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Le grand rabbin n'a pas de compte suisse aux Iles Caïmans !

Justice au singulier - philippe.bilger, 5/04/2013

Le jour où on envisagera une EMP - Ecole de la moralité publique - ou une EIP - Ecole de l'intégrité personnelle -, on aura touché le fond.

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Quelle accélération !

L'affaire Cahuzac a pratiquement compensé tout ce que le quinquennat précédent avait eu de dévastateur, notamment avec le dossier Tapie-Lagarde. La République irréprochable vite jetée aux oubliettes en 2007 n'a pas été repêchée par la gauche en 2012 même si - et c'est capital, sans doute le seul point incontestablement positif de cette quasi première année de la présidence Hollande - la justice a été laissée totalement libre et responsable dans le traitement des procédures dites sensibles : celles sur lesquelles hier l'Etat jetait bien plus qu'un oeil !

Le trésorier de la campagne de François Hollande, Jean-Jacques Augier, s'est trouvé intéressé dans deux sociétés faisant commerce avec la Chine et installées aux Îles Caïmans qui font le bonheur de certains crocodiles au figuré. Il déclare n'avoir commis aucune infraction par rapport à la loi française mais dans la configuration actuelle, avec un président qui là aussi affirme n'avoir jamais rien su, cette révélation fait évidemment tache (Le Monde).

Il faudra prendre garde à ce que l'aspiration légitime à un monde moral et propre comme un sou neuf ne conduise pas, à force de pureté et par le biais d'un immense et permanent dévoilement et déballage, à un univers étouffant et invivable. Le fait que toutes les transgressions que l'humanité se concède ne soient pas forcément connues est davantage une soupape de liberté, une respiration inévitable que la marque d'une mondialisation encore tristement imparfaite. D'autant plus qu'on a pu constater l'immense puissance des réseaux internationaux médiatiques, surtout quand tous les journalistes d'investigation se donnent la main !

Le titre que j'ai choisi mêle ironiquement le sort de Jérôme Cahuzac, le soupçon sur les Îles Caïmans à un scandale qui n'est pas de même nature mais dont j'ose affirmer qu'il est presque plus bouleversant : celui des plagiats commis par Gilles Bernheim, le grand rabbin de France. Il les a d'abord niés puis, au bout de dix jours, devant l'évidence accablante, il a fini par reconnaître "une terrible erreur" et a demandé que son livre "Quarante méditations juives" soit retiré de la vente.

Comme il est classique, la brèche ouverte, d'autres emprunts sont dénoncés et des doutes plus que sérieux formulés sur la réalité de son agrégation de philosophie. La débandade (express.fr) !

On a le droit de critiquer le grand rabbin puisque la communauté juive, elle-même effondrée, atterrée par le hiatus entre cette haute figure intellectuelle et sa déplorable attitude, nous en a donné la permission (Le Figaro).

A qui se fier ? Qui gardera les gardiens ?

Essayons d'imaginer le traumatisme que représenterait pour les catholiques et la société tout entière l'annonce d'une indélicatesse grave, d'un délit à la charge du cardinal Vingt-Trois. Ce serait un effondrement pour beaucoup, la perte de cette illusion fondamentale dont on a besoin pour accepter nos faiblesses et notre finitude : il y a des êtres qui sont sans cesse capables de nous racheter.

Une vision réaliste, presque cynique pourrait se trouver satisfaite par ce constat que l'humanité, même la plus noble dans ses aspirations et dans son comportement général, peut chuter et que cette défaillance remarquée d'autant plus lourde qu'elle comporte, après la transgression, sa dénégation avant un aveu ému, n'aura pas, j'en suis persuadé, une incidence durable sur le cours de cette destinée sauf à ce que cette dernière soit plus retenue et moins sûre d'elle, même dans les excellents combats qu'elle a menés, en particulier contre le mariage pour tous.

Le rapprochement que j'ai opéré ne me paraît pas absurde parce que cette immoralité privée ponctuelle s'ajoutant à ces fragments d'immoralité publique, ce grand rabbin venant à sa manière apporter sa dîme honteuse à une éthique ignorée ou offensée ici ou là sont infiniment éclairants sur un monde qui perd son sens parce que la vertu l'abandonne.

Contre cette dérive fatale, je continue à penser que les lois sont inutiles et comme l'a écrit Ménandre, l'honnêteté a sa place avant elles (Le Figaro).

Je crains le pire. Que la frénésie législative nous empêche de nous interroger nous-mêmes, nous donne bonne conscience et nous incite à croire que nous sommes pleins de moralité puisque nous parlons de la morale au lieu que les politiques par exemple acceptent de se comporter de telle manière qu'ils pourront se regarder sans frémir dans la glace de la démocratie.

Le jour où on envisagera une EMP - Ecole de la moralité publique - ou une EIP - Ecole de l'intégrité personnelle -, on aura touché le fond.


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