Sarkozy-Guéant : ce couple a des secrets
Justice au singulier - philippe.bilger, 19/06/2013
Le Monde est très remarquable ces derniers temps. Explosif et/ou stimulant.
Les articles de Gérard Davet et de Fabrice Lhomme sur l'affaire Tapie-Lagarde-Guéant-Sarkozy. L'analyse de Gérard Courtois sur "les plafonds de verre du Front national". L'interview infiniment éclairante du politologue Laurent Bouvet sur le FN, les partis traditionnels, les élites et le peuple.
Il y avait là de quoi offrir la matière pour plusieurs billets.
Mais je lis que Claude Guéant serait le seul à pouvoir empêcher le retour de Nicolas Sarkozy parce qu'il sait tout du quinquennat écoulé (express.fr).
Comment résister à ce sujet sur les secrets de ce couple qui semble doucement, dangereusement se déliter ? L'un n'ignore pas ce qu'il a permis à l'autre. L'autre, pour l'instant, est muet sur ce qu'il a accepté d'accomplir pour l'un.
L'évolution sera intéressante à observer avec les péripéties judiciaires qui vont sans doute à très brève échéance concerner Claude Guéant et ce qui depuis un an fait remonter à la surface démocratique, des tréfonds de la présidence de Nicolas Sarkozy, une vase obscure et trouble.
Ce qui me passionne pour Claude Guéant, sans prétendre préjuger et accabler encore davantage un homme qui est politiquement et amicalement abandonné aujourd'hui à hauteur du pouvoir quasi absolu qu'il avait hier, tient à la psychologie de cette personnalité, à ses glissements et, en définitive, à ce qui paraît avoir fait d'un roide haut fonctionnaire et d'un irréprochable honnête homme un serviteur de coups tordus et d'indélicatesses surprenantes.
Certes, à chaque fois, Claude Guéant, dans la phase où il parlait trop parce qu'il désirait donner l'impression de n'avoir rien à cacher, nous a promis des explications limpides sur l'équivoque de certaines opérations mais pour l'instant il nous condamne à des interprétations.
Pour Nicolas Sarkozy, il est facile de percevoir comment il devait considérer Claude Guéant. Le fréquent "allez voir Claude" que l'ancien président proférait à tout-va était aussi bien l'expression d'une confiance absolue que la volonté, en distinguant la tête et les jambes, la grande scène républicaine des coulisses malodorantes, de manifester qui dominait et qui devrait sans cesse se salir les mains. Nicolas Sarkozy, parce que narcissiquement il jouissait de son importance et de sa maîtrise sur les autres - comme il aurait été au comble de l'allégresse s'il avait reçu le projet de lettre de Christine Lagarde, servile, immature, puéril ! -, avait besoin de faire sentir sur ses proches, et Claude Guéant le premier, l'étendue d'un empire qui ne s'assignait aucune limite.
Il fallait que Claude Guéant disposât, à son niveau subordonné, des pleins pouvoirs délégués pour lui faire accepter ses missions à risques, ses entreprises à dissimuler et tout ce que la République irréprochable promise en 2007 aurait rejeté si elle avait connu l'ombre d'un commencement d'exécution. Il convenait qu'il eût au moins son vertige des grandeurs à lui.
Claude Guéant me touche parce qu'il s'inscrit dans la liste, et au premier chef, de ceux que Nicolas Sarkozy a pollués à force de les solliciter. Je suis frappé de constater que pour lui, comme pour Philippe Courroye par exemple, l'ancien président les a entraînés sur des chemins qui ont dégradé compétence, intelligence et rigueur en dépendance, vanité et transgressions.
Un rapport de l'Inspection des services judiciaires vient d'établir que la gestion du parquet de Nanterre par le procureur Courroye a été catastrophique, ce qui, d'une certaine manière, est rassurant. Si en plus la soumission judiciaire au politique avait permis l'efficacité, on n'aurait plus trouvé le moindre motif pour dénoncer la première ! Il y a une morale : on ne ne peut pas servir deux maîtres à la fois, le président et la Justice. Il faut, il fallait choisir.
Comment Claude Guéant aurait-il pu résister à cette ivresse d'une responsabilité qui faisait de lui l'homme de confiance, des hautes comme des basses oeuvres, le collaborateur irremplaçable ? Alors, probablement, on aboutit vite à cette certitude que les avantages qu'on s'octroie, qu'on vous octroie ne sont pas des récompenses imméritées mais la juste consécration d'un talent exceptionnel. Plus rien n'est immoral puisque profondément tout vous est dû.
Y a-t-il eu, chez Claude Guéant, d'autres fêlures intimes, des dérives liées à des chagrins lourds, le sentiment qu'on pouvait tout se permettre parce qu'un être vous manquant rendait le monde moins éclatant, moins manichéen et que n'étant plus regardé par une personne infiniment chère, plus rien n'était susceptible de vous maintenir dans l'allure et l'intégrité ?
Je ne sais. Ce qui est sûr en revanche tient à la fragilité, dorénavant, du couple Sarkozy-Guéant. Il a été rapporté que l'ancien président, notamment à cause du scandale des primes prélevées sur les frais d'enquête, voulait faire porter le chapeau de tout à Claude Guéant qui lui-même s'est plaint de médias qui ne comprenaient pas que rien ne pouvait se faire sans l'aval du ministre de l'Intérieur ou du président de la République. Des amis de Guéant - il lui en reste - le dissuadent de devenir le Juppé de Sarkozy et de se taire avec masochisme et fidélité comme le premier l'a fait avec Jacques Chirac. Qui peut dire actuellement ce qui se passe dans le crâne et le coeur de Guéant qui attendait du soutien et ne l'a pas eu, qui espérait de l'UMP, de tous ceux qui avaient tremblé devant lui et de Nicolas Sarkozy lui-même une sollicitude et une solidarité qui lui font défaut clairement aujourd'hui ?
Claude Guéant va-t-il révéler tout ce que durant cinq ans on lui a commandé, tout ce qu'il a accompli, en France ou hors de notre pays ? Son ressentiment, son sentiment d'injustice pourraient-ils le pousser vers une politique du pire en le conduisant à détruire et à brûler ce qu'il a adoré parce que son inspirateur, son maître a rompu le pacte ?
Que la gauche ne se réjouisse pas trop de ce qui, pour l'instant, affecte gravement la droite. L'élection de Villeneuve-sur-Lot, n'en déplaise au président Hollande, ne tient pas qu'à l'affaire Cahuzac et pourrait se révéler comme le prélude à une France tellement dégoûtée et désorientée que le FN lui apparaîtrait comme une boussole acceptable.
Même si cette élection était motivée par le rejet et le refus, par les effluves encore trop dévastateurs de la corruption de Cahuzac, qui pourrait donner des leçons d'intégrité en étant plausible ?
Pas le président en tout cas qui a maintenu Stéphane Richard à son poste en toute absurdité judiciaire, professionnelle et démocratique.
Il y a des secrets à lever partout.