Non, la France n’a pas refusé l’asile à Eward Snowden
Journal d'un avocat - Eolas, 5/07/2013
Le ministre de l’Intérieur a publié un communiqué de presse dont la brièveté me dispense de le résumer au profit d’une citation intégrale.
Communiqué de presse de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur.
La France a reçu, comme beaucoup d’autres pays, par l’intermédiaire de son ambassade à Moscou, une demande d’asile de M. Edward Snowden. Compte tenu des éléments d’analyse juridique et de la situation de l’intéressé, il n’y sera pas donné suite.
Chaque mot est pesé, et ce communiqué est un chef d’œuvre de byzantinisme pour que chacun puisse comprendre ce qu’il veut.
Sauf les juristes, ces rabat-joies de la comm’.
Notez bien ce que ne dit pas ce communiqué. La France n’a pas refusé l’asile à Edward Snowden. Elle a reçu une demande, il n’y sera pas donné suite. Quelle suite ? Ah, trop tard, le communiqué de presse est fini.
Rappelons qu’aux dernières nouvelles, Edward Snowden est bloqué dans la zone dite, à tort, internationale de l’aéroport de Moscou. À tort car ce nom laisse à penser que cette zone ne dépend d’aucun pays, comme les eaux internationales, alors que c’est bien une zone souveraine russe ; simplement ceux qui s’y trouvent ne sont pas juridiquement considérés comme ayant pénétré sur le territoire et peuvent être réexpédiés ailleurs sans tambours ni trompettes.
Il a demandé l’asile à plusieurs pays ; la Russie, par l’intermédiaire de son incarnation humaine Vladimir Vladimirovitch Poutine lui a dit qu’il serait le bienvenu à la condition qu’il s’engage à ne plus nuire aux États-Unis. Cette condition ne l’agréant pas, car il semblerait qu’il ait encore deux ou trois choses à raconter, Edward Snowden a déposé toute une série de demandes d’asile auprès des ambassades de divers pays, dont notre belle République.
Le statut de réfugié dépend d’une Convention internationale, la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Avant cette Convention, faite pour répondre aux immenses déplacements de population à la suite de la Seconde Guerre Mondiale, la France avait déjà une vieille tradition d’asile : ainsi en 1915, elle a accueilli des milliers d’Arméniens fuyant le génocide, en 1917, des Russes blancs fuyant la Révolution bolchévique, dans les années 30, des Russes rouges fuyant la folie sanguinaire stalinienne, en 1939, des centaines de milliers d’Espagnols. À chaque fois, un Office spécialisé était créé, jusqu’à être remplacé en 1952, en même temps que la Convention de Genève était ratifiée, d’un Office unique en charge de toutes les demandes d’asile, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, ou OFPRA, situé à Fontenay-Sous-Bois dans le Val de Marne (là).
L’OFPRA envoie ses agents, appelés Officiers de Protection, dans des bureaux situés dans les DOM COM pour gérer sur place les nombreuses demandes (la demande haïtienne dans les Antilles, comorienne à Mayotte, ou sud-américaine en Guyane. Mais le quartier général est à Fontenay Sous Bois.
Seul le Directeur Général de l’OFPRA signe les décisions d’asile (pas en personne bien sûr, il délègue sa signature), et le ministre dont il relève n’a aucun pouvoir hiérarchique sur lui, contrairement au reste de l’administration, ou il peut ordonner que telle décision soit prise voire la prendre lui-même. D’ailleurs ces dernières années, l’OFPRA a fait un peu le tour des ministères : longtemps rattaché au Ministères des Affaires Etrangères, il a été refilé à l’abominable ministère de l’immigration, puis à la disparition de celui-ci, versé au ministère de l’intérieur. Ce qui n’empêche que si son précédent Directeur général était un préfet, l’actuel est un diplomate de formation.
Le demandeur est en principe reçu par un Officier de Protection pour un entretien, au besoin assisté d’un interprète, au cours duquel l’Officier de Protection cherchera d’une part à établir la réalité du récit, et d’autre part à estimer si au vu des éléments crédibles de ce récit, le réfugié craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. C’est la définition, un peu compliquée certes, du réfugié au sens de la Convention de Genève. Pour résumer : éprouve-t-il avec raison des craintes de persécutions (pas besoin de démontrer la réalité d’un danger imminent, il suffit d’éprouver des craintes légitimes), est-ce en raison d’un des critères (race, religion, nationalité, groupe social, etc.) ? Si la réponse est oui, félicitations, vous avez trouvé un nouveau foyer.
