Cottrez: le surpoids du silence
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 25/06/2015
Elle a fui cela toute sa vie : la lumière vive et blanche, elle au centre et tout autour, des regards qui la déshabillent. La première image du procès de Dominique Cottrez, accusée d'un octuple infanticide, qui s'est ouvert, jeudi 25 juin devant la cour d'assises du Nord à Douai, ce fut celle-ci : une femme - est-ce d'ailleurs une femme que l'on regarde ou un corps, un magma de chair ? - exposée comme une bête de foire dans le prétoire.
- Et là, vous en êtes où?
Un murmure, un souffle.
- 160 kg.
Juste avant, la présidente Anne Segond l'avait prévenue qu'elle allait l'interroger sur "ce problème" et Dominique Cottrez avait acquiescé en silence, offrant son visage soumis à la cour et aux jurés.
- Vous ne parliez jamais de votre surpoids ?
- Non.
- Et personne ne vous en parlait?
- Si, des fois, ma soeur Jacqueline. Mais j'aurais voulu que ce soit plus...
Elle cherche le mot.
- ...gentiment, doucement.
La vie de Dominique Cottrez est remplie de ce silence que seule la découverte de deux cadavres de nouveaux-nés dans le jardin de son ancienne maison puis de six autres, dans le grenier et dans le garage sont venus briser. Aide-soignante dans le même service pendant vingt-six ans, elle s'est occupée du corps des autres, les malades et les vieux qui ne jugeaient pas son corps à elle.
Au début de son mariage, elle avait pris la pilule. Et puis plus.
- Pourquoi n'avez-vous pas recommencé ? lui demande la présidente.
- A cause de l'examen.
- L'examen gynécologique?
- Oui. je ne voulais pas qu'on me parle de mon poids.
- Il n'y a que votre mari qui peut vous voir nue?
- Oui. Et encore.
- Etiez-vous invitée de temps à temps à déjeuner chez des amis ?
- Je n'ai pas souvenance.
A la juge d'instruction, puis aux psychiatres qui l'ont examinée, Dominique Cottrez a raconté pour la première fois l'humiliation de son premier accouchement. Au début de sa grossesse, elle pesait 100 kg, huit mois plus tard, elle en avait pris trente de plus.
- La sage-femme m'a tutoyée et traitée de gros boudin. Elle m'a dit que j'avais intérêt à perdre 30 kilos si je voulais un autre enfant.
Lorsqu'elle s'est aperçue qu'elle était de nouveau enceinte, elle n'avait pas maigri. Elle s'est tue, ce n'est qu'au septième mois que son mari a découvert sa grossesse. Sa deuxième fille est née, "facilement", dit-elle.
La troisième fois, personne n'a rien su. Elle a accouché seule chez elle, elle a juste eu le temps de voir que c'était un garçon, elle lui a appliqué une serviette sur le visage et elle a attendu qu'il ne respire plus, elle l'a empaqueté dans un sac plastique, puis dans un autre et un autre encore qu'elle a fermés soigneusement et qu'elle a posés dans sa chambre, dans un coin près de l'armoire, à cinquante centimètres de son côté du lit conjugal. Pour les sept autres grossesses, elle a fait pareil. C'est quand l'odeur est devenue trop forte qu'elle les a déplacés.
Son avocate, Me Marie-Hélène Carlier, se lève et vient se placer juste à côté d'elle.
- Quand vous êtes-vous rendue compte que vous étiez différente?
- A l'école.
- Quand?
- En éducation physique.
- Comment vous appelait-on?
- La grosse...
Dominique Cottrez sanglote comme une enfant. L'avocate continue, encore plus près d'elle.
- C'est toujours aussi difficile?
- Oui...
- Et vous vous réfugiez où ?
- A la ferme.
- Avec votre père?
- Oui.
Dominique Cottrez était l'enfant préférée de son père. Oscar Lempereur lui avait offert une vache, Poupette "et aussi un mouton", dit-elle. Elle avait douze ans quand, raconte-t-elle, il l'a violée. Les rapports incestueux se seraient poursuivis à l'adolescence, et ils auraient repris après la naissance de sa première fille, deux à trois fois par mois.
- Votre père, il ne vous voyait pas avec les yeux des autres ?
Dominique Cottrez s'effondre. L'audience est suspendue. Son mari et ses deux filles la rejoignent dans le prétoire et protègent son corps d'épouse et de mère de leurs bras.