2012 : l’enfance enfin objet de politique publique ? (447)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 31/12/2011
La période prête doublement à se projeter dans l’utopie. Une nouvelle année s’engage, mais pas n’importe quelle nouvelle année : bissextile et surtout électorale. Mieux les choix n’ont jamais été aussi évidents : plus que d’autres, cette période électorale sera lourde de conséquences.
L’utopie ne peut pas faire l’impasse des réalités qui pèsent quoi qu’on en dise sur le politique. La marge de manœuvre est étroite tant pour les politiques que pour les citoyens qui doivent peser sur les politiques, mais ils existent. Encore faut-il être lucide. Et déjà dans cette société de représentations ne pas se laisser embarquer par un scientisme ambiant détestable, mais tellement rassurant pour les démagogues et ceux qui les suivent. Les réalités sont complexes ; ne les ignorons pas.
Encore faut-il aussi se doter de quelques repères autour desquels on s’adapte en tenant compte des réalités. Des objectifs peuvent être a priori intenables, du moins à court terme, mais ils donnent du sens au quotidien ; ils éclairent la route à suivre et en permanence permettent de dépasser les déceptions qui inéluctablement se présentent. On ne peut plus se contenter d’effets d’annonce, de projets rutilants ou de promesses d’abrogation. Ces considérations générales ne peuvent pas être ignorées quand on mène dans le champ de l’enfance.Le contexte français est préoccupant même qu’il faut savoir raison garder. Si le sort de la plupart des enfants de France est enviable au regard de ce qui se passe en dehors de nos frontières, un million d’enfants vit ici sous le seuil de pauvreté au regard des critères nationaux, deux millions selon les normes européennes. Les développements prévisibles de la crise ne vont pas réduire la fracture sociale, mais bien au contraire accentuer les difficultés des plus pauvres et des plus faibles. Concrètement pour ne prendre que des illustrations majeures, sur le terrain du logement, du suivi sanitaire, de la scolarisation, trop d’enfants sont déjà en grande difficulté ; en, carence et en souffrance. 5000 enfants seraient sans toit en Seine Saint-Denis. Que dire de la précarité des conditions de vie de nombre d’autres enfants où le lendemain, sinon le soir n’est jamais sûr. Où va-t-on dormir ? Que va-t-on manger ? Mangera-t-on même ? Et pour certains, vais-je être placé ou expulsé ?
Je ne m’arrêterai pas sur les enfants souffrant de difficultés spécifiques comme ceux porteurs de handicaps, non suivis et simplement non scolarisés malgré des efforts indéniables ou tout bonnement qui auraient besoin d’un soutien psychologique, psychiatrique ou éducatif qu’ils trouveront de plus en plus difficilement avec des crédits publics en berne.
Tout aussi grave des révolutions culturelles sont intervenues ces dernières années qui ont créé un climat très préoccupant et qu’il sera difficile de combattre sauf par un discours politique ferme, clair et constant. Ainsi chez les moins de 18 ans, il est devenu commun de penser qu’il y a d’un côté les enfants qui méritent toute notre compassion et de l’autre ces mineurs à problèmes et dangereux qu’il convient de mettre à l’écart. Plus largement, dans cette société vieillissante et doutant de l’avenir, quand on parle enfant on voit poindre immédiatement problèmes ou dangers de tous ordres, donc peur.
Il est temps d’inverser la logique : ne plus être en défense (combattre l’enfance en danger, les violences des enfants, l’exploitation des enfants etc. ), mais d’être positif (I). Il ne s’agit pas de nier que l’enfance est une période délicate et que les enfants ont besoin d’une protection spécifique dans cette période difficile de leur vie. Voyons plutôt le positif et la manière de le promouvoir, l’encadrer le développer. Par exemple, les enfants ne sont pas que des êtres inconscients ; ils ont des émotions, des sentiments, des idées mêmes qui peuvent contribuer à leur épanouissement est déjà à leur protection. Il ne s’agit pas d’estomper nos responsabilités d’adultes - comme parents ou comme acteurs sociaux ou politiques - à leur égard, mais de tenir compte de leur point de vue et déjà de les amener à l’exprimer, individuellement et collectivement, à la maison, à l’école, dans la cité. Il me semble que nous éloignons régulièrement de cette démarche qui pourtant est la seule de nature à réellement protéger les enfants comme nous prétendons vouloir le faire en créant un climat épanouissant autour d’eux … dans l’intérêt de la société.
Développer un message valorisant et constructif est donc un objectif premier. Cela suppose de croire en l’avenir. Ce pays a connu des crises plus importantes et s’en est sorti. Les enfants et les jeunes ont besoin d’être motivés et mobilisés. L’espoir est le ressort de la vie. Or une partie de notre jeunesse est nihiliste ; elle a fait une croix sur son avenir car elle ne croit en rien et déjà pas dans ses compétences. C’est le rôle des adultes que de tracer ces perspectives. Il faut la mobiliser et lui proposer des défis modernes.
