Comme Pierre Joxe est humain !
Justice au singulier - philippe.bilger, 24/01/2012
Les médias m'amusent. Moutonniers, ils foncent pour peu qu'on leur propose à la fois de quoi célébrer et de quoi dénigrer (France Inter, le Monde).
Ils ont découvert Pierre Joxe. Certes, un nouveau Joxe. A l'occasion d'un livre "Pas de quartier" où il prétend dresser un constat accablant de la politique gouvernementale pour la justice des mineurs en regrettant avec une infinie nostalgie 1945, cette période où les mineurs étaient des enfants et où les caresses paternalistes tenaient lieu de tout. Aujourd'hui, paraît-il, pour un jeune ayant volé un vélo, on s'attache plus au vélo qu'au voleur ! Je n'ose croire que devant une telle dérive alléguée, les juges des enfants aient pu rester impuissants !
Pierre Joxe a été ministre, notamment de l'Intérieur, il a présidé la Cour des comptes et siégé au Conseil constitutionnel. Il est devenu avocat et défend les mineurs délinquants. Il joue sur du velours intellectuel et médiatique. L'austère, le rigoureux, l'abrupt, le désagréable Pierre Joxe s'est métamorphosé en un homme qui a un visage, un corps, deux mains et deux pieds. Il a changé de bord, radicalement, de registre, totalement, et on n'en finit pas de s'extasier devant cette personnalité qui, à 77 ans il est vrai, a donné congé à celle rugueuse d'hier, et durant si longtemps, pour s'abandonner maintenant à un humanisme naïf et donneur de leçons. Le sévère Pierre Joxe a trouvé une forme de douceur, versé dans un angélisme d'autant plus impressionnant qu'il est tout neuf et séduit les médias tout émoustillés à cause d'une indignation qui se téléscope avec leurs préjugés, leurs poncifs et le syndrome des "chiens perdus sans collier" qui les fait toujours vibrer. Pierre Joxe est devenu le coeur d'un monde qui a besoin du coeur quand celui-ci ne coûte rien. Coeur dont le surgissement est d'autant plus bouleversant chez Pierre Joxe qu'il tranche non pas avec l'absence de coeur mais avec le réalisme froid du politique d'avant nourri aux mamelles de François Mitterrand. Les médias adorent le passage du dur en affaires au saint laïque.
Il n'empêche que sur le fond également, la vision de Pierre Joxe est sinon fausse du moins partiale et polémique. Destinée à faire honte quand il n'y a pas de honte à éprouver devant les contraintes d'une réalité qui pèse lourd et ne rend pas absurdes les efforts du Pouvoir pour adapter la justice des mineurs à une évolution que tous ne peuvent que constater. Par exemple, il est acquis que les mineurs commettent la moitié des vols violents. Entre le sulpicianisme régressif à la Pierre Joxe, le misérabilisme plus offensant que respectueux à l'égard de ces jeunes destinées que l'étau social n'étouffe jamais absolument, et la sauvagerie indifférente à l'âge, il y a un juste milieu qui, notamment pour les besoins d'une justice rapide, n'est pas contredit par les mesures gouvernementales. Je conçois bien qu'il soit voluptueux de faire et de penser comme si le monde n'avait pas changé, ne s'était pas durci. Mais hier on aurait opposé au Pierre Joxe militant et partisan de telles gracieusetés stériles, il s'en serait moqué. Il lui faudrait sans doute une synthèse entre le roide du passé et l'illuminé du présent.
Dans tout cela, il y a comme une contagion de Stéphane Hessel. Sauf que ce dernier n'a pas changé de bord. Il s'indigne plus que d'habitude, c'est tout.
Quelle formidable révélation ! Pierre Joxe est humain.