Un François qui réussit
Justice au singulier - philippe.bilger, 6/10/2013
Ce pape est un miracle.
Dans tout ce qu'il accomplit depuis son élection, il y a des leçons à prendre par tous ceux qui dans notre monde ont charge d'autrui, se trouvent investis d'un pouvoir et d'une autorité considérables et font de la politique parfois comme s'il s'agissait d'une activité ordinaire.
En effet, quel festival depuis que les cardinaux, avec une admirable clairvoyance, ont choisi ce cardinal argentin pour succéder à Benoît XVI ! Il n'est même pas besoin de les comparer pour être saisi par le parcours sans faute jusqu'à maintenant de cette personnalité qu'on annonçait de transition à cause de son âge et qui bien évidemment a déjà changé le visage de l'Eglise, et peu importent les grincheux !
Qu'on en juge : dialogue, respect, compréhension, écoute, simplicité, l'appareil sans l'apparat superfétatoire, un homme qui va vers les fidèles au lieu d'attendre qu'ils s'approchent de lui, un pape dans la mêlée, une multitude émue qui non seulement ne perd pas sa révérence mais la lui rend au centuple, considération pour tous, rien de péremptoire ni de brutal dans les affirmations et l'énoncé des principes et des valeurs, une volonté de médiatisation qui à la fois flatte les journalistes et permet de transmettre des messages essentiels en les imprégnant de familiarité et de confiance (Le Monde, Le Figaro, Paris Match). L'affection tranquille.
La religion, portée à ce comble d'authenticité et de talent, est du grand art.
Constatant avec bonheur, comme tant de chrétiens éblouis, le surgissement dans le siècle d'une transcendance aimable, chaleureuse, séduisante même pour ceux rétifs à toute forme de religion ou relevant d'autres chapelles, je me suis demandé si des actes allaient être accomplis ou si nous avions seulement affaire à un manipulateur de génie.
La réponse n'a pas tardé. Le pape François n'est pas le Guépard de Lampedusa pour qui il convient que tout change afin que rien ne change. Il a pris son temps mais des réformes de structure seront opérées qui offriront l'avantage d'être accordées au nouvel état d'esprit diffusé.
L'Eglise va vraisemblablement s'alléger d'une bureaucratie étouffante et captatrice dont le pape hier était prisonnier malgré ses efforts. Pour que le Vatican ne soit pas qu'un Etat et un gouvernement, il fallait rappeler qu'au-dessus d'eux, forcément, il y avait le souffle universel de l'humanisme et de la morale. Sans lui, même avec les meilleures intentions du monde, la papauté ne serait qu'un mix de pureté et d'opportunisme. Il est clair qu'avec ce pape, les accommodements indécents et tactiques vont prendre fin. Un zeste de foi, une touche de pragmatisme : terminé.
Le gouvernement de l'Eglise ne devra jamais se dégrader en église des gouvernements, quels qu'ils soient, où qu'ils se trouvent. L'énorme chance de ce pape, avec cette révolution de la forme et des apparences qu'il mène à bride abattue tant pour lui qu'à l'encontre des corporatismes massifs et figés qui confondent leurs intérêts et leur influence avec la vérité et l'intégrité, tient au fait qu'il n'aura jamais à s'encombrer du relatif et du contingent, du fluctuant et du provisoire : ce dont il est dépositaire représente une universalité, un absolu qui se dégraderaient s'ils venaient par démagogie à épouser les dérives du siècle ou ses avancées contestables.
La métamorphose qu'effectue au quotidien François, partout où il s'agit de démontrer que l'Eglise n'est pas engoncée dans un conservatisme qui refuserait la modernité de l'accueil de l'autre, de l'empathie avec d'autres pensées et de l'exemplarité de la modestie et du dépouillement, aura des effets décisifs. Changer les modalités, c'est tout changer en réalité puisqu'il y a des fondamentaux que pour ma part j'estime intangibles, sauf à faire du catholicisme une auberge ouverte à tous vents, même les plus discutables.
Le pape, d'une habileté diabolique (si j'ose dire), perçoit ce qu'il peut y avoir de difficile à accepter pour un esprit contemporain dans cette série d'intransigeances doctrinales. Alors, sans les répudier, il laisse entendre que d'autres chemins pourraient s'ouvrir, il s'interroge et il interroge, il évoque du virtuel pour que les modernistes s'en emparent mais, profondément, il y a des rocs, des ancrages : si on les enlève, la maison s'écroule.
François a redonné l'espérance à un univers qui peu ou prou croyait, mais dans la tristesse et l'excessif pardon des offenses.
Ce François réussit.
Il n'est pas trop tiare : je devine que ce pape me pardonnera ce calembour. Il sait être gai et grave à la fois.