Starbuck, ou la quête des origines
Le blog Dalloz - bley, 24/10/2012
Si les nouveaux bacheliers, inscrits dans nos facultés de droit (tout du moins lorsqu’ils n’auront pas rencontré de difficultés administratives pour le faire, bonheur des pièces manquantes ou du dossier égaré), ne découvriront la passion du droit extrapatrimonial de la famille qu’au second semestre, c’est peut-être néanmoins un avant goût de la matière que leur livre le film Starbuck.
Paru dans les salles obscures québécoises dès juillet 2011, présenté au Festival international du film de Toronto les 14 et 15 septembre de la même année, il aura fallu attendre cet été, précisément le 27 juin 2012, pour que son succès conduise à sa diffusion en France, et plus largement en Europe. Steven Spielberg en aurait également acquis les droits en vue d’une adaptation américaine (Le Point.fr, 26 juin 2012).
Dans un registre résolument comique, Ken Scott, son réalisateur, nous livre l’histoire de David Wozniak, éternel adolescent de quarante-deux ans incarné par Patrick Huard, (mauvais) livreur dans la boucherie familiale. Aussi nombreux que soient ses efforts afin d’échapper à toute forme de responsabilité, voilà que la vie l’appelle à devenir… adulte… père ! Paternité « ordinaire » tout d’abord, puisque sa petite amie lui apprend qu’elle est enceinte, tout en refusant de l’associer à sa grossesse du fait de son immaturité chronique. Paternité « extraordinaire » ensuite, lorsqu’il rencontre un matin, dans sa cuisine, maître Chamberland, l’informant qu’il est le géniteur de 533 enfants, 142 d’entre eux ayant entamé une class action en vue de connaître la véritable identité de leur père biologique. À l’origine de ce second bouleversement, 693 dons de sperme réalisés sur une période de vingt-trois mois, entre 1988 et 1990. Le droit canadien n’ayant prohibé qu’en 2004, par une loi du 29 mars, le fait « d’acheter ou d’offrir des ovules ou des spermatozoïdes à un donneur ou à une personne agissant en son nom » (art. 7, 1°), l’opération avait alors rapporté au jeune homme pas moins de 24 255 $. Une clause d’anonymat ayant en outre été signée avec la clinique, notre donneur n’était connu que sous son nom de scène, Starbuck. Et le pseudonyme n’est pas choisi par hasard, faisant en réalité référence à un taureau canadien de race Holstein ayant produit des centaines de milliers de veaux par inséminations artificielles dans les années 1980 et 1990, au point d’en devenir une légende du Centre d’insémination artificielle du Québec (CIAQ).
Plus largement, quand bien même une telle hypothèse peut sembler cocasse une fois quitté le monde de la reproduction bovine, l’histoire ne s’inspire pas moins de faits réels, les scénaristes ayant reconnu s’être inspirés d’un fait divers américain où un homme fut le géniteur de près de 350 enfants. L’actualité se répète en avril 2012, soit neuf mois après la sortie du film, lorsque le biologiste Bertold Wiesner, cofondateur de la clinique de la fertilité London Barton dans les années 1940, est soupçonné d’avoir largement eu recours à ses propres gamètes, donnant cette fois-ci naissance à plus de 600 personnes (Le Point.fr, 10/04/2012). Le même scénario serait encore au cœur du roman de Guillaume Cochin, Spermatofolie, dont l’auteur et l’éditeur ont assigné en justice les producteurs et réalisateur du film pour contrefaçon (Le Nouvel Observateur, 26 juill. 2012).
Pour le juriste, bien réelle également sera la problématique de l’anonymat du don de gamètes. En effet, rappelons que l’actualité française avait été marquée, il y a quelques mois, par la volonté d’offrir, à l’occasion de la révision des lois relatives à la bioéthique, un droit à la connaissance de ses origines (V. sur ce blog, notamment les billets de Julien Marrocchella des 16 déc. 2010, 25 févr. 2011 et 26 juill. 2011). Le texte, finalement adopté le 7 juillet 2011, maintiendra le principe, sauf une seule exception en cas d’anomalie génétique grave chez l’enfant (art. 2). Une telle solution fut récemment réaffirmée par le tribunal administratif de Montreuil, le 14 juin 2012, considérant notamment que les informations contenues dans le dossier d’un donneur de gamètes lors d’une insémination artificielle sont secrètes et protégées par la loi. En France, Starbuck aurait, par conséquent, pu continuer à couler des jours heureux, insouciant… Sans doute est-il alors intéressant de tenter un rapide panorama des situations dans les législations de nos voisins.
Ainsi, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède ou encore la Suisse ont-ils abandonné ce principe de l’anonymat du don : dans ces quatre pays, les enfants pourront donc prétendre à la connaissance de l’identité du donneur, dès seize ans aux Pays-Bas et lors de leur majorité dans les autres États. Si la Suède a franchi le pas dès 1984 en légiférant sur l’insémination artificielle, ce droit ne sera cependant applicable qu’aux personnes nées après le 1er juin 2004 aux Pays-Bas, le 1er avril 2005 au Royaume-Uni et le 1er janvier 2001 en Suisse. En Allemagne, aucun texte ne régit directement la question mais la Cour constitutionnelle fédérale reconnaît le droit pour chacun de connaître ses origines depuis 1989.
Outre-Atlantique, aux États-Unis, la logique même du « don » est radicalement différente puisque l’État n’entend pas en règlementer l’exercice et laisse à la liberté contractuelle toute latitude. Le donneur y est par conséquent rémunéré, le prix négocié, sa sélection se faisant ensuite en personne. In fine, le choix du père biologique se fera sur catalogue, la receveuse pouvant définir des paramètres tels que le niveau d’études, les antécédents ethniques, la taille, les yeux, les cheveux, la profession, etc., ou encore l’accord du donneur pour rencontrer l’enfant une fois adulte.
Au Canada, enfin, qu’en serait-il aujourd’hui pour notre serial-genitor ? Alors que la loi de 2004 considérait traditionnellement le don comme un acte anonyme et altruiste, le 19 mai 2011, la Cour suprême de Colombie-Britannique a annulé une loi provinciale qui, justement, protégeait l’identité des donneurs de sperme, interdisant par ailleurs désormais toute destruction des dossiers médicaux en la matière et ordonnant à la province de modifier sa législation en ce sens. La raison retenue par la juge Elaine Adair est que la « procréation assistée à l’aide de don de sperme ou d’ovule anonyme est contraire au bien de l’enfant ». Affaire à suivre, donc… Les plus sceptiques rappelleront quant à eux cet argument tant de fois avancé : la levée de l’anonymat découragerait peut-être les futurs donneurs ; et des dons en plus faible nombre conduisent à moins de naissances… Mais l’intérêt de l’enfant, au sens juridique du terme, doit-il inclure son droit à naître et ce, dès avant sa conception ? Voilà sans doute un mystère aussi insondable que celui de la quête des origines entre l’œuf et la poule…
Nicolas Kilgus,
Doctorant contractuel à la faculté de droit de Strasbourg