Droit civil illustré : lorsque illustration ne rime pas nécessairement avec vulgarisation

« Les seules choses que j’aime dans les livres, ce sont les images ». Sans doute conçoit-on assez aisément un collégien formuler une telle remarque, cherchant ainsi désespérément à faire comprendre à son professeur de littérature que Tintin se lit plus rapidement que Balzac et que le bleu du dernier album des Schtroumpfs lui paraît d’un format bien plus raisonnable que Le Rouge et le Noir. Il faudra néanmoins une forte dose d’imagination supplémentaire pour se représenter un juriste, stakhanoviste de l’exégèse, adorateur des ces multiples volumes que la finesse du papier parvient au mieux à rendre transportables, s’adonner à la lecture d’un ouvrage illustré, sinon durant son temps libre (par définition quasi inexistant).

Et pourtant, le livre existe bel et bien : Droit civil illustré, paru aux Éditions Defrénois, allie la plume de Philippe Malaurie au crayon de Philippe Delestre. Le second, titulaire d’un DEUG de droit, fera le choix d’études en journalisme, avant de devenir dessinateur de presse. C’est en cette qualité qu’il débute sa carrière au Républicain lorrain, puis rejoindra L’Est républicain en 1975. Il collabore par ailleurs à divers quotidiens régionaux (Le Courrier de l’Ouest, Presse Océan, Le Maine libre) ainsi qu’à des journaux généralistes ou spécialisés (International Hérald Tribune, La quinzaine Européenne, Golf européen, Intermonde Presse, L’Ami des jardins, Cheval Magazine, etc.). Le premier, à supposer qu’il faille encore le présenter, est agrégé des facultés de droit (concours de 1951) à la suite d’une thèse sur L’ordre public et le contrat (Étude de droit civil comparé : France, Angleterre, URSS), dirigée par le professeur Esmein. Successivement professeur à l’Institut des hautes études de Tunis, à la Faculté de droit de Poitiers, de Paris, de Nanterre (dont il sera doyen), puis finalement à l’Université de Paris II, où il est aujourd’hui professeur émérite. Philippe Malaurie offre en outre la particularité d’un champ d’enseignement extrêmement vaste, couvrant quasiment l’intégralité du droit civil (il n’est, pour s’en convaincre, qu’à contempler un court instant sa bibliographie et les matières traitées par ses manuels : introduction générale au droit, personnes et incapacités, la famille, biens, sûretés, publicité foncière, contrats spéciaux, régimes matrimoniaux, droit des obligations, successions et libéralités, etc.).

Cette diversité des matières se retrouve dans l’ouvrage. Divisé en neuf chapitres, allant d’une introduction générale à l’étude du droit aux sûretés, en passant par les personnes, la famille, les successions, les régimes matrimoniaux, les biens, les obligations ou encore les contrats spéciaux, ce sont presque tous les grands thèmes du droit civil qui s’offrent nous, jouissant chacun d’une double page où un dessin côtoie quelques lignes. L’objectif de ce manuel illustré est simple : partant du constat que « nous vivons dans une civilisation de l’image, devenue le complément nécessaire de notre pensée et de notre culture » (p. 5), celui-ci  souhaite justement éclairer la règle de droit par l’image.

Nul n’ignore cependant que les juristes sont parfois réputés pour leur capacité à rechigner aux évolutions (diktats) de la modernité. Ainsi, dans nos facultés, la beauté du verbe de l’enseignement magistral contraste avec l’interactivité et la schématisation prônées par les thuriféraires du diaporama et du cours numérique, l’enseignant privatiste ayant lui-même rédigé ses leçons d’agrégation à la plume, à l’air du tout informatique ! Mettre en image la sagesse de ces écrits parfois séculaires exposant toutes les subtilités de notre droit serait par conséquent une aventure vaine ? La réponse doit être négative : le droit n’existe que parce qu’il est vivant : « tout dans le droit par son objet, sa nature et ses buts est essentiellement humain et tout ce qui est humain a été et peut être peint, dessiné ou croqué » (p. 5).

Voilà donc les pages demeurées célèbres de Josserand décrivant des « droits-fonction » et justifiant l’abus par l’absence de motif légitime représentées sous la forme du sieur Coquerel, contemplant, l’air béatement satisfait, ces « carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de fer pointues » au sommet desquelles le dirigeable de l’infortuné Clément-Bayard a lamentablement échu (Cass. 3 août 1915). Sur la nullité du mariage pour cause de violence, voilà encore ce jeune (futur) couple en pleine cérémonie, seule l’épouse semblant cependant  ravie de se trouver devant l’officier d’état civil, le mari ayant pour sa part deux canons de fusils négligemment braqués en sa direction par la famille de la mariée (corse dans l’exemple choisi, l’île de beauté ayant seule eu le privilège de voir des unions annulées pour cause de violence… physique !). Si la jurisprudence offre bien évidemment de nombreux exemples d’une matière vivante, permettant à la règle de droit de s’incarner à travers les situations burlesques ou dramatiques rencontrées par la foule des justiciables, d’autres proviennent encore de la littérature, du théâtre et du cinéma, là encore reflets de notre vie essentiellement sociale.

Cette seule présentation du droit et de ses applications ne saurait cependant totalement seoir à un auteur tel Philippe Malaurie, c’est-à-dire n’ayant jamais voulu « cacher son engagement personnel et les dimensions extrajuridiques de toute situation de droit » (V. la présentation des Mélanges qui lui furent dédiés en 2005 aux éditions LGDJ). En matière de famille essentiellement, les termes sont clairs, incisifs : « il est ambigu de parler de famille homosexuelle même lorsque les couples homosexuels élèvent ensemble des enfants : comme le mariage, la famille naît de l’alliance de l’homme et de la femme ». Et, joignant le dessin à l’écrit, la représentation d’un couple composé de deux hommes sera mise en parallèle avec un chapeau posé sur une table, le dessinateur venant préciser : « Une table n’est pas un chapeau » (p. 102 et 103). Concernant les développements récents de la bioéthique, certaines légendes seront également éloquentes : « Bébé pour guérir. Bébé pour lui-même ? », concernant le « bébé-médicament » (p. 63) ou encore « La femme enceinte, un incubateur ? Où est la vraie mère ? », à propos des mères porteuses (p. 59).

En définitive, nonobstant que le caractère illustré d’un ouvrage puisse parfois faire présager d’une œuvre de vulgarisation, de simplification à l’égard de ceux qui préfèrent un clair schéma aux longs discours qu’ils ne comprennent pas, l’ouvrage ne saurait être rattaché à cette dernière catégorie. L’image y dépasse sa seule vertu explicative. Elle rappelle que le droit n’existe que parce qu’il s’applique. Cela vaut pour la jurisprudence, mais également pour un manuel signé par un éminent universitaire : le droit vivant ne s’oppose pas au droit savant, il est sa finalité, sa raison d’être.

P. Malaurie et P. Delestre, Droit civil illustré, Defrénois, 2011.

Nicolas Kilgus
Doctorant contractuel à la faculté de droit de Strasbourg