Rien de Novès sous le soleil ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 27/12/2017
Je ne manque pas, pour le rugby, quand je le peux, les matchs de l'équipe de France mais ma désolation n'a rien à voir avec celle que j'éprouve quand je suis contraint de me priver d'une prestation de l'équipe de France de football. Parce qu'il y a longtemps, dans mes jeunes années, j'ai joué au foot alors que pour le rugby je suis demeuré spectateur admiratif, quoique de moins en moins au fil du temps...
Il n'empêche que la nostalgie m'habite quand je me souviens des chevauchées fantastiques et, à la fois, sophistiquées des frères Boniface, du virevoltant et insaisissable Jean Gachassin, sans oublier, plus tard, le talentueux Jo Maso.
J'aime aussi un rugby où on ne voit pas les joueurs s'empiler les uns sur les autres à chaque essai, feignant une joie démesurée comme au foot ; ils manifestent leur enthousiasme et leurs félicitations au marqueur par une petite tape dans la main. Il y a alors davantage de tenue.
Regardant parfois, à sa grande époque, l'équipe de Toulouse éblouissante dans son jeu sous l'égide de Guy Novès, j'appréciais l'attitude de ce dernier, l'ascétisme de sa personne et l'allure dont il ne se départissait jamais sur le banc de touche. Aussi on peut imaginer avec quelle allégresse d'amateur, même peu éclairé, j'ai accueilli sa nomination à la tête de l'équipe de France de rugby en 2015.
Je serais aussi tenté de vanter un monde où l'argent coulait moins à flots que dans le football, littéralement gangrené par les salaires exorbitants de certains joueurs et un commerce vulgaire faisant passer au second plan le divertissement et la belle gratuité de ce sport si populaire au point de constituer chaque Français comme un sélectionneur. Mais le rugby lui-même semble aujourd'hui atteint par cette lèpre d'un professionnalisme voué à la rentabilité et aux émoluments substantiels.
J'admets que malgré les conditions inédites de son départ, il était légitime de remplacer Guy Novès et de considérer que son bilan était trop médiocre, malgré quelques éclats prometteurs ici ou là, pour justifier son maintien.
Je suis gêné par le climat général et les coulisses délétères ayant présidé à la désignation de son remplaçant Jacques Brunel (Le Monde, L'Equipe).
Il me semble paradoxal, alors que l'univers politique et les choix du pouvoir se soumettent de plus en plus à des règles de transparence et de validation parlementaire, de devoir accepter que le monde du rugby - celui du foot prête pour l'instant moins à la polémique grâce au succès de Didier Deschamps et de l'équipe de France - échappe à des critères de fiabilité et d'objectivité qui rassureraient les passionnés de ce sport.
Etrange, en effet, de précipiter un départ à cause d'un bilan en effet discutable au bénéfice d'un arrivant au bilan lui-même plus que sujet à caution si on songe à l'équipe d'Italie que Jacques Brunel a entraînée, même si apparemment il a redoré son blason avec l'équipe de Bordeaux. Pourquoi, en sortant d'un cadre franco-français, n'est-on pas allé quérir un professionnel étranger exemplaire et à la compétence reconnue par tous ? Il en existe mais cette option pourtant évidente n'a pas été retenue parce qu'elle heurte sans doute un corporatisme et des intérêts à préserver.
On est alors obligé de s'interroger sur la mainmise de Bernard Laporte - Jacques Brunel était son préféré et son familier - sur une nomination dont on n'a pas l'impression que les structures du rugby professionnel - la FFR présidée par Bernard Laporte et la LNR de Paul Goze - aient eu véritablement leur mot à dire sur elle.
Le rapport de force, qu'a installé Bernard Laporte et dont il a profité, serait moins controversé si la personnalité de ce dernier et ses multiples activités - politiques, commerciales et comme président de la FFR - n'avaient pas suscité un sérieux débat, par euphémisme, sur la parfaite objectivité de cette sélection, qui émane d'une autorité dont la netteté n'a jamais été le caractère principal.
La Coupe du monde de rugby qui sera organisée en 2023 en France serait la victoire de Bernard Laporte. Cette indéniable et surprenante réussite sera-t-elle de nature à effacer toutes ces ombres ?
On va en tout cas passer de la rigueur d'un Guy Novès, trop peu couronnée de victoires, à une configuration dominée par Bernard Laporte et son favori Jacques Brunel qui vient d'être officiellement consacré.
Des miracles sont certes possibles et ce dernier pourrait démontrer à la tête de l'équipe de France des vertus d'entraîneur qui auraient attendu la charge suprême pour se manifester. J'en accepte volontiers l'augure mais quel que soit le registre - et la Justice n'a pas été étrangère à cette suspicion - j'ai toujours eu tendance à douter des suites favorables de nominations pour le moins équivoques.
Alors rien de Novès vraiment sous le soleil ?
En tout cas le Tournoi des six nations, dès le mois de janvier, nous éclairera vite sur le destin de l'équipe de France et répondra à cette question.