Parcours d'un greffier stagiaire
Journal des greffiers en colère - Eolas, 23/04/2014
Par un bébé greffier
Je ne suis qu’une petite stagiaire au tout début de ma carrière, alors forcément je n’ai pas encore l’expérience de tous mes collègues titulaires qui sont en poste depuis des années. Un bébé greffier en quelques sortes.
Actuellement à mi-parcours de ma formation, à mi-chemin de la première période de stages, à deux mois du choix des postes tant attendu et tant redouté à la fois, je souhaitais toutefois faire part de ma petite expérience.
Le parcours de formation des greffiers dure dix-huit mois et comprend une période d’une petite dizaine de semaines de formation théorique à Dijon, à l’École Nationale des Greffes, pendant laquelle intervient la prestation de serment. “Je jure de bien et loyalement remplir mes fonctions et de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à l’occasion de leur exercice”. Puis viennent six mois de stage, et ensuite le choix des postes, un stage de un à deux mois dans notre juridiction d’origine sur un poste similaire à celui que l’on aura, et enfin nous migrons dans la juridiction plus ou moins choisie qui nous accueillera pour notre premier poste en tant que titulaire quand les dix-huit mois depuis notre nomination seront écoulés.
A l’occasion des six premiers mois de stages nous avons l’opportunité de passer par différentes juridictions : tribunal d’instance (TI), tribunal de grande instance (TGI), cour d’appel (CA) et conseil de prud’homme (CPH). Au sein de chaque juridiction, généralement, nous visitons les différents services de celles-ci, cela est d’autant plus exact au TI et au TGI du fait de la durée de ces stages (respectivement huit semaines et treize semaines, contre trois semaines pour chacune des deux autres).
A l’occasion des six premiers mois de stages nous avons donc l’opportunité de rencontrer de nombreux greffiers, qui sont depuis plus ou moins longtemps en poste, qui sont plus ou moins passionnés par leur métiers, plus ou moins désabusés.
Il y a ceux qui sont heureux de voir arriver les stagiaires car ils voient en eux la relève. Il y a ceux qui ne sont pas heureux de voir arriver les stagiaires car dans certaines juridictions nous sommes très nombreux, alors forcément les stagiaires défilent et ça prend du temps de tout nous expliquer, de tout nous montrer, en deux mots de nous former. Il y a ceux qui au contraire sont très pédagogues et se font un plaisir de nous apprendre les rouages du métier. Il y a ceux qui accueillent avec plaisir les stagiaires car ils peuvent ainsi apporter une aide significative au service. Il y a ceux qui jettent les cahiers remplis de notes des stagiaires, sûrement parce qu’ils sont un peu aigris. Il y a ceux qui sont très stressés et qui à la moindre difficulté s’en font une montagne, mais au fond cela témoigne d’une grande conscience professionnelle. Il y a ceux qui paraissent désorganisés, mais qui sont en réalité les plus efficaces dans leur service. Il y a ceux qui paraissent désorganisés, et qui le sont effectivement. Il y a ceux qui sont très organisés et il ne faut surtout pas toucher à leurs dossiers, au risque de les perturber sinon gare aux remontrances. Il y a ceux qui sont enclins à déléguer. Il y a ceux qui ne sont pas enclins à déléguer. Il y a ceux qui sont très solitaires. Il y a ceux qui préfèrent le travail d’équipe. Il y a ceux qui sont très expansifs. Il y a aussi les lunatiques, les colériques, les sympathiques, les adorables.
Il y a une multitude de greffiers, autant de personnalités, chacun avec leurs défauts et leurs qualités.
Les stages nous permettent de faire énormément de rencontres, des bonnes et des moins bonnes. Des rencontres qu’on n’oubliera pas parce qu’on a été bien accueilli et qu’on a énormément appris.
Personnellement, au cours de mes stages, j’ai pu observer différents services, certains où ça roulait, d’autres moins.
Il y a des services où il y a de très bons greffiers, mais malheureusement tout ne marche pas comme sur des roulettes, par exemple parce que le président de la chambre exige trop de choses et souhaite changer du tout au tout le fonctionnement de la chambre, cela va forcément impacter les magistrats, ET les greffiers. Devoir changer son organisation et ses méthodes de travail crée des tensions, une pression constante pèse sur les épaules des fonctionnaires et des magistrats. Parfois, il peut arriver aussi que ce soit un greffier en chef qui mette trop la pression à son service, à tel point que c’en est presque du harcèlement moral. Heureusement je ne l’ai vu qu’une fois.
