Du délicat équilibre entre contradictoire et secret des affaires
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Virginie Delannoy, 11/06/2015
La publication du décret n° 2015-521 du 11 mai 2015 relatif aux décisions du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence en matière de protection du secret des affaires nous donne l’occasion d’un bref éclairage sur les enjeux de la subtile conciliation entre le principe du contradictoire et le secret des affaires.
Le principe du contradictoire est érigé en principe général du droit, présenté comme l’une des « garanties essentielles des justiciables » (1). Il est désigné comme le corollaire du principe constitutionnel des droits de la défense (2).
En conséquence, le principe du contradictoire exclut qu’une affaire puisse être jugée si une partie n’a pas eu la possibilité de prendre connaissance des mémoires et pièces produits par son adversaire et que le juge a pris en considération pour se déterminer(3). Il en découle, également et en principe, que le juge ne peut régulièrement statuer au vue de pièces dont il a seul pris connaissance (4).
La protection du secret des affaires, pour sa part, a la valeur d’un principe général du droit communautaire. Le Tribunal de première instance des Communautés européennes a précisé la notion de secret des affaires en jugeant que les « secrets d’affaires sont des informations dont non seulement la divulgation au public mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l’information peut gravement léser les intérêts de celui-ci » . (5)
Compte tenu de « l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués » (6), des procédures spécifiques ont été introduites par la Commission européenne – en matière d’infractions au droit de la concurrence (articles 81 et 82 du Traité CE) –, sous l’impulsion de la Cour de justice, pour que le secret des affaires puisse être respecté tout en sauvegardant le droit des entreprises plaignantes à ce que leur cause soit entendue. Lorsque la Commission entend divulguer des documents qui lui ont été communiqués, pour lesquels le secret des affaires est invoqué, elle doit informer par écrit l’entreprise concernée de son intention et des motifs de cette divulgation. Si, malgré la réitération de l'entreprise de son opposition, la Commission considère que l'information est non protégée et peut donc être divulguée, elle notifie à l’entreprise sa décision motivée. Cette dernière peut, alors, saisir le Tribunal de l’Union en vue de faire contrôler l'appréciation de la Commission. L’appréciation ultime revient, de la sorte, au juge.
Cette procédure a été reproduite en droit interne devant l’Autorité de la concurrence (ADLC), par modifications successives de l’article L. 463-4 du code de commerce, d’une part et de ses règles d’application, d’autre part (R. 463-13 à R. 463-15-1 et R. 464-29) et place la conciliation entre le secret des affaires et le principe du contradictoire entre les mains du rapporteur général, sous le contrôle du juge.
Mais c’était à ce dernier stade que résidait une imperfection du système, sanctionnée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 10 octobre 2014, Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (req. n° 367807). La décision du rapporteur général quel qu’en fut le sens, n’était susceptible que d’un recours avec la décision au fond de l’ADLC, devant la cour d’appel de Paris. Ainsi, une entreprise dont des documents qu’elle estimait confidentiels avaient été divulgués à une autre partie, par décision du rapporteur général prise sur le fondement de l’article R. 463-15 du code de commerce, n’avait pas d’autre choix que d’attendre la décision au fond de l’ADLC et, le cas échéant, ouvrir une action indemnitaire laquelle pouvait difficilement réparer le mal irréversible déjà causé. Pour le Conseil d’Etat, ce dispositif, en tant qu’il concerne les décisions refusant la protection du secret, porte une atteinte manifestement excessive au droit à un recours juridictionnel effectif.
Le décret n° 2015-521 du 11 mai 2015 modifiant, notamment, l’article R. 464-29 du code de commerce tire strictement les conséquences de cet arrêt : seule la contestation de la décision du rapporteur général accordant la protection du secret ou refusant sa levée est subordonnée au recours contre la décision au fond devant la cour d’appel de Paris. Dans le silence du texte, le recours contre la décision refusant cette protection, dont le Conseil d’Etat a clairement indiqué qu’elle faisait grief, relève du droit commun et, donc, de la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d’Etat (art. R. 311-1, 4° du code de justice administrative).
Le nouvel équilibre entre contradictoire et secret résultant de la création d’un contentieux parallèle à la phase administrative de la procédure devant l’ADLC pourrait, cependant, avoir pour corollaire un allongement des délais de procédure, préjudiciable notamment aux victimes de pratiques anti-concurrentielles.
(1)CE, Assemblée, 6 mars 1959, Syndicat des grandes pharmacies de la région de Paris, Rec. p. 165 : « Les droits de la défense se trouvent ainsi garantis par le caractère contradictoire donné à la procédure d’instruction préalable » et CE, Assemblée, 12 octobre 1979, Rassemblement des nouveaux avocats de France, Rec. 370.
(2)Cons. Constit., n° 89-268 DC, 29 décembre 1989, Loi de finances pour 1990, RFDA 1990, p. 143.
(3)CE, 13 janvier 1988, Abina, Rec. 5.