Mais pour être reçu à l’OFPRA, encore faut-il déposer son dossier. Et pour cela, il faut être sur le territoire français ou à tout le moins se présenter à sa frontière. Que ce soit terrestre, maritime ou aérienne, la fameuse zone internationale des aéroports français. Là, l’étranger est en principe admis sur le territoire à charge pour lui de déposer son dossier dans un délai de trois semaines, rédigé en français, sans droit à l’aide d’un interprète. Ces règles n’ont été adoptées récemment que pour faire obstacle aux demandes d’asile. la tradition de l’asile en France est très vieille, comme je l’ai dit. Elle est donc mourante.
L’étranger peut exceptionnellement se voir refuser l’entrée et présentera sa demande depuis la zone internationale, mais il garde son droit d’être reçu à l’OFPRA (il est escorté par la police), qui ne peut lui être refusé que s’il vient d’un pays figurant sur une liste des pays d’origine sûrs, sur laquelle ne figurent pas les Etats-Unis (et d’ailleurs, je connais au moins un Américain qui a obtenu l’asile en France : le cinéaste Jules Dassin, père de Joequi a fuit le maccarthysme).
Or ce n’est pas le cas de M. Snowden, qui est toujours coincé chez l’oncle Vlad’. Tout ce que peut faire un réfugié à l’étranger est d’aller au Consulat de France pour solliciter un visa au titre de l’asile, qui lui permettra de se rendre en France où il pourra avoir la joie de visiter le Val de Fontenay. En aucun cas une demande ne peut être examinée depuis l’étranger, sinon on ferait face à une demande syrienne plus importante qu’actuellement (et oui, la France accorde l’asile à des Syriens par dizaines ces derniers mois).
Edward Snowden a donc demandé en fait à pouvoir venir en France pour pouvoir présenter sa demande d’asile. Je suppose que les Etats-Unis ont fait savoir que le passeport de M. Snowden n’était plus considéré comme valable, faute de quoi il pourrait se rendre sur le territoire sur simple présentation dudit passeport (je n’ai pas les explications complètes, si vous en avez, je suis preneur). Il a donc demandé un titre d’entrée sur le territoire, visa ou laisser-passer consulaire. Or la délivrance d’une telle autorisation relève bien de la compétence du ministère de l’intérieur.
Voilà ce qu’a refusé Manuel Valls : la délivrance d’un titre qui aurait permis à Edward Snowden de venir en France et de présenter sa demande d’asile. Si l’asile lui avait été accordé, il aurait été à l’abri de toute extradition et aurait pu voyager sur le territoire de tous les Etats signataires de la Convention de Genève à l’abri d’une interpellation, sauf les Etats-Unis bien sûr (le statut de réfugié n’est pas une immunité diplomatique). Le statut de réfugié est par nature provisoire, tout réfugié a vocation à être naturalisé au bout de quelques années, s’il le souhaite.
Snowden aurait-il des chances d’obtenir l’asile ? Ce n’est pas impossible. L’établissement des faits ne poserait aucun problème du fait de la couverture médiatique de son cas. Il a fait ce qu’il a fait pour des raisons politiques, et craint avec raison des persécutions (qui peuvent prendre la forme de poursuites judiciaires) dans son pays. À mon sens, il relève tout à fait de l’asile, mais bon, IANOP (I am not an Officier de Protection), et ça aurait eu de la gueule de le recevoir.
Le Communiqué de Manuel Valls permet de passer un coup de cirage sur les pompes de l’Oncle Sam en laissant entendre qu’on lui a refusé l’asile alors qu’on lui a refusé de demander l’asile. Il montre qu’une fois de plus, l’OFPRA est considéré par le ministre comme un substitut tout à fait acceptable à un paillasson, mais ça, on a l’habitude. C’est aussi une vieille tradition, mais en pleine forme, elle.