Le statut du tiers vu par les parlementaires : une usine à gaz irréaliste (558)
Planète Juridique - admin, 3/04/2014
Comme prévu les députés socialistes et verts, dépités de l’échec de la loi "Famille" que projetait Mme Bertinotti, sont donc passés à l’offensive, mais dans les pires conditions qui soient et avec le pire des résultats, en déposant un texte intitulé « Autorité parentale et intérêt de l’enfant ». (1)
Comment déjà ne pas être choqué des conditions dans lesquelles on entend légiférer sur une question qui, somme toute, concerne au bas mot 5 millions de personnes : un peu moins de 1,5 millions d’enfants, leurs géniteurs et les beaux-parents.
Quatre groupes de travail avaient été installés en octobre 2013 par le gouvernement Ayrault (2). Ils ont auditionné, travaillé, réfléchi pour avancer des préconisations qui se voulaient mesurées, pratiques, opérationnelles dans la mesure où nombre de professionnels avaient été associés à ces travaux.
On aurait pu penser que ce travail – et d’autres – serviraient au Parlement. Las ! Après le recul gouvernemental sur l’idée d’une loi Famille, les parlementaires se sont vu refuser d’accéder à ces travaux menés pour le compte du gouvernement ! En catastrophe il leur a fallu improviser pour affirmer que la majorité parlementaire ne reculait pas devant la rue. Du n’importe quoi ! De la gabegie intellectuelle et même financière.
Si l’on peut entendre et comprendre l’enjeu politique de ne pas renoncer à légiférer sous la pression sur le thème Famille quand des vrais problèmes attendent depuis des années d’être tranchés, on ne peut pas admettre cette manière de pratiquer qui au final débouche sur un texte technocratique, bâclé, souvent de nature réglementaire et qui, au lieu de faciliter la vie quotidienne des familles dites recomposées, va singulièrement la compliquer.
Qu’on en juge.
Quand nous proposions de dire tout simplement, dans le prolongement de ce qui existe déjà dans la loi, que le beau-père ou la belle-mère, et plus généralement la personne en charge légitime de l'enfant, soit habilité par la loi à exercer les actes usuels de l’autorité parentale (suivi scolaire, fréquentations, etc.) par opposition aux actes importants (orientation scolaire, sortie de territoire ou opération chirurgicale non urgente), on invente « le mandat d’éducation quotidienne » destiné à formaliser famille par famille qui fait quoi.
Il faut que le titulaire de l’exercice de l’autorité parentale signe avec son partenaire stable ou conjoint ce contrat qui définit ce qu’il pourra faire ou ne pas faire à l’égard de l’enfant. Ce contrat – dont au passage l’enfant est exclu - devra ensuite être notifié à l’autre parent pour enfin être homologué devant un juge. Rien de moins. Et le texte ajoute sans doute à destination des parents non juristes qu’il pourra s’agir d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique devant notaire.
Quand nous proposions que la loi tienne un discours simple ;- celui qui vit avec enfants a la responsabilité d’exercer les actes de la vie quotidienne - on substitue un accord privé souvent improbable, compliqué et qui plus est devant être légalisé par justice. Bonjour les encombrements judiciaires ! Quand il faut 8 ou 10 mois pour divorcer, comment imaginer le temps nécessaire pour homologuer cette convention de belle-parentalité ? On paie les gens avec une monnaie de singe.
Incompréhensible, ingérable ce dispositif est qui plus potentiellement dangereux. Quand il était acquis qu’on ne devait pas s’attacher à distribuer les attributs de l’autorité parentale au point de déposséder le père par rapport au beau-père c’est tout le contraire qui se passe. On retire des pouvoir à l’un pour les donner à l’autre. En d’autres termes on crée une stratégie d‘affrontement quand on devait être historiquement dans l’apaisement à partir des besoins concrets des enfants.
Cette proposition de loi n’est pas fondée sur le droit de l’enfant à voir clairement identifiés ceux qui exercent des responsabilités à son égard. D’ailleurs une nouvelle fois on parle de son intérêt … vu par les adultes pour camoufler leur propres enjeux. Ajoutons qu’on parle encore d’autorité parentale quand nous proposions de passer à la responsabilité qui inclut l’autorité. En 1958 De Gaulle était passé de la puissance paternelle à l’autorité parentale; en 2014 on pouvait passer de l’autorité à la responsabilité notion qui résonne au quotidien pour les gens. Mais tout le monde n’est pas De Gaulle.
