La contagion des interdits
Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/07/2015
L'appel de Denis Tillinac pour que certaines de nos églises ne soient pas transformées en mosquées, n'a rigoureusement rien qui puisse choquer.
Il a été signé par un certain nombre de personnalités dont la plupart ont du crédit à mes yeux.
Si mon nom ne s'y trouve pas, c'est que je fuis depuis toujours ce qui est "pétitionnaire" car je crains alors que ma liberté soit enkystée dans un texte, aussi valable qu'il soit dans l'immédiat.
Au lieu de se préoccuper du fond de l'appel, on a mis en avant des considérations périphériques comme la coexistence, par exemple, de Nicolas Sarkozy et d'Eric Zemmour. Ce qui était à la fois évident et souhaitable.
Michaël Darmon, chef du service politique d'i-Télé, avec un empressement qu'on sentait voluptueux, a prétendu, lui, que le cardinal André Vingt-Trois avait détesté ce texte.
On n'était pas loin de suggérer qu'il n'était pas nécessaire et qu'on aurait dû l'interdire, en plus sa publication dans Valeurs actuelles était une circonstance aggravante !
Sur France Inter, Henri Guaino est confronté à deux journalistes et durant une à deux minutes l'échange est surréaliste. Il s'agit de l'islam et au lieu d'en parler, on a questionné l'invité sur le droit d'en parler, en ajoutant, pour faire bonne mesure, une faute de français puisqu'en plus il aurait fallu "solutionner" le problème !
Faut-il à nouveau rappeler l'absurdité du projet d'inscrire la répression du racisme et de l'antisémitisme dans le droit pénal ordinaire ? Une autre manière d'interdire en généralisant ! Tout malheureusement nous révèle aujourd'hui l'échec de l'humanisme qui ne compte que sur ses injonctions ressassées pour réduire la nocivité de ces fléaux de l'esprit et du coeur.
Ces interdits implicites ou explicites qui concernent la pensée, la parole et l'écrit, érigeant paradoxalement des tabous pour certains sujets à proportion même de leur importance et de leur urgence pour la communauté nationale, sont la continuation, pour l'immatériel, d'un quadrillage de plus en plus contraignant de la société dans sa matérialité.
Ce qui n'aurait pu être que l'expression d'une humeur et d'une subjectivité a été confirmé de manière éclatante par un sondage réalisé par l'Institut Viavoice en partenariat avec la Revue civique : ses résultats démontrent que pour les "interdits, contraintes et surveillances", deux tiers des personnes sollicitées déplorent que "de manière générale en France il y ait de plus en plus de restrictions".
Conclusion plus perverse, pour 45% des Français cette multiplication des prohibitions "donne envie de faire le contraire de ce qui est demandé(...)Il existe un malaise, voire une exaspération, notamment chez les plus modestes, face à des messages à sens unique de la France d'en haut vers celle d'en bas" (Le Figaro).
On peut, pour soi, juger légitimes les empêchements et coercitions liés à la sécurité routière, au tabac et à l'alcool mais, sans démagogie, déplorer l'amplitude d'un mouvement qui, pour dénoncer l'abusif, s'en prend à la normalité même. A l'alcool parce qu'il y a des alcooliques. Au tabac parce qu'il y a le tabagisme. A la circulation parce qu'il y a des fous du volant.
Il y a les interdits qui touchent davantage le quotidien - et ce serait plutôt la pénalisation de "la France d'en bas" - et ceux que la France d'en haut valide et admet, dangereux et élitistes, au détriment de la liberté d'expression. D'une certaine manière, on a des interdits de classe, pour le pire de notre pays se proclamant pourtant, en étant de plus en plus démenti par sa réalité et son totalitarisme du Bien, comme un espace de libertés.
On ne mesure pas assez l'emprise insidieuse ou ostensible de cette bienveillance castratrice - qui va du vulgaire au noble, de la prose de tous les jours à la poésie de la pensée et de ses manifestations - parce que le pouvoir socialiste est habile et manipule.
Avec le mariage pour tous, son opposition de plus en plus molle à telle ou telle de ses conséquences prévisibles - la GPA notamment - et son désintérêt condescendant à l'égard des désastres causées par la délinquance et la criminalité ordinaires, son laisser-aller ciblé, il réussit, en effet, à nous faire prendre de périlleuses avancées sociétales ou indifférences civiques pour des libérations.
Avec la contagion des interdits et les faux progrès, les vraies reculades, un jour la France se réveillera, ligotée par mansuétude et abandonnée par désinvolture.