Pourquoi Patrice Evra serait-il suspendu ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 22/10/2013
Ainsi Patrice Evra, parce qu'il n'est ni consultant ni éditorialiste ni journaliste mais tout simplement joueur et à une certaine époque le meilleur arrière du monde, n'aurait pas le droit, comme tant d'autres dans le domaine du football, de proférer des absurdités, en tout cas de parler et de se défendre ?
Heureusement, Noël Le Graët et Didier Deschamps ont, chacun à sa manière, apaisé cette ridicule polémique, le premier allant jusqu'à déclarer qu'il ne pensait pas qu'Evra puisse être suspendu.
Raymond Domenech si parfaitement compétent quand il entraînait l'équipe de France prétend qu'Evra ne sait pas ce qu'il dit ! Peut-être mais en tout cas je ne vois pas au nom de quoi on pourrait lui interdire d'ouvrir sa bouche et de répliquer aux attaques. Certes il a été tout sauf brillant à Knysna mais si on plombait le présent des personnalités au nom de leur passé inlassablement exploité, qui demeurerait encore sauf ?
Aucune faute ne peut être reprochée à Evra et une sanction disciplinaire serait choquante. Si les personnes qu'il a ciblées, maladroitement ou non, désirent le poursuivre, qu'elles le fassent. Cette démarche ne relève que de leur seule initiative. Que vient faire la Fédération dans cette querelle qui pourrait aisément être circonscrite à Evra et à ceux qu'il n'apprécie pas ?
Patrice Evra s'est moqué et a "taclé", selon une expression de plus en plus utilisée par les journalistes politiques, Luis Fernandez, Rolland Courbis, Pierre Ménès et Bixente Lizarazu.
Et alors ? A l'exception de Liza pour lequel j'ai un faible et au nom du décret de ma subjectivité libre, les autres mises en cause m'amusent et ne me semblent pas si erratiques que cela. Pour Fernandez, c'est assez bien vu, et pour Ménès, s'il a été longtemps journaliste à L'Equipe, je ne crois pas en effet qu'il ait été un maître en jonglage. On ne le lui demandait pas heureusement !
Ceux qui se glorifient d'être de "grandes gueules" médiatiques doivent s'habituer à en payer la rançon. Leur liberté et souvent leur vanité, la provocation et la sincérité ont une contrepartie : les autres sont tentés de vous traiter sur le même mode, et c'est normal. Mais on sent que nos commentateurs voudraient être mis à l'abri. Un Evra les "allume" peut-être mal mais sa réaction est normale. Ils ont forcément des retombées de leur feu !
Le plus grotesque dans cette foire d'empoigne tient au fait qu'un monde médiocre a reproché à Evra de l'être en tournant en dérision ses facultés intellectuelles et son usage de la langue française. De qui se moque-t-on ?
Faut-il reprendre, un par un, ceux qui sévissent, commentent et surabondent sur TF1 et sur Canal Plus ? Lequel est fondé à juger Evra parce qu'il serait indiscutablement meilleur que lui ?
Il y a évidemment l'irréprochable et élégant Hervé Mathoux qui garde une patience d'ange dans les vulgarités ambiantes. Il démontre que la passion du foot peut avoir de la classe. Il est assez seul !
Mais, ailleurs, qui peut prétendre damer le pion sur le plan du vocabulaire, de la tenue et de l'intelligence à Evra ? Y a-t-il de telles lumières, de tels talents qu'ils lui fassent forcément de l'ombre ? On sait bien que non.
Ménès se rengorgeant à chacune de ses saillies en espérant qu'elles feront rire un autre que lui. Trop visible, trop massif, trop désireux d'en être !
Dugarry péremptoire et dépoitraillé. Jouissant d'être étiqueté roi des commentateurs - pourquoi donc, alors qu'il y a Marc Keller et Franck Sauzée notamment ?
La pauvreté absolue du langage d'Aimé Jacquet, Zidane et Arsène Wenger. Pourquoi leur fait-on accomplir ce pour quoi ils ne sont pas doués, pourquoi acceptent-ils de se livrer à des analyses simplistes ? Ils ont tellement besoin d'argent ?
Et l'ennuyeux Gérard Houllier, pourtant trop présent, qui déclare que Ribéry n'est pas un joueur de classe mondiale et qui se fait vertement semoncer (nouvelobs.com) !
Faut-il continuer à égrener ? Daniel Bravo donnant l'impression de scruter la marche du monde quand il évoque une passe ratée, Olivier Rouyer, gay ravi (il a été si fier de l'annoncer!) et piètre locuteur, l'insupportable et nul Paganelli : "pour gagner, voulez-vous marquer ?", tous ces entraîneurs débarqués en attente, en instance venant apporter ce qu'ils ne sont plus, quel monde, mais quel monde !
Ce sont tous ces gens-là, éditorialistes, consultants, journalistes, parasites et profiteurs du foot, qui osent prendre de haut Patrice Evra ?
Un soir je rencontre Cyril Linette et je lui dis que le français, dans sa direction des sports, est mauvais. Au lieu de s'interroger, à la place la crispation corporatiste du chef.
Il n'y a pas un seul sportif en chambre, comme moi, effondré par la multitude des commentateurs (trois sur TF1, dont l'inutile Arsène Wenger qui répète moins bien ce qui vient d'être dit !) qui ne s'estime pas au moins aussi légitime que ceux qu'on entend et qu'on subit pour relater les matchs. Si on pouvait au moins nous laisser non seulement regarder mais écouter les images ! Si le silence parfois sublimait les superbes phases de jeu et si l'admiration n'appelait pas à tout coup des hurlements, ce serait miraculeux !
Sur Evra et sa dénonciation de la bande des quatre, je n'ai pour l'instant lu qu'un texte remarquable : celui de Jérôme Latta, rédacteur en chef des Cahiers du Football, sur son blog. Il rend à Evra ce qu'il convient de lui rendre et ne se laisse pas prendre à la fausse indignation ni à la condescendance de ses adversaires.
Je n'ai pas honte de traiter de cette controverse. C'est du foot, certes, mais il est partout. La grande conscience humaniste - donc de gauche - du foot Lilian Thuram est empêtré dans des soucis et on lui permet de s'expliquer au Grand Journal. Quel privilège ! La France va rencontrer l'Ukraine. Le PSG joue bien. Ribéry est en grande forme.
Même le président de la République se penche sur des sujets dérisoires comme Leonarda. Il ne va pas en sortir aussi aisément.
Il n'y a plus de petites choses. Ou plus que cela.
Alors, pourquoi pas Evra ?