Au final on introduit une complexi-fication extrême des situations. On en aura ainsi au moins 7 :
(1) Les enfants vivant avec leurs deux parents mariés ou non exerçant conjointement l’autorité parentale
(2) Les enfants pour lesquels les parents séparés exerceront conjointement l’autorité parentale
(3) Les enfants de parents séparés dont l’un aura le plein exercice de l’autorité parentale
(4) Les enfants de parents séparés dont l’un exerce l’autorité parentale mais vit avec un conjoint stable qui bénéficiera d’un contrat de vie quotidienne
(5) Ceux dont les parents séparés mais en couple recomposé n’auront pas rédigé ou obtenu l’homologation d’une convention
(6) Les enfants qui se doivent quand même au quotidien de respecter l’autorité de l’adulte présent sur les actes très usuels de la vie
(7) Les enfants qui feront l’objet d’une délégation d’autorité partielle
Bonjour la simplicité quand en une phrase la loi pourrait affirmer à tous les enfants de France qu’ils se doivent de respecter l’autorité de l’adulte qui les a en charge ! J’ajoute que cette formule simple et de bon sens, facile à expliquer aux 20 H à la télévision vise aussi bien les beaux-parents que les grands parents, les enseignants ou les travailleurs sociaux accueillant un enfant.
Sur ce point majeur ce texte est hautement irresponsable, c’est le cas de le dire.
Sans compter qu’iI vise simplement comme l’indique la rapporteur à rassurer les adultes qui élèvent un enfant sans être parent; il leur faut un papier quand nous disions que la loi devait être cette assurance sur leur rôle.
Au passage, sans s’en rendre compte, on s’aligne sur le projet avancé en son temps par Mme Morano que nous combattions en disant que l’exercice des responsabilités parentales relève de dispositions d’ordre public qui doivent concernés tous les enfants de France et non pas de règles privés décidées devant notaire, chaque famille faisant sa loi. Tous les enfants de France ont besoin de leurs deux parents et d’être au clair sur les tiers ces personnes qui les ont en charge.
La proposition de loi introduit également l’idée d’une double résidence de principe pour l’enfant afin de veiller à ce qu’il n’y ait pas entre parents un gagnant ou un perdant. Vue sous cet angle la démarche est séduisante, mais comment imaginer que pour l’immensité des enfants il puisse y avoir une alternance – une semaine, une semaine par exemple – quant aux lieux de vie. Les enfants ont besoin de stabilité. La démarche est donc bien symbolique et doit être entendue comme telle. Assurer un enfant de la présence autour de lui de ses deux parents exerçant leurs responsabilitéspasse-t-il par le fait de se les partager à quelques jours ou heures près ? On peut en douter. Là encore on peut craindre qu'en pratique l’intérêt des adultes l'emporte et pas celui des enfants. Beaucoup d'explication et de pédagogie va s'imposer pour éviter une systématisation du" partage de l'enfant" entre ses deux parents.
Reste à voir si l’idée la plus novatrice du projet d'initiative parlementaire survivra : il s’agissait de permettre à tout enfant - on posait le principe que enfant qui saisit un juge est doué du discernement - de saisir le JAF pour réviser les conditions de vie faites par les parents séparés. Nous y étions favorables ; leurs auteurs y ont renoncé, comme à bien d'autres choses, par crainte de ne pas passer la rampe des critiques ou du débat public explosif.
A quelques détails près, sur ces points présentés pour majeurs, ce texte est donc décevant. Et que dire de ses carences et de ses manques? Par exemple, il est silencieux sur les châtiments corporels et bien d’autres sujets. J’y reviendrai prochainement. C'est peu dire que d'affirmer que nous sommes très loin des espoirs qu'avaient pu susciter la dynamique créée par Mme Bertinotti pour réécrire notre droit de la famille le prenant l'enfant comme pivot.
Du danger de légiférer sous la pression de la rue ou pour s’affirmer face à la rue.
Quel gâchis !
(1) Une deuxième PPL est prévue au sénat sur filiation et adoption
(2) Un groupe sur la « filiation et secret des origines » sous la présidence d’Irène Théry; un groupe sur l’adoption présidé par Mme le pr Gouttenoire, un troisième sur la médiation familiale présidé par Marc Juston; enfin un groupe sur les nouveaux droits des enfants présidé par votre serviteur.