Emmanuel Macron : politique à l'ancienne, président nouveau...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/02/2018
Lors de l'entretien passionnant que j'ai pu avoir, grâce à Valeurs actuelles, avec Ivan Rioufol sur le président de la République, nous avons débattu de notre vision différente de sa personnalité et de sa politique.
A aucun moment de ces échanges, je n'ai eu l'impression de sortir d'un univers classique et traditionnel et le "nouveau monde" n'est apparu dans notre dialogue que par la dérision de mon contradicteur soulignant qu'il n'en voyait nulle part la trace depuis l'élection d'Emmanuel Macron !
En se moquant il pointait en effet un vide.
Il y a sans doute là l'explication de l'état d'esprit majoritaire du pays qui, à la fois, semble formuler un jugement positif sur les premiers mois présidentiels mais ne tombe pas dans l'éblouissement.
Comme si le citoyen ne voyait dans le présent qu'une rupture remarquable avec les politiques et les pratiques passées mais rien qui nous ait fait entrer dans un nouveau monde. Il est clair que nous sommes demeurés dans l'ancien et qu'il ne faut pas confondre l'approbation d'une certaine cohérence gouvernementale, des actions menées par tel ou telle, la fierté du retour de la France sur le plan international et d'une dignité présidentielle restaurée avec la conscience que d'un coup une ère nouvelle aurait été ouverte. Seulement que des médiocrités et le pessimisme d'hier ont été heureusement remplacés aujourd'hui par un optimisme relatif et des avancées incontestables.
L'élection d'Emmanuel Macron a accouché d'une nouvelle politique mais pas d'un nouveau monde de la politique.
Je vois une preuve éclatante de cette déception relative dans le fait que le ministre le plus plébiscité, et légitimement, du gouvernement, Jean-Michel Blanquer, participant à "L'émission politique", n'est pas parvenu à mobiliser un fort taux d'écoute malgré un sondage final qui lui a été largement favorable.
Ce qui signifie à mon sens que le regard sur la politique n'a pas été profondément modifié et que nous avons à nous contenter de ce que le pouvoir nous offre, ce qui n'est pas rien mais ne relève pas d'un "septième ciel" civique.
Ce serait même beaucoup si, dans les inévitables conflits à trancher, les arbitrages à opérer, l'exemplarité à faire respecter, les solidarités à maintenir ou à transgresser, cette équipe s'était dissociée des facilités antérieures.
C'est sans doute naïf mais j'attendais dans ce domaine délicat de la morale publique et de l'éthique personnelle moins de conservatisme et plus d'audace. Quand j'entends le Premier ministre sur Gérald Darmanin et tous les autres ministres venir à la queue leu leu dire la même chose, je suis navré de cette permanence de ce que de l'ancien a de pire. Aurait-on envie de les croire sur parole qu'on serait fondé à cause de cette routine de s'en défier !
Entre l'ancien et le nouveau, pourtant on flotte. Comme si tout n'était pas perdu et que l'aurore promise à partir des décombres du monde d'hier représentait encore quelque chose de tangible.
Faut-il alors devoir concéder, et tant pis pour ceux nombreux qui dénoncent la personnalisation du pouvoir, que la seule incarnation du "nouveau monde" est tout simplement celui qui l'a annoncé et, de fait, l'a emporté parce que la majorité du pays l'a cru ?
Quand on décape en effet la réalité, qu'on tente d'identifier si d'anciens chemins persistent ou si d'apparentes nouvelles frontières vont perdurer, ne reste que ce noyau dur : c'est la seule personnalité d'Emmanuel Macron qui aujourd'hui constitue, par son caractère totalement singulier et les démarches libres et spontanées qu'elle lui inspire, la preuve d'un "nouveau monde". Il a surgi en effet avec "effraction" dans l'espace politique - sa langue a été somptueuse face à l'Association de la presse présidentielle et elle a redonné de la fraîcheur à des thèmes convenus comme la solitude du pouvoir - mais les débris de l'ancien monde ont résisté.
Entre l'ancien et le nouveau on ne flotte plus. Ou à peine.