Cessons au passage de fustiger tous ceux qui se préoccupent des enfants en généralisant l’échec ou l’absence de certains. Tous les parents ne sont pas démissionnaires, loin de là, même quand leur enfants sont en difficulté. Tous les professionnels ne sont pas incompétents, loin de là encore : pas plus que notre dispositif scolaire n’est en faillite - pour réels les enfants en rupture de scolarité sont une infime minorité- ; pas plus les services sociaux sont voués systématiquement à échouer : dans l’immensité des cas les 250 000 enfants aujourd’hui en danger et pris en charge par l’Aide sociale à l‘enfance seront demain des parents sans difficultés spécifiques et leurs enfants ne pâtiront pas des problèmes rencontrés par leurs parents ; l’immensité (85%) des jeunes délinquants avant leur majorité ne seront plus délinquants une fois devenus majeurs, etc. Il est de bon ton actuellement de dénigrer parents et professionnels de l’enfance ; en 2012 c‘est un message positif et constructif qu’il faudra envoyer aux uns et aux autres … pour ensuite s’attacher aux difficultés qu’ils rencontrent.
*
Cet environnement maîtrisé et réorienté, concrètement, l’une des premières pistes à suivre est ici de clarifier les compétences des uns et des autres avant de mettre en place les moyens nécessaires à chacun pour exercer ses responsabilités. C’est la question centrale du pouvoir sur l’enfant et sur l’enfance qui est ainsi posée en n’oubliant pas – Convention internationale relative aux droits de l’enfant oblige – que l’enfant lui-même a des droits et des pouvoirs pour être acteur de sa vie. Personne : pas plus un parent qu’un politique n’est seul en situation de responsabilités. Cette question des pouvoirs commande tout le reste : elle légitime les rôles et commande les moyens.
Il faut déjà clarifier les responsabilités dans le champ public notemment entre l’Etat et les collectivités locales (ex : la santé scolaire), mais aussi au sein des collectivités locales. La question centrale est bien sûr ici le devenir des conseils généraux et des 6 milliards d’euros qu’ils brassent dans le champ de la protection de l’enfance. La tendance lourde engagée depuis 2002 est à leur disparation avec transfert au communal ou à l’intercommunal les responsabilités publiques sociales. On l’a vu depuis 2007 sur le terrain de la prévention de la délinquance. Des blocages existent que 2012 doivent être totalement dépassés, soit par un coup d’accélérateur des transferts de compétences soit par une meilleure articulation à compétences constantes.
Certains y appellent aussi sur le terrain de la protection de l’enfance. Est-ce pourtant le bon étiage sachant que la plupart des communes comptent 5000 habitants quand il faut permettre d’exister à ceux qui ne vivent pas exactement comme les autres. On sait que les communes peuvent jouer à la patate chaude avec les familles à problèmes au nom de la paix sociale. Cessons d’opposer l’Etat et les collectivités locales dans le champ des politiques de l’enfance – exemple typique le sort des enfants étrangers non accompagnés présents en France - : chacun a ses responsabilités. Il faut les articuler à travers des protocoles locaux et des conférences nationales.
Encore convient-il déjà qu’au quotidien l’Etat assume son rôle à la fois d’acteur – il fait ou fait faire – et d’arbitre. Et il ne peut être crédible come arbitre que s’il assume déjà sa part ! Un ministère de l’enfance s’impose, associé ou non à un ministère de la famille car si la vie de famille est essentielle, toute la vie de l’enfant ne se situe pas dans l’univers familial. Cela suppose aussi d’affirmer que l’enfance et la famille sont des objets de politiques nationales et locales. On en est loin. Pourtant c’est l’intérêt du pays. De même dans le champ privé il faut identifier les responsabilités sur et pour l’enfant. Spécialement le dossier étant en rade depuis 2002, il faut enfin voter le statut des tiers qui assument des responsabilités sur un enfant sans confondre parents et beaux-parents : les premiers sont dans les décisions majeures liées à l’autorité parentale ; les autres dans les actes de la vie courante. Cette loi attendue est essentielle pour deux millions d’enfants qui doivent savoir qu’ils ne peuvent pas rejeter l’homme ou la femme qui, dans le champ familial ou non, l’a en charge au quotidien. Ils lui doivent obéissance et celui-là doit être rassuré : il est légitime à se faire obéir.
C’est là encore le rôle de l’Etat que définir les règles du jeu et de veiller à leur respect. On est sur une compétence publique, et non privée comme le soutenait Mme Morano alors en charge du dossier.
C’est aussi le rôle de l’Etat que de créer un climat favorable à la vie des familles et des plus jeunes, soit en faisant, soit en libérant l’énergie des collectivités publiques ou du réseau associatif. Cela suppose qu’il soit clair sur les missions de service public quand la tendance lourde serait depuis 10 ans de privatiser et tomber dans le secteur marchand avec la caution européenne. On voit donc que demain même si certaines s’imposent il ne suffira pas de mesures symboliques, notamment en abrogeant telle ou telle loi partisane (LOPPSI II et la loi Mercier d’août 2011).
