Le trésor englouti du Black Swan (… et de la Mercedes)
Le blog Dalloz - bley, 22/06/2012
Non, il ne sera pas ici question du dernier opus de la série des Pirates des Caraïbes mais bien d’une décision de la Cour suprême des États-Unis. Ou quand la réalité semble dépasser la fiction… Celle-ci a en effet confirmé le 9 février 2012 que le trésor découvert au large de Gibraltar dans l’épave du navire Nuestra Senora de las Mercedes, d’un montant estimé à 384 millions d’euros doit être rendu à l’État espagnol. La société américaine d’exploration Odyssey Marine Exploration, qui avait fait la fabuleuse « découverte », doit donc renvoyer vers l’Espagne les 500 000 pièces d’or et d’argent et les centaines d’objets en or localisés en mai 2007 au large du Portugal.
Cette décision marque l’épilogue de cinq années d’une bataille juridique entre Odyssey et l’État espagnol qui revendiquaient tous deux l’appartenance de ce navire de guerre et de son contenu, coulé au combat en 1804 par la marine britannique au large de l’Algarve durant la bataille de Cape Sante Maria. Le navire espagnol revenait d’Amérique du Sud avec le trésor de la collecte des impôts des colonies ainsi que la fortune personnelle d’une centaine de marchands.
L’entreprise américaine Odyssey avait longtemps tenu secret l’emplacement exact de l’épave qu’elle avait renommée « Black Swan » pour masquer ses agissements, affirmant l’avoir trouvée dans les eaux internationales. Elle avait ainsi pu procéder à l’exploration et à l’exploitation de l’épave sans tenir compte du refus opposé par les autorités espagnoles, quand elle avait sollicité auparavant une autorisation d’exploration et de récupération d’épaves historiques dans ses zones maritimes. Odyssey avait également pris soin ensuite d’envoyer, en grand secret, le butin aux États-Unis. Dans le même temps, elle engageait une action devant la justice américaine, la cour de district de Tampa, en Floride (siège social de l’entreprise), afin de se voir reconnaître la propriété sur l’épave.
L’arrêt de la Cour de district de Floride du 3 juin 2009 est, selon Jean-Paul Pancracio (auteur du Droit de la mer, 1re éd., Dalloz, coll. « Précis », n° 579 s., et d’un blog sur le droit de la mer et des littoraux), « du plus grand intérêt pour la protection effective du patrimoine subaquatique. Aucune des décisions de justice intervenue jusque-là en ce domaine, aux États-Unis ou ailleurs, n’a revêtu un dispositif aussi détaillé, y compris dans l’exposé historique des faits ayant conduit au naufrage du vaisseau, mais aussi clair et profond sur le plan de l’analyse juridique ». L’arrêt souligne ainsi qu’au nom du respect du principe de l’immunité souveraine ayant vocation à s’appliquer aux épaves de navires de guerre, Odyssey doit restituer à l’Espagne la totalité du trésor « récupéré » par elle : « the innefable truth of this case is that the Mercedes is a naval vessel of Spain and that the wreck of this naval vessel, the vessel’s cargo and any human remains are the natural and legal patrimony of Spain ». Au terme d’un raisonnement développé sur plus de trente pages tout au long desquelles elle constate qu’il n’y a pas de doute sur l’identité de l’épave (lieu de « découverte », pièces de monnaie, canons, etc.), la cour de Tampa conclut : « More than two hundred years have passed since the Mercedes exploded. Her place of rest and all those who perished with her that fateful day remained undisturbed for the centuries – until recently. International law recognizes the solemnity of their memorial, and Spain’s sovereign interests in preserving it. […] This Court’s adherence to those principles promotes reciprocal respect for our nation’s dead at sea. […] It is this comity of interests and mutual respect among nations, whether expressed as the jus gentium (an impetus to exercise judicial authority) or as sovereign immunity (an impetus for refraining from the exercise of judicial authority), that warrants granting Spain’s motions to vacate the Mercedes’s arrest and to dismiss Odyssey’s amended complaint ». La Cour relève donc en outre la nécessité d’assurer une réciprocité de protection entre l’Espagne et les États-Unis et une même immunité aux épaves sous-marines, ainsi qu’à l’ensemble du contenu de ces épaves (en l’espèce, les pièces de monnaie et de nombreux objets), notamment en raison d’un traité « d’amitié et de relations générales » signé en 1902 entre les deux pays. Ce faisant, elle écarte également un argument d’Odyssey sur l’immunité relative des États lequel avait pour objectif d’appliquer un régime juridique différent aux biens à bord de l’épave selon qu’ils s’apparentaient à des biens servant le navire de guerre (canons, notamment) ou des biens privés (notamment les pièces de monnaie) qui appartenaient aux marchands et, de ce fait, n’étaient pas couverts par l’immunité d’État, selon elle.
Le 21 septembre 2011 devant la US Court of Appeals du 11e circuit (Atlanta) puis devant la Cour suprême des États-Unis, en février 2012, Odyssey voit rejeter ses recours. L’arrêt d’appel reprend les mêmes arguments développés par la cour de Tampa pour refuser de distinguer le statut de la cargaison de celui de l’épave elle-même, l’ensemble devant bénéficier de la même protection d’immunité (en application du Federal Sovereign Immunity Act et du traité de 1902). Les quelque vingt-quatre plaignants qui s’étaient joints à Odyssey pour l’appel, se présentant comme les descendants des marchands dont la fortune avait coulé au large du Portugal, et qui arguaient de la mission essentiellement commerciale de la Mercedes voient également leurs espoirs d’en récupérer une partie s’envoler.
Si cette affaire a largement alimenté l’imagination des petits comme des grands (un trésor, une épave… ; il n’y a qu’à surfer sur internet pour découvrir le nombre de blogs ou d’articles consacrés au Black Swan et à la Mercedes), elle s’est heurtée à des questions strictement juridiques mais également diplomatiques. N’oublions pas que l’attaque de la Mercedes par la flotte anglaise a été perçue en 1804 comme un acte de guerre et que cet épisode douloureux reste un sujet sensible encore aujourd’hui.
Claire Demunck
Rédaction Dalloz