Si vous aussi vous m'abandonnez...
Justice au singulier - philippe.bilger, 23/09/2013
François Hollande est presque aussi bas dans un sondage que François Mitterrand au pire de son rejet : 23% contre 22%. Je ne doute pas que malgré cette mauvaise nouvelle à laquelle il ne cesse de s'habituer, le président de la République va demeurer apparemment serein, impavide, souriant. Un optimisme affiché contre lequel se brisent le pessimisme civique, les oppositions au sein de son propre camp et la droite sectaire.
Il paraît, par ailleurs, qu'"entre François Hollande et les intellos, ce serait la rupture". C'est ce que nous annonce Marianne dans un excellent texte nourri d'entretiens, publié sous une triple signature.
J'imagine mal le président effondré face à une telle occurrence d'autant plus qu'il n'y a pas eu un pouvoir qui à un certain moment de son parcours n'ait pas été déclaré déserté par les intellectuels qui initialement l'avaient soutenu. C'est devenu une sorte de scie médiatique.
Je devine plutôt son air perplexe avec cette constatation vaguement déçue : "Si vous aussi vous m'abandonnez..."
Parmi ces intellectuels, quelques-uns sont franchement désappointés, voire en colère comme Thomas Piketty, Christian Salmon ou Eric Fassin. Ils ne croyaient pas possibles une telle dénaturation des valeurs de gauche, "un changement de discours aussi rapide", ce qui est résumé brutalement par Salmon avec cette formule : "il ne se contente pas de droitiser la gauche, il blanchit le discours néo-libéral".
Roland Gori est sur une ligne moins critique même si, rêvant du rouge, il doit se contenter "d'un rose très pâle".
Il y a enfin les indulgents comme Benjamin Stora et Françoise Héritier déjà comblée par l'adoption du mariage pour tous.
Globalement, aujourd'hui, plus le moindre élan au soutien d'une présidence dont on attendait sinon monts et merveilles, du moins davantage de fiabilité et de rectitude pour la réalisation d'engagements qui avaient structuré la campagne. Au mieux une compréhension des difficultés, une sympathie navrée.
Si on veut analyser plus profondément les motivations de ces intellectuels, on est frappé de la concordance entre les aspirations de ces personnalités de gauche et de celles d'un certain nombre de citoyens à droite. En effet, ce que ces intellectuels retiennent de positif et qui les conduit, tous, à se féliciter de leur vote de 2012 tient au fait que François Hollande a évité la réélection de Nicolas Sarkozy et qu'à ce titre ils continuent à éprouver, les uns et les autres, un vif soulagement, une reconnaissance.
Ce point de vue est aussi celui que beaucoup d'électeurs de droite ont fait valoir, par hostilité à l'égard de la pratique et du caractère de Nicolas Sarkozy, sans aller forcément jusqu'à assurer, pour certains, l'élection de François Hollande. Il y a là une connivence entre des univers que tout aurait dû séparer mais qui se sont réunis à cause d'une perception négative identique de l'ancien chef de l'Etat et de son piètre comportement démocratique.
Comme le souligne justement Christian Salmon, il y a eu "le retour à une vie politique "normale", à un fonctionnement "normal" des institutions de la Ve République" ou bien, selon la pertinente formule des auteurs de l'article, "Hollande le pragmatique, le gestionnaire ne serait finalement qu'un Sarkozy à visage humain".
Force est de considérer que si une certaine gauche s'estime flouée à cause d'une adhésion dont les conséquences n'ont pas été bienfaisantes, les transfuges qui ont fui le sarkozysme en votant pour François Hollande dans l'espérance et l'attente d'une droite différente ont également été trompés. Ce président en effet, jusqu'à maintenant, n'a rien accompli sur aucun plan - et surtout pas en matière judiciaire - qui puisse les satisfaire même partiellement. La victoire acquise, ils ont été oubliés, la gauche seulement servie tant bien que mal, et je suis persuadé que le souci de François Hollande sera davantage de cultiver les Verts avec des grâces écologiques même réduites que de se rappeler que des libéraux n'avaient pas été pour rien dans son succès.
Les intellectuels de gauche se souviennent à peine du temps où ils s'étaient mobilisés en faveur de François Hollande. Cependant, ils ne devraient pas totalement se retirer sous leur tente parce que, pour peu que la politique présidentielle et l'action du Gouvernement continuent de la sorte, elles risquent de faciliter le retour de celui dont François Hollande les avait débarrassés.
Nous n'avons pas les mêmes inquiétudes. Eux ont pris leur parti d'un quinquennat qui sera "d'un rose très pâle" et qui demeurera très éloigné du socialisme pur et dur dont ils désiraient le choc, la rupture. Pour ma part, je crains qu'en 2017, la médiocrité du bilan soit telle que nous soyons condamnés inéluctablement à une restauration à l'ancienne.
La même droite qu'hier avec la réapparition du même président auquel les médias tendent si complaisamment leur miroir sans être écoeurés par cette "danse du ventre" politique et cette manière de prendre l'opinion publique pour une imbécile.
Si vous aussi vous m'abandonnez...
Nicolas Sarkozy sera-t-il un jour condamné à faire ce constat ?