Vaccin Gardasil : Un peu de calme, please !
Actualités du droit - Gilles Devers, 25/11/2013
Et c’est reparti… Une plainte aventureuse, aucune certitude médicale, un plan com’… Voilà le kit du scandale sanitaire pour bricoleurs du dimanche. Je ne connais rien du Gardasil, mais j’ai toutefois entendu des toubibs parler de ce vaccin largement utilisé à l’international. Cette affaire est peut-être grave, mais il est sûr que ce soir, on n’en sait strictement rien, et ce serait bien de se calmer. La méthode scientifique au lieu de l’émotion, ça serait bien.
Tout médicament comporte des risques
On va déjà partir de la base : tout médicament comporte des risques. Tous ? Oui, tous, absolument tous, et les vaccins en particuliers. C’est d’ailleurs toute la question de la prise en charge médicale : le traitement d’une maladie suppose la réalisation d’actes ou l’administration de substances nocives. Il faut donc fragiliser la personne comme moyen pour aller vers un but salutaire. Dire cela est terriblement banal, mais vu tout ce qui tombe depuis hier sur le vaccin, il faut rappeler cette évidence : soigner, c’est gérer les risques.
Le vaccin Gardasil est-il dangereux ?
Oui, bien sûr, comme tout vaccin, et comme tout médicament. Si le vaccin n’était pas dangereux, on pourrait le faire à tout le monde et trois fois par jour… Tout vaccin comporte des effets secondaires, et la question est donc la connaissance précise du risque, et le bilan des inconvénients et des avantages.
Foncer avec une ambulance du SAMU peut sauver une vie, mais crée un risque pour les tiers. Faut-il interdire les ambulances pour protéger les tiers ?
Que sait-on du danger ?
Voyant mes excellents confrères tous sur le pont un dimanche après-midi pour recevoir la presse, je me suis dit qu’on devait avoir du croustillant. Et bien, ballepeau : la preuve fatale… est une grande plongée dans le vide, à savoir une expertise obtenue par une décision de CRCI, et aussitôt contestée.
Kézaco la CRCI ?
C’est la Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation, un machin créé par la loi du 4 mars 2002, de la simili-justice. Si vous avez un problème sérieux avec le chauffage de la maison, vous allez devant le juge des référés du tribunal de grande instance, qui va désigner un expert, avec toutes les garanties du Code de procédure civile. Eh bien pour la santé, un peu plus grave que l’installation du chauffage, la loi encourage à se détourner de la justice pour se tourner vers un expédient...
La CRCI n’est pas une juridiction. Elle se prononce par des avis, sans code, et ses avis n’ont pas d’autorité juridictionnelle. Alors pourquoi choisir la CRCI dans les affaires graves ? Mystère… Après tout, chacun mène sa vie comme il le souhaite. Mais pour lancer des imprécations, il serait préférable de se fonder sur une vraie décision de justice.
Qu’ont dit les experts médicaux ?
La CRCI d'Aquitaine a désigné des experts. Le plan com’ ne nous a livré que des conclusions partielles. L’expertise aurait conclu à un « lien de causalité » entre l'injection de Gardasil et une « réaction inflammatoire aiguë du système nerveux central », ce qui appelle trois remarques.
- Les experts parlent de lien de causalité, mais pas de faute. Or, la responsabilité n’est engagée qu’en cas de faute (Circulez, il n’y a rien à voir).
- L’effet secondaire subi par la jeune femme n’est pas défini avec précision, et l’avocat de la jeune femme évoque deux diagnostics possibles… Autant dire qu’il faut être fortiche pour se prononcer sur la certitude de la causalité quand on n’a pas identifié avec précision le diagnostic.
- Je n’ai rien à dire de l’expertise, mais objectivement, il y a un monde entre une expertise CRCI et une expertise de santé publique, capable d’analyser globalement le bilan des effets secondaires d’un vaccin. Ce n’est pas du tout le même travail.
Ce qu’en a dit la CRCI ?
La commission, dit la presse, a « limité l'indemnisation de Marie-Océane à 50% du préjudice, estimant qu'une éventuelle vulnérabilité génétique avait aussi pu jouer », ce qui appelle trois remarques.
- La CRCI ne rend que des avis, et elle n’a donc pas pu statuer sur l’indemnisation car elle n’en n’a pas la compétence.
- Pour des affaires graves faisant suite à des vaccinations, et alors qu’on n’a pas de certitudes scientifiques, les juridictions (les vraies : Conseil d’Etat et Cour de cassation) accordent, dans des conditions très restrictives, une indemnisation sans faute, sur le fondement du risque créé. Ainsi, les juges tendent la main au malade… sans accuser le labo, et cette bienveillance ne joue pas au pénal.
- L’éventuelle vulnérabilité génétique n’a pas été trouvée par la CRCI, mais par les experts, et tant qu’à faire état de l’expertise, il aurait été correct de donner les conclusions complètes.
Qu’en dit le labo ?
Des choses objectivement très sensées.
Sanofi Pasteur MSD conteste la conclusion, en relevant qu’elle n’est pas démontrée mais qu’elle s'appuie « uniquement sur la constatation d'une coïncidence temporelle entre la survenue et les symptômes de la maladie et de la vaccination ». De plus, pour mettre en cause un médicament ou un vaccin, il faut faire des démonstrations par séries : « Il faut regarder si la maladie est plus fréquente chez un groupe de jeunes filles vaccinées que sur un groupe de jeunes filles non vaccinées ». Or, d’après le DocteurAndré Dahlab, directeur adjoint des affaires médicales chez Sanofi, aucune étude n'a jamais établi « d'incidence supérieure ».
Ce qui signifie en pratique queSanofi Pasteur MSD a contesté l’avis de la CRCI, qu’il n’y a donc rien qui ressemble à du droit dans cette affaire, que l’on ne sait pas qualifier médicalement les effets secondaires, qu’il reste une expertise faite pour une personne atteinte d’une vulnérabilité génétique, et cette expertise est scientifiquement critiquée. Un peu just pour parler d’un scandale de santé publique…
Le grand mediatic circus
Mais bien sûr, le grand mediatic circus va se poursuivre.
Hier, les plaintes sortaient comme les champignons des bois en automne. Pas rédigées, pas déposées, mais déjà dans la lumière…
J’anticipe en rappelant que le parquet est tenu de recevoir les plaintes, et comme la santé est en cause, l’usage est d’ouvrir une enquête préliminaire, pour se renseigner de manière sérieuse. L’ouverture d’une enquête préliminaire, qui est inéluctable, ne représentera pas un centimètre dans la démonstration de culpabilité, et ne veut pas dire que le parquet accréditera le contenu de la plainte. Mais ça permettra toujours de faire des Unes à sensation…
On verra bien de ce donnera cette affaire, mais incriminer un labo et un vaccin après un avis contesté de CRCI, c’est plus que léger.