Peines et châtiments d’autrefois : lorsqu’un musée de la barbarie judiciaire s’invite dans une salle des ventes
Le blog Dalloz - bley, 3/04/2012
Si les plus classiques se contenteront d’un magnifique, quoiqu’un peu oxydé, boulet de bagnard en fonte ou encore d’entraves, figures inconfortables de nos menottes modernes, les amateurs de tortures et cruautés en tous genres préféreront sans nul doute se tourner vers des ustensiles plus hétéroclites. « Berceau de Judas », « Vierge de fer ou de Nuremberg », « poire d’angoisse », « poucettes », etc., autant de termes fleuris dont il faudra aller chercher le sens dans les manuels d’histoire ou certains ouvrages édités du temps de l’Inquisition ! Voilà pourtant les incontournables, objets stars d’une collection personnelle qui sera mise en vente le 3 avril 2012, à Paris, par la fille de leur défunt propriétaire. Sous un intitulé explicite, Peines et châtiments d’autrefois, ce ne sont pas moins de quatre cent seize lots qui devraient être mis aux enchères par la maison Cornette de Saint-Cyr, soit l’intégralité d’une collection un temps exposée au Musée de la justice et des châtiments, créé par le collectionneur lui-même en 1992 à Fontaine de Vaucluse.
Décédé en 2008, Fernand Meyssonnier a amassé pendant plus de trente ans toutes sortes de documents et d’outils relatifs à la guillotine, au bagne, à la prison, plus largement aux châtiments d’une justice sachant alors faire preuve d’un terrible raffinement dans l’application d’une indicible cruauté. Sans doute une bien singulière passion pour cet homme qui fut l’un des derniers bourreaux de la République française, exécuteurs des arrêts criminels en Algérie de 1957 à 1961. Singulier destin également que ce fils qui, au début de sa carrière, assistait son père, Maurice Meyssonnier, alors exécuteur en chef, celui-là même qui lui avait offert sa première maquette de guillotine à l’âge de quatorze ans, et emmené à sa première exécution à seize ans. « Chez les Meyssonnier, on guillotinait de père en fils », ironisera Catherine Simon dans un article du Monde, le 17 septembre 2002, à l’occasion de la sortie de son livre, Paroles de bourreau. Témoignage unique d’un exécuteur des arrêts criminels (Imago, oct. 2002, 300 p.). Par-delà l’autobiographie « d’un homme ordinaire ayant assumé une fonction extraordinaire » (p. IV), c’est donc aujourd’hui des centaines de traces laissées par le bras de la justice à travers les siècles qui sont appelées à être proposées à la vente.
Estimée à plus de 200 000 €, la recette escomptée n’en finit pas de choquer. Dès mercredi 28 mars, plusieurs associations de défense des droits de l’homme ont critiqué une initiative « très choquante et contraire à toute morale ». Dans un communiqué commun, Amnesty International France, le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), l’association Primo Levi, l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et la Ligue des droits de l’homme dénoncent une « commercialisation de la torture ».
Face à ces multiples réactions, le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques a choisi de se saisir de l’affaire. Parmi les missions de cet établissement d’utilité publique dotée de la personnalité morale, institué par la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 et modifié par une loi n° 2011-850 du 20 juillet 2011, dont le fonctionnement est désormais régit par les articles L. 321-18 à 321-23 du code de commerce, figure ainsi « l’obligation d’intervenir en cas de non-respect par les opérateurs du marché de leurs obligations légales, réglementaires ou bien professionnelles ». Tout manquement à ces règles peut en outre donner lieu, par décision motivée, à diverses sanctions disciplinaires : « l’avertissement, le blâme, l’interdiction d’exercer tout ou partie de l’activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ou de diriger des ventes à titre temporaire pour une durée qui ne peut excéder trois ans, l’interdiction définitive d’exercer l’activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ou l’interdiction définitive de diriger des ventes » (art. L. 321-22, al. 5). Par le biais d’un communiqué, l’autorité de régulation a cependant précisé que la vente devait être autorisée.
En droit interne, rien ne peut en effet l’interdire. Si Henri Pouillot, du MRAP, a pu considérer que cette dernière est « à la limite de l’apologie de crime », la promotion de la torture pouvant être sanctionnée par l’article 24, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (Crim. 7 déc. 2004, Bull. crim. n° 310), une telle vente aux enchères d’objets historiques, dénuée de toute appréciation ou justification quant à leur utilisation, ne saurait être prohibée. Rappelons en ce sens la guillotine en chêne adjugée 270 000 F à l’Hôtel Drouot, le 12 juin 1989, ou encore celle dite des « armées révolutionnaires », le 15 juin 2011, pour 223 056 € (Le Monde, 14 juin 1989 ; Le Parisien, 17 juin 2011).
Reste alors le droit européen, plus précisément un règlement CE n° 1236-2005, du 27 juin 2005, concernant le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Se fondant que l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, une résolution sur la torture adoptée le 24 avril 2001 par la Commission des droits de l’homme des Nations-Unies et une résolution du Parlement européen du 3 octobre de la même année, celui-ci précise qu’il convient « d’instaurer des règles communautaires régissant le commerce avec les pays tiers de biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale et de biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (introduction, n° 7).
Le règlement distingue alors les objets « n’ayant aucune autre utilisation pratique » que celles précitées et les biens uniquement « susceptibles d’être utilisés » en vue de ces fonctions. Au terme de son article 3, les premiers ne pourront être exportés en dehors du territoire douanier de l’Union européenne, quelle que soit leur provenance. Une dérogation sera néanmoins envisageable « s’il est prouvé que, dans leur pays de destination, ces biens seront utilisés exclusivement à des fins d’exposition publique dans un musée, en raison de leur signification historique ». L’article 5 dispose que la seconde catégorie devra faire l’objet d’une autorisation d’exportation, délivrée au cas par cas, essentiellement en fonction du risque que ces biens servent à torturer ou à infliger la peine capitale dans leur pays de destination. En France, l’autorité compétence sera le Service des titres du commerce extérieur, relevant de la Direction générale des douanes et droits indirects.
En définitive, la salle des ventes pourra adjuger l’intégralité des lots, sous la seule réserve d’une correcte information des éventuels enchérisseurs des contraintes juridiques pesant sur la circulation de certains d’entre eux en raison de leur spécificité. En affirmant vouloir se placer au-delà « de toute considération éthique sur la valorisation financière de ces objets », le Conseil des ventes s’est par conséquent très justement borné à faire application du droit. Si l’État choisit de ne pas user de son droit de préemption (établi par une loi du 31 déc. 1921) pour se substituer au dernier enchérisseur, ces souvenirs de la cruauté judiciaire d’antan rejoindront des collections privées.
« La France est grande parce qu’elle a été la première en Europe à abolir la torture malgré les esprits précautionneux qui, dans le pays, s’exclamaient à l’époque que, sans la torture, la justice française serait désarmée, que, sans la torture, les bons sujets seraient livrés aux scélérats », rappelait Robert Badinter en demandant à la représentation nationale d’abolir la peine de mort, le 17 septembre 1981. Reste à espérer que les éventuels collectionneurs conserveront ces objets comme autant de stigmates de ce que l’imagination des hommes peut contenir de plus vil, ici vaincue mais là-bas parfois encore mise à l’honneur, et non tels les souvenirs nostalgiques d’une époque où la justice était (encore !) suffisamment répressive et dissuasive.
Nicolas Kilgus
Doctorant contractuel à la faculté de droit de Strasbourg