Campagne présidentielle : quand les candidats se transforment en spammeurs
Le blog Dalloz - anthony astaix, 22/02/2012
Hier, la pré-campagne électorale présidentielle - les primaires socialistes -, aujourd’hui, l’officialisation de la candidature de Nicolas Sarkozy : le doute n’est plus permis, les candidats de tous horizons politiques s’introduisent, sans y avoir été franchement invités, dans les boîtes email et autres serveurs de courrier électroniques. Qu’on en juge : outre les courriels explicitant les raisons et les modalités de la primaire socialiste, les français de l’étranger ont reçu, peu après l’allocution audiovisuelle du président de la République faisant part de sa candidature à l’élection présidentielle, un courriel nominatif, dans l’immense majorité des cas non sollicité, de la part de l’équipe de campagne de M. Sarkozy. Le courriel, sobrement intitulé « J’ai besoin de vous pour une France forte » était bientôt suivi d’un second, dont on ne sait trop encore s’il s’agit d’un courriel « officiel » ou d’un phishing, signé du secrétaire général de l’UMP, Jean-François Coppé, invitant à soutenir financièrement son parti.
Il convient de préciser, s’agissant des français expatriés, qu’ils sont, pour toute démarche administrative, invités à s’inscrire sur le « registre des Français établis hors de France » et à fournir, en conséquence, une adresse postale et électronique ainsi qu’un numéro de téléphone. Cette démarche, quasi-obligatoire (à défaut, une prise de rendez-vous pour l’établissement d’un passeport, par exemple, pourrait être refusée) aurait pu, dû, être protégée à l’heure où la conservation des données personnelles est une véritable préoccupation, sinon française, à tout le moins européenne (V., sur ce sujet, notre article, Protection des données personnelles : une réforme globale en vue, Dalloz actualité, 6 févr. 2012 et les réf. associées). Cependant, ce registre, a priori bien anodin, est utilisé, depuis la loi organique n° 2005-821 du 20 juillet 2005, à des fins électorales puisque servant pour les inscriptions sur les listes consulaires (les listes électorales des français de l’étranger) : est inscrit sur la liste électorale consulaire tout Français inscrit au registre des Français établis hors de France (art. 4, 2° L. du 20 juill. 2005). Or, et c’est là que le bât blesse, ce sont bien ces adresses électroniques fournies en toute quiétude par les administrés aux services consulaires qui ont été récupérées par les candidats, via les listes consulaires, via le registre des Français établis hors de France. De fait, se pose aussitôt la légalité d’un tel procédé.
Est-ce légal, ma bonne dame ?
Les courriels incriminés prennent bien le soin d’indiquer, tout en bas et en petit caractères, que « les données utilisées pour vous adresser ce message sont issues des listes électorales consulaires (C. élect., art. L. 330-4) ». Or, l’article précité dispose, en son alinéa 1, que « les candidats ou leurs représentants peuvent prendre communication et copie des listes électorales de la circonscription à l’ambassade, au poste consulaire ou au ministère des affaires étrangères. Il en est de même de tout parti ou groupement politique représenté par un mandataire dûment habilité ». La démarche serait donc autorisée mais ne concernerait que les français de l’étranger… Amateurs de questions prioritaires de constitutionnalité, si vous nous lisez, n’y aurait-il pas là une inégalité devant la loi ?
Admettons que la pratique soit autorisée pour les Français de l’étranger (mais la toile bruisse déjà de courriels identiques reçus par des français résidents sur le territoire métropolitain et n’ayant aucun contact avec les autorités consulaires), qu’en est-il de la prospection de dons ? Si l’on feuillète à nouveau le code électoral, on s’aperçoit que la pratique est, a priori, prohibée. En effet, aux termes de l’alinéa 1 de l’article L. 52-1 (inséré très justement dans le chapitre intitulé « Propagande »), pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection (s’agissant de l’élection présidentielle de 2012, le décret présenté en Conseil des ministres de ce jour prévoit que les premier et second tours de l’élection présidentielle auront lieu respectivement le dimanche 22 avril 2012 et le dimanche 6 mai 2012. Le scrutin se tiendra la veille dans sept départements et collectivités d’outre-mer ainsi que dans les ambassades et postes consulaires situés sur le continent américain) et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite. Par acquis de conscience, l’on feuillète, l’on feuillète fébrilement – le droit électoral n’étant pas notre spécialité -, le précieux ouvrage. Las ! L’interdiction est tempérée à l’article L. 52-8, alinéa 6 : par dérogation au premier alinéa de l’article L. 52-1, les candidats ou les listes de candidats peuvent recourir à la publicité par voie de presse pour solliciter les dons autorisés par le présent article.
Et la CNIL, alors, mon bon monsieur ?
L’on se dit alors que le dernier rempart destiné à protéger la quiétude de tout un chacun (de l’étranger), si ce n’est le législateur, devrait alors être la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).
Dans sa délibération n° 2011-343 du 10 novembre 2011, la CNIL a recommandé, s’agissant du cas particulier des listes électorales consulaires, que, puisque cette liste peut comporter, en plus des indications de la liste électorale, l’adresse électronique de l’électeur, alors, comme pour les fichiers de prospection commerciale, « l’utilisation des adresses électroniques de ces personnes à des fins de prospection politique doit être subordonnée à leur consentement ».
Cependant, il y a moins d’un mois, dans sa délibération n° 2012-020 du 26 janvier 2012 destinée à rendre publique une série de recommandations de « bonnes pratiques » concernant la campagne électorale, il n’est plus question de « consentement » des expatriés mais d’une simple « possibilité de s’opposer à recevoir de nouveaux messages ». Ce dont tient compte, évidemment, les courriels en question puisque portant la mention « Si vous ne voulez plus recevoir de courriels, vous pouvez vous désinscrire en cliquant ici ».
Cette position est surprenante : outre que la CNIL donne l’impression d’offrir une protection a minima, elle est surtout à rebours des travaux parlementaires en cours. Ainsi, comparaison naturelle, en matière de démarchage téléphonique, la proposition de loi adoptée par les sénateurs le 28 avril 2011 (V. notre article, Une proposition de loi contre le démarchage téléphonique intempestif, Dalloz actualité, 4 mai 2011) exige, au-delà de la législation et la réglementation actuelles qui prévoient que le consommateur peut, s’il en fait expressément la demande, s’opposer à ce que ses données personnelles soient utilisées dans des opérations de prospection directe, c’est-à-dire en matière de démarchage téléphonique ou de télémarketing (L. n° 78-17 du 6 janv. 1978, art. 38 ; CPCE, art. R. 10R. 10), un consentement. En clair, selon la proposition de loi, on n’accordera plus au simplement au citoyen un simple droit d’opposition et de rectification a posteriori, mais on exigera de lui, en amont, un consentement exprès à l’utilisation de ses données.
On aurait aimé, pour, de surcroît, une simple recommandation n’ayant qu’une valeur normative limitée, que la CNIL poursuive sur sa lancée de sa délibération de 2011 en exigeant des partis politiques de tous bords qu’ils recueillent, via les services consulaires, le consentement exprès des électeurs plutôt que d’offrir à ces derniers un simple droit d’opposition.
Anthony Astaix
Rédaction Dalloz