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Procès PIP: Le beau métier de défendre

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 15/05/2013

C'est au procès PIP, cela aurait pu être ailleurs.  Après de longues journées de débats, après les dépositions terribles des victimes, après des heures de réquisitoire, une voix se lève en défense.  Un timbre monocorde, grave et doux à la fois. Il faut … Continuer la lecture

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C'est au procès PIP, cela aurait pu être ailleurs.  Après de longues journées de débats, après les dépositions terribles des victimes, après des heures de réquisitoire, une voix se lève en défense.  Un timbre monocorde, grave et doux à la fois. Il faut un petit moment pour prendre conscience de sa puissance. On la mesure à la qualité du silence qui l'accueille, à l'attention profonde qu'elle suscite dans la salle d'audience.

L'avocat qui parle se tient roide à la barre, austère clergyman, nul mouvement n'accompagne ses mots. Il n'y a que cette voix qui force l'écoute.

Me Jean Boudot, du barreau de Marseille, défend Hannelore Font. Sur cette prévenue pèse une double charge. Elle était  la "directrice qualité" de PIP, et à ce titre le "gendarme interne de la société" comme l'a souligné le vice-procureur Ludovic Leclerc. Et elle a failli à son rôle en acceptant pendant des années de valider des prothèses qui utilisaient un gel non réglementaire.

Comme les autres salariés de l'entreprise, plus que les autres du fait de ses anciennes fonctions, elle est confrontée aujourd'hui au poids de ces petites lâchetés qui ont fait si longtemps perdurer la tromperie.  

Elle est surtout la seule femme poursuivie, ce qui comme l'a laissé entendre le procureur de la République Jacques Dallest, constitue aux yeux de l'accusation une sorte de circonstance aggravante de responsabilité.

Que pouvait-elle faire, cette femme, face à la dureté des regards qui se sont portés sur elle? Me Boudot dit cet éternel dilemme de l'accusé ou du prévenu. "Si vous pleurez, c'est sur vous que vous pleurez. Si vous ne pleurez pas, vous manifestez une indifférence insupportable aux victimes. Si vous demandez pardon, alors vous êtes suspect de vouloir simplement attirer sur vous l'indulgence. Si vous ne demandez pas pardon, c'est que vous êtes dans le déni total et d'un cynisme absolu. Si vous répondez trop vite, c'est que vous avez été parfaitement préparée par votre avocat. Et si vous ne répondez pas assez vite, vous manquez cruellement de spontanéité et donc de sincérité".

Alors Me Boudot lui donne sa voix. Il plaide et ne cède sur rien. "C'est un joli mot, défendre, dit-il. Défendre,c'est ne rien accepter pour acquis qui n'ait été passé au crible de la critique". Il ne ruse pas avec les charges, il les affronte et ses mots sobres portent. Ils cheminent, bousculent les certitudes assénées la veille à coups de formules accablantes par le réquisitoire. En réponse à une accusation qui, dit-il, a "pris en otage les bons sentiments", indifférent au grondement qui sourd de temps à autre des bancs du public où de nombreuses victimes ont pris place, il observe: "On vous demande aujourd'hui de condamner au maléfice du doute".

Au nom de celle qui s'est entendue dire par le procureur, mardi 14 mai: "Comment peut-on se regarder chaque matin dans la glace quand on fait le contraire de ce pourquoi on a été formé", il répond: "Si j'étais entré dans cette société à 22 ans, comme Hannelore Font, si j'avais été formé ou plutôt déformé au sein de la maison PIP, de quoi aurais-été capable? De démissionner? De dénoncer mon employeur? Si je vous pose cette question, vous répondez quoi? - ‘Bien sûr?’ Moi, je réponds seulement: - ‘J'espère’.  Evoquant encore "la terrible normalité de l'anormalité de la société PIP", Me Boudot ajoute: "C'est tellement facile de ne pas respecter la règle quand on le fait tous ensemble. Et c'est si difficile d'être seul à la respecter."

Et les mots de l'avocat restent là, figés dans la (mauvaise) conscience de chacun.

 

 

 


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