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La justice de Jean-Marc Ayrault

Justice au singulier - philippe.bilger, 5/07/2012

Il y a des absurdités évitables. Certes on n'abolira pas, comme par magie, les catastrophes professionnelles résultant de choix politiques peu clairvoyants mais il ne sera pas impossible de limiter les scandales de l'impéritie et les hontes de la servilité. A condition de vivifier les structures qui en elles-mêmes ne garantissent rien par des hommes, des femmes à la hauteur. En cherchant bien, on peut en trouver.

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Le dernier quinquennat avait tellement déçu sur le plan de la Justice et de la République irréprochable que, je ne sais pourquoi, j'attendais des débuts plus flamboyants, moins d'idéologie parfois lénifiante mais plus de vigueur et de réalisme intelligent. Manuel Valls est en train - tous les ministres étant en chute libre sauf lui - de s'approprier le registre positif que je viens d'évoquer (Le Figaro Magazine).
Ce n'est pas faute, pour Christiane Taubira, de parler, d'agir et de de bouger. Je me demande tout de même si la révérence médiatique dont elle bénéficie - un portrait proche de l'hagiographie dans Le Monde par Anne-Sophie Mercier encore récemment - ne la détourne pas de donner à ses démarches un tour moins univoque, une apparence moins partisane.
Ainsi, elle est retournée pour la deuxième fois en prison. On comprend bien son souci, sa volonté de manifester sa proximité avec les détenus pour que la société s'intéresse à eux et donc aux prisons, à l'enfermement. Son message est passé, on peut la rassurer sur ce point. Mais il est temps précisément de passer à autre chose, d'une compassion unilatérale à une approche plus globale, moins hémiplégique de sa mission et de ses devoirs. Le socialisme n'impose pas de mutiler le réel et penser aussi contre soi offre des avantages.
Le Premier ministre, dans son discours de politique générale, a abordé rapidement les problèmes de justice.
Je distinguerai ce qui relève des voeux pieux qui peuvent devenir effectifs (on a le droit de rêver) - "l'indépendance de la justice est un principe fondamental sur lequel le gouvernement ne transigera pas" - des propositions qui appellent dès maintenant un débat. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature en 2013, qui exigera une modification de la Constitution, semble être un objectif essentiel pour le gouvernement.
Pour la fin de ce mois, Jean-Marc Ayrault promet également une circulaire abolissant les instructions individuelles aux parquets. Ce n'est pas être désobligeant que de louer l'intention mais de relever que cette circulaire n'interdira pas un officieux de la justice qui a fait tant de mal durant les précédentes années.
Pour le CSM, le président de la République - cela ne manquera pas de plaire aux syndicats qui ne cessent d'y insister - souhaite, dans cette instance de nomination et de discipline, une majorité de magistrats malgré les luttes internes et les rapports de force et de soumission qui ne manqueront pas d'en découler. Mais je suis sûr qu'on n'échappera pas à cette avancée corporatiste et faussement positive.
L'avis du CSM sur les nominations des magistrats du parquet proposés par le ministère de la justice sera rendu contraignant comme c'est le cas pour ceux du siège. Nicolas Sarkozy avait lui-même, lors de la campagne, annoncé cette assimilation s'il était réélu. Les syndicats aspirent à ce que le Pouvoir aille plus loin en confiant au CSM la charge de proposer les nominations de procureurs.
Que le garde des Sceaux conserve cette prérogative, comme c'est probable, ou que le CSM en dispose, restera à résoudre la difficulté centrale consistant à promouvoir des personnalités indiscutables tant par la compétence que par le caractère. Pour éviter les débordements possibles du Pouvoir et lui épargner toute tentation, il convient de placer aux postes de responsabilité des professionnels capables d'y résister. Le problème est donc moins de déterminer qui sélectionne que de veiller à ce que la sélection soit fondée et respectable. Si un médiocre, privilégié par la Chancellerie, est demain accepté par le CSM, le progrès sera d'une minceur extrême. Que faire pour qu'aucun médiocre de l'un ou l'autre sexe ne soit abusivement distingué ? Cela appellera un bouleversement des habitudes et des conforts: que l'Etat assume le risque de l'intelligence et de la liberté plutôt que de porter aux nues les complaisants qui créent à la longue plus de dysfonctionnements que les indépendants loyaux.
Pour prendre un exemple du ridicule qui s'attache à certaines situations, le CSM a convoqué et entendu Philippe Courroye procureur de la République à Nanterre à des fins peut-être disciplinaires mais on a recueilli l'avis du procureur général de Versailles qui porte pourtant une responsabilité considérable dans ces errements au point qu'on a pu s'interroger sur le point de savoir qui était le vrai chef de l'autre.
Il y a des absurdités évitables. Certes on n'abolira pas, comme par magie, les catastrophes professionnelles résultant de choix politiques peu clairvoyants mais il ne sera pas impossible de limiter les scandales de l'impéritie et les hontes de la servilité.
A condition de vivifier les structures qui en elles-mêmes ne garantissent rien par des hommes, des femmes à la hauteur.
En cherchant bien, on peut en trouver.


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