front porte la marque infamante de son acte. Des arrêts allèrent, par ailleurs, jusqu’à imposer cette rigueur aux accusateurs publics, l’Histoire nous rapportant l’exemple de Taboué, procureur général au parlement de Chambéry, condamné à subir la même peine (en l’espèce, faire amende honorable) que celle imposée et exécutée par Raimond Pelisson, président de ce parlement, condamné à tort pour des faussetés et des malversations commises dans les fonctions de sa charge (V. M. Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, t. I, Visse, 1784, p. 115).

Dans la seconde situation, l’excuse est de mise et c’est au droit civil et au principe de la réparation qu’il faut en appeler. Aussi compréhensible que soit l’attitude d’une mère en quête de justice pour son défunt fils, les atrocités subies par un innocent ne peuvent être ignorées. « Un corps géhenné, tiraillé, demi-déchiré, les nerfs séchés et raidis, les membres froissés et fracassés, avec un effroyable traitement du reste du corps, lié, tiré, misérablement étendu […] à tout le moins par une condamnation de dommages et intérêts suppléez quelque récompense pécuniaire, pour subvenir à la misère de ce pauvre homme et lui aider à trainer le reste de sa vie languissante après tant de tourments », exhortera l’avocat.

Si la plaidoirie de maître Robert semble avoir marqué les esprits, Michaud et Poujoulat évoquant une « affaire merveilleusement bien traitée » (Nouvelle collection des mémoires pour servir l’histoire de France depuis le XIIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe, vol. 1, E. Proux, 1837, p. 309) et Berryer la reproduisant presque intégralement (op. et loc. cit., p. 49 s.), elle ne convainquit malheureusement pas la cour. En cause, pas tant le talent de l’orateur que le droit positif de l’époque, repris dans ses conclusions par l’avocat général, Louis Servin.

Une ordonnance de Philippe IV, datant de 1303, déclarait, en effet, que tout dénonciateur est tenu d’indemniser entièrement l’innocent qu’il aura accusé, à moins que le bruit public, ou un soupçon probable, ne puissent excuser sa dénonciation. Tel était également l’opinion de Cujas à propos du Livre XXVI des réponses de Papinien. Dans son Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Merlin explique encore une telle solution par des considérations d’intérêt public. Selon une opinion qu’il ne partage pas, trop de rigueur dans la sanction des dénonciateurs que des indices pressants auraient séduits ne servirait qu’à favoriser le désordre : poursuivre la vengeance des crimes susciterait désormais la crainte de s’exposer à une condamnation de dommages et intérêts. Il en découlerait des hésitations et des retards qui ne sauraient qu’être préjudiciables à l’ordre public. Celui-ci « ne peut pas être blessé par l’accusation d’un innocent, [mais] souffrirait certainement par l’impunité des coupables » (Vol. 13, 5e éd., Garnery, 1828, p. 21). Pour l’auteur, une telle démonstration demeure cependant spécieuse, les indices négligés par les accusateurs, et qui auraient pu leur indiquer le véritable meurtrier, justifiant tout le moins une condamnation aux dépens.

Une telle solution sera finalement retenue par un arrêt du 30 mars 1694.

Nicolas Kilgus
Doctorant contractuel à la faculté de droit de Strasbourg


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