Le désengagement de l’Etat, sinon de la puissance publique, en général est fortement enclenché au nom de la liberté des familles, mais également au nom du réalisme financier quand les caisses sont vides ou présentées comme telles. Certains vont même à se satisfaire du mitage social : chacun sur son territoire pour éviter certaines pollutions. Par exemple il reviendrait au maire ou au responsable de l’intercommunalité de faire la loi locale avec ses arrêtés, de disposer d’une police municipale – palliatif de la police d’Etat quand elle devrait etre différente - sinon de services sociaux locaux, et de prendre les mesures y compris coercitives contre ceux qui violent la norme la majoritaire en rendant la justice comme les lois de 2005 et 2007 s’y sont engagées. A y regarder de près, ici comme dans d’autres domaines – l’éducation par exemple- c’est bien la République issue de 1789, elle même héritière de la Royauté qui est en jeu. En reviendra-t-on aux fiefs du Moyen Age où la politique sociale menée et la justice rendue dépendront de la plaque de la ville ? Ou ira-t-on vers la réaffirmation de la République qui à moderniser la démocratie publique et la démocratie tout court ?
A mes yeux l’enjeu pour 2012 est évident.
Dans une première hypothèse sera légitimée, et dès lors accentuée, la tendance lourde à l’effacement de la prise en compte du bien commun à travers les missions de service public, chacun étant renvoyé à sa liberté et, dès lors, à la loi de la jungle où les plus forts le demeureront. Plus que jamais on privilégiera une approche sécuritaire en s’attachant aux effets et non aux causes. On verra aussi disparaître la justice spécifique pour les enfants. Doutant plus que jamais du travail social, on sera sur des stratégies contenantes pour faire face aux difficultés de tous ceux en situation de déviance. L’Etat recentré sur ses grandes fonctions régaliennes d’ordre public ; l’action sociale sera locale quitte à lui donner les moyens financiers et l’autoriser à exercer la contrainte. Ici comme ailleurs on tournera la page du XX° siècle pour revenir au XIX° sinon remonter encore dans l’histoire de France. Si l’on poursuite le mouvement de transferts de compétences il faudra instaurer un nouveau jeu de contre-pouvoirs. Par exemple, des recours contre les décisions des maires.
Dans une deuxième hypothèse la puissance publique reprend la main au nom de l’intérêt collectif où chacun doit trouver son compte et déjà être partie prenante à son niveau, familial, local ou national, des politiques menées et des responsabilités exercées. Il faut s’appuyer sur les compétences réaffirmées ou affirmées et veiller à leurs articulations. Par exemple une stratégie offensive sur les modes d’accueil de la petite enfance et les rythmes de vie doit permettre aux parents d’être plus présents et aux enfants de respecter une autorité bénéfique à leurs yeux. Pour cela il faut déjà dépasser les simples dénonciations pour identifier des objectifs susceptibles d’être partagés par le plus grand nombre, se donner des utopies et mettre en place des mécanismes de définition de politiques et d’évaluation pas seulement financiers. Cela suppose déjà d’être convaincus que l’enfance est un objet de politique publique ; pas seulement un enjeu privé. Une vraie politique de l’enfance s’impose comme une réelle politique familiale est indispensable. Elles constituent le socle d’une prévention primaire de l’exclusion et peuvent permettre beaucoup d’économie sur le terrain de la sécurité. Bien sûr, le contexte économique est délicat, mais la France n’est pas exsangue. On l’a vu, toutes les décisions à prendre n’ont pas une dimension financière !
Quitte à exprimer des vœux pour 2012, souhaitons pour tous les enfants de France, et donc pour notre pays, que la deuxième hypothèse soit la bonne. En tous cas, 2012 ne sera pas une année banale : basculement ou réaction. Le choix est clair.
PS Merci à tous ceux qui suivent ce blog qui n’entend pas – chacun le sait - être objectif, mais contribuer à une lecture des enjeux sociaux à travers le prisme de l’enfance.
Je revendique d’être partiel car c’est la manière d’être juste en cette matière, ce que le Conseil constitutionnel n’a pas percuté dans sa décision du 8 juillet dernier. Ou alors qu’il a trop bien compris en harmonie qu’il est avec l’actuelle majorité dont il est issu ! La prise en compte des droits des enfants passe par la partialité pour rééquilibrer les plateaux de la balance. Merci pour tous ces encouragements régulièrement exprimés Merci à tous ceux qui par leurs commentaires enrichissent cet apport premier. Je n’en veux pas aux râleurs qui m’épinglent pour des fautes de frappe ou de syntaxe. Cela leur permet de faire l’économie d’un argumentaire sur le fond qu’ils ne peuvent pas développer. Bonne année à tous : la période qui s’ouvre sera passionnante et il faudra mettre nos réflexions en commun. Je forme l’espoir que ce blog y contribue encore. J’invite ceux qui le peuvent à revisiter les posts passés pour aller au-delà de l’événementiel
(1) C’est la démarche que nous proposons à DEI-France avec notre argumentaire pour une loi POUR le bien-être des enfants