Procès Condor : La remarquable Justice argentine
Actualités du droit - Gilles Devers, 7/03/2013
On abuse trop souvent de l’expression « procès historique », mais là, nous y sommes. Ce 5 mars, s’est ouvert à Buenos Aires le procès de 25 responsables du plan « Condor » – 24 Argentins et un Uruguayen – ce réseau de collaboration des juntes militaires qui dirigeaient dans les années 1970 et 1980 l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, l'Uruguay et le Paraguay. Une belle organisation dirigée en sous-main par la CIA, selon toute la logique politique de l’époque et comme l’ont confirmé des documents depuis déclassifiés. Au final, des milliers de disparus. De la terreur d’Etat. De vrais terroristes, pour le coup.
Au cœur du procès, l’ancien président Videla, 87 ans, condamné à cinquante ans de prison pour le vol d'enfants de disparus, et actuellement détenu, et le général Menendez, grand maître des séances de torture. Pendant l'instruction, la justice argentine a demandé en vain l'extradition de deux anciens présidents, le Paraguayen Alfredo Stroessner et le Chilien Augusto Pinochet, décédés depuis. Elle a aussi demandé en vain l’audition d’Henry Kissinger.
Parmi les victimes, les familles de deux ministres de Salvator Allende - Orlando Letelier, assassiné en 1976 à Washington, et le général Carlos Prats, commandant en chef de l'armée chilienne, tué avec son épouse dans un attentat à la bombe, en 1974, à Buenos Aires – et celle de l'ancien président bolivien Juan José Torres, assassiné en 1976 à Buenos Aires. Une centaine d’autres victimes sont parties à la procédure.
Le procès est parti pour durer deux ans, avec des masses de documents, 450 témoins, et des longs interrogatoires et confrontations. Il va falloir démontrer publiquement comment fonctionnait cette internationale du terrorisme. On va donc en apprendre de belles, par cette mise en lumière de ces criminels encravatés pour qui un homme de Gauche était un ennemi à abattre.
A l’ouverture du procès, quelques remarques s’imposent.
L’instruction a été longue, 14 ans, et les obstacles à l’intérieur du pays et à l’extérieur n’ont pas manqué. Mais un pays se grandit en rendant la justice, et j’espère que cette réussite encouragera d’autres pays, alors que tant de belles âmes se précipitent dans ce genre de circonstances pour demander une commission bidon de conciliation… Oui, on soulève le couvercle et on allume les projecteurs. Regarder son passé en face, c’est le mieux pour construire l’avenir. Qui a redoute la Justice, à part les mafieux et les criminels ?
Il faut ensuite saluer la réussite collective de la justice argentine. Pas de ces maudits juges vedettes qui s’approprient les causes, et conduisent au naufrage par leur suffisance. C’est le système judiciaire qui a répondu, chacun faisant son devoir à son niveau, serviteur convaincu mais modeste d’un idéal, la Justice.
Enfin, comment ne pas voir l’immense bienveillance dont a profité ce terrorisme d’Etat organisé par Washington. 30 000 morts et disparus rien qu’en Argentine ! Il y a une vraie incurie par l’impunité aux US pour que les services qui organisé ce système ne soient jamais inquiété par juge. Les juges US peuvent s'inspirer du travail de leurs homologues argentins.
Les victimes