Le manque cruel de considération des greffiers par les magistrats peut également rendre le travail difficile au quotidien. Oui, malheureusement tous les magistrats n’apprécient pas les greffiers à leur juste valeur. Heureusement ce n’est pas le cas de tous. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’en rencontrer plusieurs, des “deux catégories”. J’ai ainsi pu avoir à faire à une juge des enfants qui trouvait inadmissible la présence de stagiaires greffiers dans le public d’une audience de tribunal pour enfants, alors que, rappelons-le, tous les greffiers stagiaires ont prêté serment et sont habilités à assister aux audiences, qu’elles soient publiques, non publiques ou à publicité restreinte. À l’inverse, j’ai rencontré une personne qui était tellement sympathique et qui faisait volontiers la bise aux greffiers du service lorsqu’il arrivait le matin, que j’ai été surprise d’apprendre qu’il s’agissait en fait d’un substitut général. Tout cela pour dire que le manque de reconnaissance du travail des greffiers fait parfois pâtir les services, car sans reconnaissance, au bout d’un moment, il y a moins d’envie de bien faire, de se surpasser pour que tout se passe bien.
Je suis également passée par des services en manque d’effectif. Notamment un qui m’a marqué, car les greffiers y étaient tous sympathiques. Ils m’ont accueillies à bras ouverts. Ils ne rechignaient pas à répondre à mes questions. Ils m’ont expliqués les spécificités de leurs services. Ils m’ont formée. Du coup, en échange de cette formation, j’ai ainsi été en mesure de leur apporter de l’aide, car je pouvais effectuer le même travail qu’eux. Dans ce service j’y suis restée assez longtemps, trois semaines. Ils étaient trois quand il aurait fallu quatre personnes.
Un d’eux m’a d’ailleurs dit “nous on adore avoir des stagiaires car ils nous permettent de suivre le rythme, mais ce qui est dramatique c’est quand ils s’en vont, car on était habitué à un fonctionnement “normal” du service et d’un coup on se retrouve avec une surcharge de travail importante.”
Et en effet le manque d’effectif devient dramatique quand on est confronté à des procédures impliquant de courts délais lourdement sanctionnés. C’est à ce moment là que les greffiers effectuent des heures supplémentaires sans compter, car sans eux toute une procédure pourrait tomber à l’eau.
Un autre exemple de défaillance auquel j’ai été confronté : un problème informatique. Une collègue ne pouvait pas accéder à sa session d’ordinateur depuis la salle dans laquelle se déroule le bureau de conciliation au CPH. Or l’accès à un ordinateur est nécessaire pour effectuer le suivi en temps réel depuis le logiciel, et surtout pour éditer le procès-verbal de conciliation ou de non conciliation ainsi que les bulletins de renvois en bureau de jugement. Les différentes solutions proposées : tout faire manuellement, autant vous le dire tout de suite, ça prend du temps et allonge donc la durée de l’audience qui est parfois déjà très longue ; ou emprunter les codes d’un collègue qui n’est pas confronté à ce problème, et là on défie toutes les règles de sécurité informatique (non divulgation de codes personnels notamment…). Il aura fallu trois semaines pour que le problème soit réglé. Pourquoi autant de temps ? Parce que la personne “experte en informatique” est partie de la juridiction il y a quelques mois et n’a pas été remplacée.
J’ai également pu constater le manque de moyen matériel : il faut parfois batailler pour obtenir des fournitures, que ce soit agrafes, post-it, stylos, côtes pour les dossiers, toners, etc. En parlant de toners, il faut bien sûr les utiliser au maximum, et on se retrouve avec des convocations où on a du mal à lire un mot sur deux car il n’y avait plus assez d’encre.
Tous ces manques de moyens expliquent la colère des greffes. Le manque de reconnaissance quant à nos compétences, nos diplômes de plus en plus élevés, tout le travail que l’on fait, le manque de reconnaissance personnelle, statutaire et indemnitaire expliquent le mouvement actuel.