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Protection du secret des affaires : publication du décret d’application

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent Badiane, Laetitia Basset, 7/01/2019

Par un décret n°2018-1126 du 11 décembre 2018 publié au journal officiel le 13 décembre 2018 (le « Décret »), le Gouvernement a précisé les conditions d’application du régime introduit par la loi n°2018-670 adoptée le 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires (la « Loi »)qui transpose, en droit français, la Directive 2016/943/UE du Parlement Européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués.
Le Décret fixe les mesures provisoires et conservatoires pouvant être ordonnées par le juge en prévention, cessation ou réparation d’une atteinte au secret des affaires conformément à l’article L.152-4 du Code de commerce (I) et précise les mesures générales judiciaires de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales et notamment les règles relatives à l’administration de la preuve et à la diffusion d’un jugement (II).

I - Mesures provisoires et conservatoires en cas d’atteinte au secret des affaires
L’article L.152-4 du Code de commerce issu de la Loi dispose que « Pour prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, la juridiction peut, sur requête ou en référé, ordonner des mesures provisoires et conservatoires dont les modalités sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ».

Ces modalités sont donc désormais définies à l’article R.152-1 du Code de commerce qui prévoit que le juge peut notamment :

1° Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d'utilisation ou de divulgation d'un secret des affaires ;

2° Interdire les actes de production, d'offre, de mise sur le marché ou d'utilisation des produits soupçonnés de résulter d'une atteinte significative à un secret des affaires, ou d'importation, d'exportation ou de stockage de tels produits à ces fins ;

3° Ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers de tels produits, y compris de produits importés, de façon à empêcher leur entrée ou leur circulation sur le marché ».

A défaut d’ordonner des mesures provisoires et conservatoires susmentionnées, le juge peut également « autoriser la poursuite de l’utilisation illicite alléguée d’un secret des affaires » en prévoyant, en contrepartie, un mécanisme d’indemnisation du détenteur de l’information couverte par le secret des affaires mais ne peut pas, en revanche, « autoriser la divulgation du secret des affaires » en la subordonnant à cette garantie.

A l’instar d’une procédure de saisie-contrefaçon (1), le détenteur d’un secret des affaires a l’obligation d’engager une procédure au fond dans un délai de vingt (20) jours ouvrables ou trente et un (31) jours civils si ce délai est plus long, à compter de la date de l’ordonnance du juge.

En revanche, en cas de non-respect de ce délai, la sanction est différente : les mesures ordonnées par le juge seront déclarées caduques automatiquement sans que le requérant n’ait à en faire la demande alors que la saisie-contrefaçon est déclarée nulle sur demande du saisi ou du tiers saisi.

II - Mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles et commerciales
La Loi offre ainsi au juge la possibilité de limiter la communication d'une pièce aux parties, d’ordonner sa communication sous forme de résumé ou d’en restreindre l'accès à certaines personnes. Il aura également la faculté de décider que les débats auront lieu en chambre du conseil et pourra adapter la motivation de sa décision ainsi que sa publication aux nécessités de la protection du secret des affaires . (2)

Le Décret permet l’application effective des mesures édictées par la Loi visant à préserver le secret des affaires au cours des procédures judiciaires par la mise à disposition d’outils efficaces.

Au sein du chapitre III, le Décret fixe les conditions relatives à l’administration de la preuve et notamment les modalités de placement sous séquestre provisoire, de demandes de communication ou de production de pièces.

L’article R.153-1 du Code de commerce permet au juge d’ordonner le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile ou au cours d’une mesure d’instruction ordonnée sur ce fondement.

Toutefois, le placement sous séquestre provisoire est limité (i) par son champ d’application aux cas de saisine du juge en référé sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (3) et (ii) temporellement à un délai d’un (1) mois à compter de la signification de la décision au terme duquel, si le juge n’a pas été saisi d’une demande de rétractation, la mesure de séquestre provisoire est levée et les pièces sont transmises au requérant.

Ensuite, les articles R.153-2 à R.153-9 encadrent les modalités de communication et la production de pièces comportant des informations secrètes afin d’assurer la protection du secret des affaires.

Ainsi, si le juge peut refuser la communication ou la production d’une pièce lorsque celle-ci n’est pas nécessaire à la solution du litige (4) l’article R.153-6 du Code de commerce prévoit que le juge peut ordonner la communication ou la production d’une pièce dans sa version intégrale lorsque celle est nécessaire à la solution du litige « alors même qu’elle est susceptible de porter atteinte à un secret des affaires ».

Enfin, l’article R.153-10 du Décret fixe les modalités de diffusion d’un jugement contenant des informations couvertes par le secret des affaires : extrait de décision ne comportant que son dispositif, remise d’une version non confidentielle dans laquelle sont occultées les informations couvertes par le secret des affaires.

Si la protection du secret des affaires est clairement renforcée par cet arsenal juridique concret, il est raisonnable de penser que cette protection demeure relative dans le but de maintenir un bon équilibre avec le principe de bonne administration de la justice et la liberté d’information.

(1) Le délai est identique pour les contrefaçons de droits d’auteur, de logiciels ou bases de données, de marques, brevets ou dessins et modèles. Par exemple article L.332-4 du CPI : «[…] A défaut pour le demandeur, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit de s'être pourvu au fond, par la voie civile ou pénale, soit d'avoir déposé une plainte devant le procureur de la République, l'intégralité de la saisie, y compris la description, est annulée à la demande du saisi ou du tiers saisi, sans que celui-ci ait à motiver sa demande et sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés ».
(2) Voir K-pratique intitulé « Secret des affaires : la proposition de loi transposant la Directive 2016/943 enfin adoptée »
(3) Article 145 du Code de procédure civile : « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé » ;
(4) Article L.153-4 du Code de commerce ;




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