Peut-on faire une attestation en faveur d’un collègue licencié ?
Actualités du droit - Gilles Devers, 19/11/2013
La Cour de cassation (Chambre sociale, 29 octobre 2013, n° 12-22447) vient de donner un sérieux coup de main à la défense des salariés licenciés pour motif personnel. On connait bien le problème. Vous avez été licencié pour un motif que vous contestez – par exemple vous passeriez trop de temps à lire le blog pendant votre temps de travail – et pour contester cette donnée de fait, vous cherchez le témoignage de collègues qui savent très bien que cette saine lecture ne vous a jamais détourné de votre travail, et a au contraire stimulé votre créativité. Problème : « Je te ferais bien une attestation, mais je serais alors le prochain sur la liste… Désolé, mon ami… ».
L’arrêt rendu par la chambre supersociale de la Cour de cassation ce 29 octobre mérite une bonne pub, car il met à néant ces craintes, et va bien aider les salariés. Que risque le salarié qui établit une attestation en faveur d’un autre salarié licencié ? Rien, car le témoignage en justice est protégé au titre des droits de la défense et de la liberté d’expression. Boum badaboum…
Les faits
Un salarié, engagé en 2003 par l'Etablissement Union Mutualiste Retraite en qualité d'animateur de réseaux, a été licencié pour faute grave le 29 septembre 2009, l’employeur lui reprochant d'avoir rédigé une attestation mensongère destinée à être produite dans le cadre d'un litige prud'homal concernant un autre salarié, et d'avoir informé de cette démarche des collègues de travail.
La lettre de licenciement était ainsi rédigée:
« D'une part, dans le cadre du litige qui nous oppose à Monsieur Jean-Paul Y... suite au prononcé de son licenciement, vous avez établi au soutien des intérêts de ce dernier une attestation dans le cadre de laquelle vous dites témoigner sur l'honneur qu'à l'occasion d'un petit déjeuner qui s'est tenu le 4 février 2009, M. Jean-Paul Y... n'avait à aucun moment dénigré ni insulté le Directeur de Développement et le Directeur Général de l'UMR.
« Vous ajoutez que Monsieur Jean-Paul Y... ne vous avait jamais traité d'incompétent ni utilisé cet argument pour critiquer et démontrer qu'il s'agit du motif se trouvant à l'origine de la réorganisation territoriale dont il querellait la qualité.
« La rédaction de cette attestation n'a pas manqué de nous surprendre quant à la fausseté des termes qu'elle comporte. En effet, alors que nul au sein de l'UMR n'ignore vos liens d'amitié avec Monsieur Jean-Paul Y..., les termes utilisés dans votre attestation sont totalement contradictoires avec ceux qui nous avaient été rapportés par M. Serge Z..., ce même 4 février 2009, après qu'il ait, par hasard, entendu les propos échangés entre M. Jean-Paul Y..., Mme A... et vous-même, prenant son petit-déjeuner à une table voisine de la vôtre.
« A cette occasion, M. Serge Z... nous avait fait part que M. Jean-Paul Y... avait qualifié M. Charles B... de "guignol" et avait simulé un interrogatoire tenu par l'UMR à son encontre au sujet des notes de frais, en indiquant que l'UMR s'était comportée « comme les flics » et en adoptant un accent allemand caricatural et évoquant la « gestapo ». Les termes rapportés par « Monsieur Z... nous ont d'ailleurs été confirmés dans une attestation établie par celui-ci récemment, le 17 juin 2009, ce qui a emporté notre conviction quant à la fausseté de vos propos.
« Face à cette situation, nous vous avons sollicité lors de la réunion des personnels commerciaux qui s'est tenue le 8 septembre 2009 pour vous rencontrer individuellement, afin que vous nous confirmiez que vous étiez bien l'auteur de l'attestation datée du 15 mars 2009. Vous nous avez répondu par l'affirmative. Ce « témoignage », le maintien de votre position et sa totale contradiction avec les propos tenus par M. Serge Z... et confirmé par attestation établie dans le cadre des dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, émanant de la part d'une personne n'ayant aucun intérêt à établir cette attestation, sinon que son honnêteté intellectuelle de rapporter à l'UMR des propos tenus à rencontre de la direction générale et de la hiérarchie dans des termes inadmissibles, constituent, à l'évidence, un manquement à l'obligation de loyauté qui vous lie à l'UMR et génère irrémédiablement une perte de confiance en la loyauté et le dévouement que vous devez à l'égard de votre employeur ce d'autant plus que, de par vos missions, vous assurez la représentation de l'UMR sur le territoire qui vous est confié, dans le cadre d'activités itinérantes et parfaitement autonomes.
« D'autre part, il s'avère que non seulement vous avez pris la responsabilité d'établir cette attestation comportant des propos mensongers, au soutien des intérêts de M. Jean-Paul Y... dans le cadre du litige prud'homal introduit par celui-ci à l'encontre de l'UMR, mais qui plus est vous vous en êtes ouvert auprès de vos collègues de travail, sans aucune raison particulière. En effet alors que votre démarche aurait pu demeurer cantonnée à vos relations avec M. Jean-Paul Y..., vous avez estimé utile d'en faire état auprès d'autres salariés de l'UMR, tant sur votre démarche que sur son contenu, en faisant ainsi en sorte de prendre position au vu et au su du plus grand nombre comme étant en opposition avec l'UMR et sa direction générale, manquant également par là même à votre obligation de loyauté (.,.). Votre volonté de nuire à rencontre de votre hiérarchie est démontrée par l'évidente inutilité d'une telle ouverture vers l'extérieur d'une décision qui vous était strictement personnelle. Ce licenciement, prononcé pour ces deux raisons, prend effet immédiatement (...) »
La Cour d’appel (Riom, 15 mai 2012)
Le salarié demandait la nullité du licenciement, soutenant que son licenciement a été prononcé en raison de son refus de revenir sur l'attestation litigieuse, ce qui constitue pour lui une atteinte à sa liberté d'expression.
Pour la cour d’appel, le salarié a été licencié pour avoir d'une part rédigé une fausse attestation, et pour avoir informé ses collègues de travail de son intention de témoigner en faveur de M. Y... en donnant ainsi une publicité à son opposition envers sa direction. Aussi, le licenciement ne repose pas sur une atteinte à sa liberté de témoigner, et par conséquent sur une violation de sa liberté d'expression, de telle sorte qu’il n'y a pas lieu de l'annuler.
La Cour de cassation (29 octobre 2013)
La Cour de cassation, fait très important, vise directement deux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l’article 6 qui traite des droits de la défense et l’article 1010, de la liberté d’expression, et elle répond par cet attendu de principe : « En raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d'une bonne justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d'une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d'un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur ».
Aussi, le licenciement est annulé.
Donc, les amis, allez-y franco : toute sanction est impossible, sauf mauvaise foi. Oui, mais qu’est-ce que cette mauvaise foi ? On verra ce qu’en diront les cours d’appel, mais il faudra que des circonstances assez exceptionnelles. Dans cette affaire, le salarié se voyait opposer deux reproches : d’une part avoir attester de faits inexacts, l’employeur produisant des attestations mettant en cause la véracité des faits attestés par le salarié, et d’autre part, s’être vanté dans l’entreprise qu’il prenait fait en cause pour le salarié licencié et contre l’employeur. De tels faits ne caractérisent pas la mauvaise foi, et il faudrait donc imaginer le cas du salarié qui agit par pure malice ou intention de nuire… Il y a donc de la marge…