(4)CE, 4 juillet 1969, Ordre des Avocats à la Cour de Paris, Rec. p. 358
(5)TPICE, 18 septembre 1996 Postbank/Commission, Rec. CJCE 1996, II, p. 921.
(6)CJCE, 24 juin 1986, Akzo Chemie e.a., ., aff. C-53/85
En conséquence, le principe du contradictoire exclut qu’une affaire puisse être jugée si une partie n’a pas eu la possibilité de prendre connaissance des mémoires et pièces produits par son adversaire et que le juge a pris en considération pour se déterminer(3). Il en découle, également et en principe, que le juge ne peut régulièrement statuer au vue de pièces dont il a seul pris connaissance (4).
La protection du secret des affaires, pour sa part, a la valeur d’un principe général du droit communautaire. Le Tribunal de première instance des Communautés européennes a précisé la notion de secret des affaires en jugeant que les « secrets d’affaires sont des informations dont non seulement la divulgation au public mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l’information peut gravement léser les intérêts de celui-ci » . (5)
Compte tenu de « l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués » (6), des procédures spécifiques ont été introduites par la Commission européenne – en matière d’infractions au droit de la concurrence (articles 81 et 82 du Traité CE) –, sous l’impulsion de la Cour de justice, pour que le secret des affaires puisse être respecté tout en sauvegardant le droit des entreprises plaignantes à ce que leur cause soit entendue. Lorsque la Commission entend divulguer des documents qui lui ont été communiqués, pour lesquels le secret des affaires est invoqué, elle doit informer par écrit l’entreprise concernée de son intention et des motifs de cette divulgation. Si, malgré la réitération de l'entreprise de son opposition, la Commission considère que l'information est non protégée et peut donc être divulguée, elle notifie à l’entreprise sa décision motivée. Cette dernière peut, alors, saisir le Tribunal de l’Union en vue de faire contrôler l'appréciation de la Commission. L’appréciation ultime revient, de la sorte, au juge.
Cette procédure a été reproduite en droit interne devant l’Autorité de la concurrence (ADLC), par modifications successives de l’article L. 463-4 du code de commerce, d’une part et de ses règles d’application, d’autre part (R. 463-13 à R. 463-15-1 et R. 464-29) et place la conciliation entre le secret des affaires et le principe du contradictoire entre les mains du rapporteur général, sous le contrôle du juge.
Mais c’était à ce dernier stade que résidait une imperfection du système, sanctionnée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 10 octobre 2014, Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (req. n° 367807). La décision du rapporteur général quel qu’en fut le sens, n’était susceptible que d’un recours avec la décision au fond de l’ADLC, devant la cour d’appel de Paris. Ainsi, une entreprise dont des documents qu’elle estimait confidentiels avaient été divulgués à une autre partie, par décision du rapporteur général prise sur le fondement de l’article R. 463-15 du code de commerce, n’avait pas d’autre choix que d’attendre la décision au fond de l’ADLC et, le cas échéant, ouvrir une action indemnitaire laquelle pouvait difficilement réparer le mal irréversible déjà causé. Pour le Conseil d’Etat, ce dispositif, en tant qu’il concerne les décisions refusant la protection du secret, porte une atteinte manifestement excessive au droit à un recours juridictionnel effectif.
Le décret n° 2015-521 du 11 mai 2015 modifiant, notamment, l’article R. 464-29 du code de commerce tire strictement les conséquences de cet arrêt : seule la contestation de la décision du rapporteur général accordant la protection du secret ou refusant sa levée est subordonnée au recours contre la décision au fond devant la cour d’appel de Paris. Dans le silence du texte, le recours contre la décision refusant cette protection, dont le Conseil d’Etat a clairement indiqué qu’elle faisait grief, relève du droit commun et, donc, de la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d’Etat (art. R. 311-1, 4° du code de justice administrative).
Le nouvel équilibre entre contradictoire et secret résultant de la création d’un contentieux parallèle à la phase administrative de la procédure devant l’ADLC pourrait, cependant, avoir pour corollaire un allongement des délais de procédure, préjudiciable notamment aux victimes de pratiques anti-concurrentielles.
(1)CE, Assemblée, 6 mars 1959, Syndicat des grandes pharmacies de la région de Paris, Rec. p. 165 : « Les droits de la défense se trouvent ainsi garantis par le caractère contradictoire donné à la procédure d’instruction préalable » et CE, Assemblée, 12 octobre 1979, Rassemblement des nouveaux avocats de France, Rec. 370.
(2)Cons. Constit., n° 89-268 DC, 29 décembre 1989, Loi de finances pour 1990, RFDA 1990, p. 143.
(3)CE, 13 janvier 1988, Abina, Rec. 5.
(4)CE, 4 juillet 1969, Ordre des Avocats à la Cour de Paris, Rec. p. 358
(5)TPICE, 18 septembre 1996 Postbank/Commission, Rec. CJCE 1996, II, p. 921.
(6)CJCE, 24 juin 1986, Akzo Chemie e.a., ., aff. C-53/85